Ah ! Page blanche...
mamzellemelly
Ah ! Page blanche, page blanche.
Sous mes yeux, toute ta froideur qui claque, qui résiste à l'envie de ma plume de glisser en grattant légèrement le papier. Ce petit crissement reconnu et désiré. Ces mots chéris restent embourbés. Tiens ! Ils auraient même le droit de s'étaler où bon leur semble. En haut, au milieu ; en diagonal, à l'envers ; en anglais, en petit chinois ; calligraphiés ; emmêlés…Non ! Tout de même ! Il y a des limites.
Alors, je change. Je prends du papier ligné. Sait-on jamais ? Les lignes habillant la page blanche soyez mes inspiratrices du moment, vous qui êtes là, prêtes à recevoir mes mots. Les durs, les tendres ; les lourds, les légers ; jamais faux ; toujours les vrais même s'ils inventent quelques romances affriolantes ou effrayantes. Toujours les vrais quand ils racontent le profond. Toujours ensoleillés quand ils parlent d'amour. Toujours forts quand ils viennent hurler la douleur devant l'horreur.
Mais là, que dalle ! Pas de mots.
Rien que des lignes qui restent aussi vierges que la plus pucelle des pucelles.
Je tente une diversion sur une feuille quadrillée.
Euréka !
Quelques mots à l'encre violette se succèdent. Un petit gribouillis les accompagne. Tiens ! Maintenant, c'est un arbre qui se dessine. Et là, un oiseau.
Bravo, la diversion du quadrillage !
Retourne à tes mots, bon sang !
Je relis. Nul à chier ! J'enrage.
J'arrache de sa spirale la feuille à peine gribouillée. Quel gaspillage ! Mon arbre en pleure.
Il pleure de mon incapacité à vous aligner. Vous, mes pensées, mes souvenirs, mes envies, mes rages, mes certitudes comme mes incertitudes, mes peurs, mes amours, mes histoires, mon Amour. Ma vie ! Une claque.
Je fais un pied de nez à votre résistance d'un jour, d'une nuit. A ne pas vouloir cracher mon encre violette. A ne pas vouloir jeter l'ancre juste le temps d'une page, d'un chapitre.
Je ne suis pas âme qui se résigne alors je me tourne vers mon clavier.
Là voilà cette nouvelle page à l'allure froide, impersonnelle et toujours aussi blanche.
Je veux que ça sorte, bordel !
Il faut que ça sorte. Tout ce qu'il y a là ! Oui, là, tout au fond.
Ce qui chante ; ce qui saigne ; ce qui forge ; ce qui rage ; ce qui embellit ; ce qui libère. Ceux que j'aime ; ceux qui m'aiment ; ceux qui ne sont plus. Celui qui m'ignore.
Mais l'écran me renvoie en pleine figure toute la blancheur que j'y laisse.
Moment d'évasion sous mes yeux…
Toute la blancheur d'un tapis de neige après une nuit où les flocons, dans leur danse silencieuse, sont venus couvrir le sol de ce blanc immaculé, prêt à ravir petits et grands devant une telle pureté.
Toute la blancheur des plumes d'un cygne qui s'envole, majestueux, dans un battement d'ailes et que je regarde émerveillée s'éloigner dans la lueur du soleil jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'un point à l'horizon mais accroché à ma mémoire par sa beauté.
Toute la blancheur de … cette page.
Retour à la réalité.
Eh les mots, vous allez venir ou quoi ?
Ce n'est pas la grève de l'encre violette. Les cartouches ne sont en rien asséchées et croyez-moi, j'ai une sacrée réserve prête à couler.
Prête à couler ? Tu rigoles ? Tu es sur ton clavier !
Ne commence pas à jouer sur les mots, toi.
Les mots qui ne viennent pas sur la page blanche ?
Ferme-la ! D'où tu viens d'ailleurs, toi, petite voix sans nom, sans son ? Qu'est-ce que tu as à te faufiler, toujours comme ça, sans t'annoncer, sans prendre de gants ? Cartésienne, même jusqu'au plus long de tes silences. Sache que tu n'as que la place et l'importance que je veux bien te donner.
En es-tu sûre ? En es-tu sincèrement convaincue devant ta page blanche ?
Regarde bien ma réponse pragmatique. Mesure toute la hauteur de la facilité.
Croix blanche (on en revient toujours à ce blanc) dans son rectangle rouge…
Rouge
Oh que non ! Tu ne m'embarqueras pas sur le chemin de la symbolique de cette couleur, j'y perdrais mes mots.
Tu les as donc retrouvés ?
Les avais-je seulement perdus ?
Page blanche !
Fichtre ! Tu sais appuyer là où il faut, dis donc ! Avec talent, avec brio. Vivace et tenace. Attention à ne pas pour autant, te prendre les pieds dans le tapis de la lourdeur et de la maladresse. N'oublie pas que tu n'existes que par ma volonté.
Vraiment ? On déclenche les hostilités pour voir jusqu'où je suis enracinée, moi, la petite voix sans nom, sans son ? Est-ce que nous remontons à la source, celle qui vaut ma naissance ? Est-ce que nous récapitulons les noms dans un duo parfaitement synchro ou tu veux que je prenne les commandes ? Est-ce que nous nous lançons dans un inventaire chronologique où les épreuves, date après date, sortiront leur couperet aiguisé ? Est-ce que nous répertorions les images dans un jeu subtil que nous pourrions nommer « mémo trash » ? Est-ce que nous regardons ensemble cette page blanche ?
Je t'avais pourtant prévenue de ne pas tomber dans la lourdeur et la maladresse. Et toi, petite voix sans nom, sans son, tu t'y vautres magistralement. Je te laisse un instant vivoter et, comme à ton habitude, sale habitude tu en conviendras, tu t'imagines pouvoir envahir l'espace, ouvrir les tiroirs un à un. Petite chose insignifiante qui pense qu'une page blanche lui suffit à prendre de l'importance. Regarde ce que je fais de cet écran.
Croix blanche dans le rectangle rouge. Clic et c'est terminé. Basta !
« Voulez-vous enregistrer les modifications apportées au document 1 ? »
Non mais sans déc' ! Ça débloque dans Word.
Il n'y a rien à enregistrer.
Petite voix sans nom, petite voix sans son, petite voix quand même, petite voix…
Encore une fois, ferme-la !
Re-croix, re-clic et re « Voulez-vous… ? »
Alors je regarde de plus près et je vois un point.
Un point dans toute la splendeur du violet sélectionné.
Un point dans toute la simplicité de sa rondeur.
Un point dans toute la complexité de sa tâche. Finir, terminer, clore, conclure, passer à autre chose.
Un point dans toute sa dimension sur cette page blanche.
L'ai-je tapé par inadvertance ?
L'ai-je tapé inconsciemment ?
La petite voix sans nom et sans son a-t-elle pris les commandes ?
Oh mais rien à fiche de ces questions.
Il est là ce point. Si minuscule soit-il, il a sa place...
Passer à autre chose.
Troisième clic…Immanquablement, le même message apparaît.
Trois possibilités :
Annuler – Et je m'évertue donc à résister à cette page blanche. Je m'obstine à remplir l'espace qu'il y a avant ce minuscule petit point. Je tartine ma résistance à ce vide et tant pis pour le médiocre, l'imparfait, l'inutile, l'inconséquent.
Non – Je fais comme si de rien n'était. Genre ni vu, ni connu, j't'embrouille. Une main sur les yeux, l'autre sur…La souris, pardi ! Faute d'en avoir une troisième à me foutre sur le cœur.
Sur le cœur… Quel cœur ?
Ferme-la !
Oui – Et je clique dessus, en mon âme et conscience…saine de corps et d'esprit…Et l'tutti quanti.
Oui, j'enregistre cette page qui n'a plus rien d'une page blanche, vide, sous le nom de :
« Nouveau chapitre »
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MamzelleMelly
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Maudite page blanche ! ;-)
· Il y a presque 9 ans ·Patrick Gonzalez
Joliment noircie cette page blanche !
· Il y a presque 9 ans ·erge