Ah, l’Amour !

Hervé Lénervé

Aujourd’hui, comme je n’ai aucune idée lumineuse, je vais essayer de compenser par un style ampoulé à 380 v triphasé.

-         Monsieur le baron, parlez-moi d'amour, voulez-vous ?

-         Sachez, jeune homme, qu'il n'est pas dans mes us et coutumes que de courtiser les invertis.

-         Excusez-moi, monsieur le baron, de la méprise. Je vous ai introduit dans une fausse piste. Je voulais que vous me parliez de l'Amour.

-         A la bonne heure ! Je préfère vous initier à cela ! Maintenant il y a Amour et amour.

-         Justement, je crains de les confondre. Je suis, voyez-vous, attiré par une jeune demoiselle et je me sonde pour savoir.  L'aimé-je ou bien l'aimé-je bien ?

-         Nous y voilà ! Comment trier le vrai amour, du faux, le bon grain de l'ivresse d'une rencontre. Les deux se présentent sous le même nom, il y a donc un imposteur.

-         Il faudrait connaître la véritable identité du vrai Amour.

-         Celle-là, mon jeune ami, personne ne la connait réellement. C'est un sentiment subtil qui ne se laisse pas cerner facilement. L'Amour est multiple, il prend des formes différentes pour chacun. Pour l'un, c'est elle, pour elle, c'est un autre et réciproquement. Il est déjà si rare de tomber amoureux, qu'on se demande par quelle circonstance hasardeusement miraculeuse, il serait possible que ce sentiment soit partagé par deux, dans le même lieu ?

-         Impossible, donc !

-         Je n'ai pas dit cela, je prétends seulement que d'une rareté singulière, on passe à une rareté plurielle confondue, donc d'impossible à improbable.

-         Vous me désespérez quand même. Jamais je ne connaîtrais de certitudes.

-         Si vous vouliez des certitudes, il fallait aimer Dieu, c'est plus aisé. Il est le même pour tous et bien mieux défini que l'Amour.

-         Mais je ne veux pas épouser Dieu ! Vous me désespérez plus encore.

-         Ne le soyez point. Pour tester le degré de votre attirance sur la jeune personne, il ne faut vous poser sincèrement qu'une seule et unique question.

-         Laquelle, dites-moi, vite !

-         Seriez-vous apte à donner votre vie, en affrontant la pire de vos terreurs phobiques, pour sauver celle de votre dulcinée, tant aimée.

-         Attendez, monsieur le baron, je demande un délai de réflexion.

-         Vous voyez, mon jeune ami, ce sursit, vous en dit long sur votre sentiment.

-         Merci, monsieur le baron, vous m'avez été fort utile.

-         De rien, quand on peut rendre service.

Et dire que j'étais prêt à risquer jusqu'à ma propre liberté chérie pour une vulgaire gourgandine.

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