Action ou vérité?
claire-de-la-chatlys
Sous le soleil de juin, son corps s’élance. Avec entrain, gaieté et jeunesse, sa peau se meut au rythme de ses pas. À travers les ruelles. Les couloirs de l’hôpital. La chaleur de la salle de conférence de l’I.F.S.I. Dans les allées bondées de visages familiers, un murmure s’élance. En une ode à la liberté. Un slogan puissant.
- Salut Marie !
- Salut Sofène !
- Alors, c’est bon pour ce soir ? T’as pu te libérer ?
- Oui, tout est ok, maman va garder élia. Pas de problème, je suis tout à vous.
Sur la fin de sa phrase, Marie a senti le soupir de son amie jusque dans son cœur. Une franche camaraderie les lie depuis maintenant trois ans. Leurs trois ans d’études d’infirmières. Leurs trois années de cours et de stages où elles ont mené de front leurs obligations et leurs envies. Se soutenant comme deux amies. Se supportant comme deux sœurs…
- Et les autres, c’est bon ?
- Oui, tout le monde est ok, il ne manquait que toi. Axel a réussi à soudoyer la mono. J’crois qu’il en pince pour elle. Donc le « Dom-Cat » est entièrement réservé à la promo. C’est génial !
- Oui, génial ! on va bien s’éclater !
Malgré les « chut » incessants et les claquements de mains, les étudiants en attente de leur diplôme de fin d’études n’arrivent pas à se concentrer sur leur devenir. L’euphorie gagne la salle. L’annonce des noms par ordre alphabétique et les applaudissements chassent peu à peu la faible raison qui devrait les empêcher d’hurler. Rire. S’exclamer. Etre heureux du dénouement de leur long labeur.
- Ça y’est, c’est fini ! scande fièrement Alex en lui faisant face.
- Oui ! enfin ! renchérie Sophie.
- Alors, c’est bon, on se la fait cette teuf ? ricane Caroline
- Oh oui ! et en plus, on est au complet ! acquiesce Sofène avec empressement.
- Super !
Dans la chaleur de cette fin d’après midi, son corps l’emmène vers demain. Un ailleurs heureux qui commence avec une fête qui se promet d’être haute en surprise. La réputation des soirées infirmières n’étant plus à faire, celle de l’obtention de leur diplôme de fin d’années promet d’être explosive. À plus d’un titre…
21 heures sonnant, Marie sourie. Filant à travers les rues, sa robe rouge volète. Ses escarpins claquent tandis que son esprit s’évade en un glissement de désir. Celui de vivre. De se faire plaisir. De rencontrer l’amour ou tout du moins celui de se laisser aimer. Toucher. Dévorer. Ah si seulement… soupire-t-elle, en entrant dans la chaleur et l’excitation qui règne au 21 boulevard de la mutualité.
- Marie !
Hurlant presque, ses amis l’accueillent. Axel est superbe. Sofiane resplendit dans son mini ensemble jupe et brassière. Dans l’euphorie du champagne et des voies enjouées, Marie est accueillie comme une princesse. On la serre. On l’embrasse. On la cajole. Trop ou pas assez. Jusqu’au moment où… un petit salon de velours rouge accueille un jeu enfantin. « Action ou vérité ». Un jeu innocent et si accaparant que son corps et son âme rêvent en un instant de sombrer dans la débauche. A moins que ce soir, ce ne soit pas un rêve ?
* * * * * * *
L’alcool et la promiscuité ont grisé mes sens. Exacerbé mes craintes au point de les annihiler. Pas assez pour que je franchisse le pas mais bien assez pour que je désire ardemment aller plus loin.
Les questions ont eu raison de ma pudeur. De mes réticences. Surtout devant les rires et les cris de joie de mes camarades de jeu. Elles n’ont été pourtant pas si innocente que ça au départ…
- Marie, Action ou vérité ?
- Vérité.
- Es-tu attiré par un mec de notre promo ?
- Non. Enfin un peu. Ça compte ?
- Oui !!!!
- Dis-nous tout !
- A la prochaine question alors.
Mais à peine avais-je répondu à la première question tendancieuse que je ne sais pourquoi, ils se sont tous acharnés sur moi. Pascal, Gwenaëlle, Caroline, Sophie, Axel et Marc, à part Sofène qui a détourné les interrogatoires répétitifs sur Pascal. Heureusement que lui préfère l’action !
La roulette ne cessait de s’emballer. Choisissant un a un les huit personnes de notre groupe exilé dans le petit salon du premier. Je ne panique pas encore mais la chair de poule me gagne. La démonstration de l’habileté buccale de Marc est peut-être de trop. Même Axel si calme d’ordinaire semble énervé par leur façon de s’exhiber. Où est-ce juste moi qui ai un souci ? Suis-je une coincée ? Dois-je me débrider un peu, beaucoup… pour redevenir celle qui vivait. Riait. S’amusait. Aimait, il y a quatre ans de cela ?
Quand la bouche d’Axel a commencé à descendre dans mon cou, j’ai mis un temps à comprendre. Pourquoi m’étais-je déconnectée ? Pourquoi ne m’étais-je pas aperçue que j’étais le sujet de tous les regards ? De toutes les attentions, de tous les soupirs… ?
Ses cheveux en broussaille enivraient mon nez. Je humais son parfum bien avant de frissonner sous ses baisers. La chair de poule m’avait gagné à nouveau. D’un coup, j’ai fermé les yeux. Accueilli ses baisers comme des offrandes à ma chasteté. La pointe de mes seins s’est dressé. Mon dos s’est cambré. A-t-il remarqué que j’étais prête à sombrer ?
Résignée par mes envies et le trop plein d’émotions qui jaillissaient en moi, j’ai laissé sa bouche descendre de mon cou à l’orée de mes seins. Les règles du jeu n’existaient plus. Les autres n’étaient plus là. Telle une chatte égarée des plaisirs charnels depuis bien trop longtemps, j’ai savouré la balade enchanteresse qu’il m’offrait. Râlant intérieurement pour ne pas qu’il s’arrête.
Voulant le conserver à moi. Vibrer de ce qu’il faisait renaitre en moi, j’ai serré fort les cuisses pour cacher ce feu qui se rallumait dans mon antre. Brimant une dernière fois mes muqueuses qui voulaient tant s’offrir à son ardeur. Sa virilité cachée par ses vêtements…
Mais l’action était passée. Beaucoup trop vite à mon gout ! Et en un désespoir non feint j’ai du le laisser partir. Roulant des yeux vers sa bouche, en une supplication silencieuse de possession bestiale de mon corps offert à tous ses désirs impies.
* * * * * * *
- Action.
- Par ta douceur romantique et ton assurance d’homme, Axel, je te mets au défit avec quelques baisers volés, de faire vibrer notre douce Marie.
- Ok.
Dans l’allégresse des mots, le grand poète, Pascal le téméraire a lâché le fauve qui est en moi. Jamais je n’aurais osé. Jamais je n’aurais franchi ce pas ultime entre elle et moi. Et voilà que par un jeu banal, j’ai tous les droits. Toutes les possibilités. Tous les devoirs de faire ce qui m’est ordonné. Ce que je meurs de faire depuis des mois…
M’approcher de son parfum. Attraper ce que je me refuse depuis que je la connais de peur de la faire fuir, est une bénédiction. Ne réfléchissant pas à comment m’y prendre, je me suis retourné vers ma proie. J’ai fait trois pas symboliques vers elle avant de me glisser devant sa magnificence. Pas complètement à genoux pour garder cette prestance qui me caractérise mais assez pour lui imposer ma vue, je l’ai toisée. Si fortement pour ne pas lui laisser le temps de me dire non et pour me convaincre que je peux le faire. Que je me le dois de le faire.
Dans son silence et leurs rires, rien ne me perturbe. Elle n’est pas là on dirait. Ou bien n’en a-t-elle pas envi et elle n’ose pas me repousser ? Peu importe, elle ne se refuse pas alors j’y vais ! Pour une fois que j’ai une occasion en or, je compte bien la saisir ! Et jusqu’au bout !
M’approchant doucement de son visage, je l’évite. L’embrasser sur la bouche serait d’une banalité inexcusable. Son odeur est si enivrante que mes yeux s’égarent sur la fraicheur de sa peau avant mes lèvres. Plongeant dans son décolleté mais refusant d’y aller trop vite, tel un malotru incapable de savourer le met délicieux qui lui est offert.
En fermant les yeux je savoure le contact de ma joue sur la soie de son cou. Ma langue aimerait s’exprimer. L’inonder de ce flot de pulsion gourmande qui chavire mes sens mais je la retiens. La descente du creux de son épaule à l’orée de ses seins se fait câline. Tendre. Attentionnée. Si avide de la manger tout entière, mon émoi jaillit. À l’insu de tous, dans mon jean, où une force s’impose. Peu à peu, le tissu de mon caleçon me dérange. Catapultant un souci vestimentaire si fortement dans mon entrejambe que j’en perds le fil de ma dégustation.
Elle tremble. Soupire. Mes oreilles alarment mon cœur. Aurait-elle envie de moi ?
Serait-il possible que nos corps puissent s’unir ? Que nos essences ne demandent qu’une approbation pour déchainer notre passion ?
Pris dans le tourment de mes questions et l’ivresse de mon désir, je tressaille à nouveau. Les autres me rappellent à l’ordre. Le jeu doit continuer. Mais je n’ai pas envie de la laisser. Non, je ne veux pas la laisser repartir vers eux. Je la veux rien qu’à moi, tout à moi, Marie…
* * * * * * *
Sur les mots de Pascal, mon cœur s’est arrêté. Figé dans une colère naissante. Non mais qu’est ce qu’il lui prend à celui-là ? Ça ne va pas bien là haut ?! Proposer ma promise à un autre sous prétexte qu’il est du sexe opposé du notre est un affront à mon existence. Ma condition de femme libérée. De lesbienne affirmée !
Dans leur folie à tant vouloir voir Marie se décoincer, ils ont exagéré. La livrer en pâture à un animal en rut est un outrage. Heureusement qu’ils ont envoyé Axel en éclaireur ! Ce nigaud ne fera pas jamais l’affaire vu qu’il en pince pour la mono mais quand même, ils abusent là !!!
Dans le tourment que m’a causé le choc de leur délire, je l’ai regardé s’approcher d’elle. Comme j’aurais aimé le faire. J’ai soupiré devant sa maladresse sachant exactement ce qu’il lui aurait fait plaisir. Imaginant son parfum. Humant cette fébrilité qui la caractérise. Rêvant en secret d’où ma bouche et mes doigts aurait été si j’avais été celui désigné pas cette aventure buccale.
Derrière mes yeux clos, son corps nu si souvent épié dans les douches de la piscine, a pris vie. Je le sentais presque se cambrer. J’écoutais dans un souffle enchanteur sa respiration s’affoler. Ses mots me susurrer des « encore… », « T’arrêtes pas ! », « Je t’aime », « reste… » ou bien était-ce mon esprit qui allait plus vite que mes possibilités ?
Accentué par l’occasion perdue, et enjolivé par mes désirs imaginaires, mon dos s’est arrondi. Mes joues ont rosi. Mes seins se sont affirmés pendant que mon calice s’inondait d’un désir fou. Voulant. Quémandant. Suppliant qu’elle vienne s’abreuver en moi. Se délecter de nos plaisirs. Ensemble. A jamais soudés…
Sous le coup de coude de Gwenaëlle, ma rêverie a pris faim. Ma gorge s’est asséchée par la stupeur et la colère. Dans leurs rires, j’ai écarquillé les yeux pendant que cet abruti d’Axel me volait mon insouciance. Me prenait celle que j’espérais. Non mais il ne va pas la lâcher oui !
Quand leurs corps se sont séparés. Dans le fou rire ambiant créé par l’invraisemblable mélange de ces deux êtres si opposés, la vérité m’est apparue. Homme contre femme, il va falloir que je gagne ma place auprès d’elle. Surtout si je veux que ce soit moi qui lui montre les chemins de l’amour. Les délices du partage. La volupté d’une symbiose extraordinaire des sens par celle qui ressent son plaisir à l’unisson du sien. Moi !
- Allez Sofène, à toi de jouer ! entendis-je Caroline s’exclamer en un rire communicatif.