Aile Bleue

Awyn

Gwen est une collégienne normale, tout ce qu'il y a de plus normal. Ou pas...

Gwen Dorvat, élève de 5ème 5, est invitée au Festival de la Bande Dessinée du collège Victor Martin.

Voilà ce qui était écrit sur l'invitation qu'on nous avait distribuée à tous, en cours de français. Tout le monde l'avait reçue, mais j'étais de loin la plus contente de la tenir dans mes mains ! Il y avait quelques jours, la principale de mon collège m'avait convoquée dans son bureau. J'étais le genre d'élève qui ne se fait pas trop remarquer, au milieu d'une bande d'amies sympa, avec des notes ni trop bonnes ni trop mauvaises. Je me demandais ce qu'elle me voulait.

" - Gwen, j'ai une nouvelle à t'annoncer. Je pense que d'après tes capacités en arts plastiques et mes connaissances personnelles, tu devrais tenir un stand au Festival qui aura lieu dans deux semaines. "

M'avait- elle assené dès que j'avais mis un pied dans son bureau. J'avais sauté de joie intérieurement, et lui avait dit calmement et avec sang-froid que je serais ravie de " tenir un stand ". C'était une bien faible expression ! " Tenir un stand " au Festival de la Bande Dessinée, ce n'est pas n'importe quoi ! Elle ne fait cette proposition qu'aux élèves douées en dessin. Et ma passion, c'est le dessin.

J´étais donc rentrée à la maison avec une seule idée en tête : m'installer sur ma table à dessin et créer, créer, créer. Malheureusement, ma mère était là :

" - Non non non, Gwen, fais d'abord tes devoirs !

- Mais mamaaannn...

- Il n'y a pas de mais. Tu fais ce que je te dis, tu ne vas pas passer ta vie à dessiner ! Ce n'est pas un métier !

- N'importe quoi ! Et de toute façon, tu ne peux m'obliger à rien ! Du moins quand je serais majeure et que je choisirai mon métier !

Bon. C'est toujours comme ça que commencent les disputes avec ma mère. Je vous épargne les détails...

Le lendemain, je suis allée à l'école, bien sûr. C'était la veille du Festival. J'ai travaillé comme une malade en cours, cachée derrière mon classeur, pour rattraper l'après-midi d'hier où ma mère m'avait obligée à faire autre chose que dessiner. Résultat, je suis prête pour demain ! J'ai hâte...

La journée du Festival s'est vraiment trop bien passée, j'ai cru rêver. Et le meilleur, c'est que j'ai rencontré Thierry Monrape, mon dessinateur de BD préféré ! Il m'a dédicacé tous ses albums (que je ne possédais pas, donc il n'y en avait que deux, des collectors hyper rares !), et il m'a montré des techniques de dessin très pratiques. Bref, je m'endors avec le sourire...

Je me suis réveillée somnolente ce vendredi matin. Dans la salle de bain, j'ai enlevé mon haut de pyjama, en l'occurrence un débardeur tout simple par cette fin de printemps. Je me suis retournée pour prendre mon gel douche, et dans le miroir qui est cloué au dessus du lavabo, qu'est-ce que j'ai vu ? Deux petites marques bleues au creux de mes omoplates, aussi fines que le profil d'une aile de papillon, et d'un bleu incroyable, quasiment électrique. Stupéfaite, j'ai saisi la pierre ponce au bord du lavabo, je l'ai mouillée puis imprégnée de savon, et j'ai frotté, frotté comme une folle pour que ça s'en aille. J'avais peur. Peur de ce que ces petites marques pouvaient devenir. À la fin, ma peau était rouge vif, presque rongée. J'ai rincé la pierre, l'ai reposée doucement, et j'ai été prise de nouveau par la peur. Mêlée d'un peu d'excitation, cette fois... Qui a pris le dessus. Pas des marques de feutre, ni du tatouage... Qu'est-ce que ça pouvait bien être ? Ces petites taches, comme deux cicatrices fines, me faisaien ressentir un sentiment que je ne connaissais pas, comme un peu de peur, d'excitation, de stress... C'était étrange.

" - Dépêche-toi, Gwen ! "

Le cri de ma mère, brisant le silence, m'a sortie de ma rêverie. Ayyaa !! Sept heures douze ! Et comme matières aujourd'hui, E.P.S. et maths ! Mon prof de maths est hyper sévère, et ma prof d'E.P.S. est très précise sur les horaires... Vite vite vite !

Arrivée dernière dans la cour du collège, je me hâte vers le portail qui mène au gymnase. Ouf, ils sont encore là ! Je me précipite, et mes amies m'accueillent par les phrases traditionnelles du retard :

" - Ha t'étais où ? On voulait te parler d'Alex, il s'est passé un truc de malade ! Allez grouille-toi sinon la prof va nous voir. "

Soulagée, je rentre dans les vestiaires. Et je réalise soudain : mais comment je vais faire pour cacher les marques ? Aaah ! Je panique. Et puis je me calme, et puis je réfléchis : il y a plein de filles, la plupart des pestouilles, qui se mettent dans les douches pour se changer, sous prétexte qu'elles ne veulent pas qu'on les voie. Et bien aujourd'hui, même si ça fait vraiment débile, je DOIS me changer dans ces douches. Je prends mon sac et je file vers l'entrée. Plus qu'une douche de libre ! Vite ! Et soudain, une ombre me passe sous le nez, s'engouffre dans la cabine et ferme à clé. Noon ! Jessica ! 

Hors de moi, j'ai tapé contre la porte en lui criant :

" - Sors de là ! Je l'ai vue en premier ! "

Et fusèrent immédiatement les commentaires venus de la salle principale.

" - Nan mais qu'est-ce qu'il lui prend, à Gwen ? Elle est pas bien ? J'te jure, cette fille elle est bizarre... "

M-mais qu'est-ce qu'il m'a pris ? Une petite voix résonna dans ma tête. La Peur. C'est la Peur, Gwen...

Je suis sortie des douches et des miroirs qui commençaient à me donner la nausée tellement j'étais en colère contre cette fichue Jessica, et adossée aux porte-manteaux surchargés pour que personne ne voie mes marques, je me suis changée discrètement en ruminant dans ma tête. Qu'est-ce qu'il m'arrive, en ce moment ? Jessica et sa bande de pestes qui arrivent juste sous mon nez m'ont fait lever la tête :

" - Tu te crois où, Gwen ? m'a lancé l'une d'elles.

- Ouais, a renchéri Jessica, elle a raison ! Tu veux qu'on dise à la prof que t'as hurlé comme une malade dans les douches parce quelqu'un - elle fit une mimique moqueuse - t'as piqué ta place ? Ooooh, quel draaaaamme ! 

Je les ai laissées se moquer de moi jusqu'à ce qu'elles partent - elles se lassent vite - , puis j'ai enfilé mes baskets et me suis traînée jusqu'à la salle de sport. Ce soir-là, je me suis endormie déprimée.

Une semaine a passé. Je me suis habituée à ces marques, et je les vérifie tous les soirs et tous les matins. Justement, ce mardi matin, je me dirige vers la salle de bain. Enlevant mon débardeur, je remarque une anomalie dans les cicatrices bleues, je sursaute : elles prennent deux fois plus de place ! L'étrange sentiment, celui que mon esprit appelle la Peur, m'occupe l'esprit si bien que je reste sans voix devant le miroir. La voix de mon frère me sort de ma torpeur.

" - Bon, Gwen, qu'est-ce que tu fais, là ? Je voudrais prendre ma douche !

- Oui oui j'me dépêche ! "

Oh, qu'est-ce que je vais devenir ? Qu'est-ce que c'est que ces marques ? J'ai peur...

Arrivée au collège (nous sommes mercredi et je n'ai cours que le matin), Jessica me saute dessus. Pour une fois, non entourée de sa bande de gnangnans professionnelles. Je lui demande froidement :

" - Qu'est-ce que tu veux ?

- Je dois te parler, dit-elle d'un ton pas du tout agressif comme je m'y attendais, l'air un peu stressée. "

Elle me prit le poignet et me tira jusqu'aux toilettes. Personne. Pas un chat. Elle m'entraîna dans une cabine puis ferma la porte à clé.

" - Mais qu'est-ce que tu fais ? Tu veux qu'on se prenne une heure de colle pour avoir été dans les mêmes toilettes ?

- Tais-toi. J'ai quelque chose à te dire de très secret, alors écoute-moi. En E.P.S., quand tu t'es baissée pour enfiler tes baskets, j'ai vu ce que tu as dans ton dos.

- De quoi parles-tu ? lui ai-je répondu, stupéfaite, en essayant de cacher mon secret.

- Ne fais pas celle qui ne sait pas. Je te parle de ça parce que j'ai les mêmes. Tu comprends, maintenant ?

- Je... "

J'ai reculé, bouche bée. Mais comment c'était possible ?

" - Je sais, tu penses que c'est impossible, que je mens, tu me détestes et je comprends. Mais il FAUT que tu me croies. J'ai les mêmes et ça m'inquiète. Dis-moi, est-ce que toi aussi tu les a trouvées grossies mardi matin ?

- M... mais comment tu sais ?!

- Oh... Toi aussi... C'est vraiment anormal... Il faut qu'on s'explique tout ces phénomènes.

Rentrant chez moi, il pleut... Une femme d'apparence féline me guette du trottoir d'en face. Elle a des cheveux ondulés noir de jais, des yeux dont je n'arrive pas à distinguer la couleur mais qui sont en amande, et pour finir une paire d'ailes blanches. Quioiii que ?! Des AILES ? Je cours vers elle.

" Attendez, madame, s'il vous plaît ! J'ai une question à vous poser !! "

Mais malheureusement, sans dire un mot, elle me dépasse silencieusement à toute vitesse et s'enfonce dans les ruelles humides. La pluie commence à transpercer mes os, donc je rabats ma capuche, et, tristement, désespérée, je rentre chez moi.

Le samedi, j'avais presque oublié l'incident jusqu'à ce que je fasse ma toilette. Je pars au marché (ce samedi, c'est mon tour de m'occuper du déjeuner), le moral dans les chaussettes. Dès que j'arrive sur la grande place animée d'un monde bariolé, je vois la dame de mercredi occupée à parler, avec force, à une personne dont je ne distingue que la silhouette à cause de la distance. Je me rapproche, bien décidée cette fois-ci à faire parler Madame Patte de Velours, quand je vois enfin qui est l'interlocuteur de cette dernière : JESSICA ! Je me cache d'abord derrière un étal de fruits rouges, puis je saute sur le dos de la dame. Oups... Je ne crois pas m'être rendue compte qu'il y avait tant de monde... On nous dévisage, Jessica et moi, comme des délinquantes à peine sorties de prison. On entraîne la dame dans une petite ruelle aux magasins fermé comme il y a toujours à côté des marchés, et je dis à Jessica, qui a une tête de zombie :

" Mais qu'est-ce qu'elle t'a fait ??

- Mais rien, Gwen ! Elle m'a juste dit qu'elle devait me parler...

- C'est ça, oui, je contredis. Allez, t'inquiète, elle peut plus rien nous faire, maintenant.

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