Alain

petisaintleu

Le plus dur pour Alain, ce n'était pas le manque d'argent. Pas pour lui pour être précis. Il n'en avait pas manqué durant la majorité de sa carrière, mais il n'avait jamais oublié ses années de vaches maigres. Étudiant, il avait dû subvenir à ses besoins, son père ayant décidé qu'il devait assumer ses choix de monter sur Paris pour faire ses études. C'était pourtant ses plus belles années, crevant la dalle, jonglant entre les cours et des petits boulots pour pouvoir payer son loyer qui une fois réglé ne lui permettait d'opter que pour un régime alimentaire à base de patates et de pâtes. Pourtant il avait été heureux, car libre de ne plus avoir à subir les éternelles humiliations de son géniteur. Tellement éternelles qu'elles résonnaient et résonneraient toujours en lui, telles des répliques dont ils ne se libéreraient qu'à son dernier souffle.

Le plus dur pour Alain, c'était pour ses enfants. Il aurait tant aimé pouvoir les mettre à l'abri. Qu'ils aient le choix, sans se soucier des contraintes matérielles, à supposer qu'ils soient relativement sages et qu'ils ne se laissent pas berner par les sirènes d'un matérialisme débridé.

Le sort en avait décidé autrement. Était-ce vraiment le destin ou un coup de pouce de son inconscient à réaliser les prédictions de son ascendant qui n'avait eu de cesse de lui répéter qu'il n'arriverait jamais à rien ? Pendant trente-cinq ans, il s'était rebellé, passant de l'adolescence punk et l'idée d'un anéantissement précoce à un sursaut de fierté pour prouver qu'il n'était pas un crétin. Il avait bon gré mal gré réussi ses études pour finir par intégrer les fausses illusions du bonheur par l'acquisition d'un pavillon à crédit et des vacances dans des lieux exotiques.

À cinquante ans, tout s'écroula. Il eut bien aimé être à la mode et faire un burn out. Ce n'était pas possible. Il avait trop de résilience acquise dès sa plus tendre enfance sous les coups de martinet avinés. Il prétexta alors le respect de ses valeurs morales pour s'insurger contre les comportements éhontés de son patron envers tout ce qui n'était pas blanc, masculin et hétérosexuel. On le vira comme un malpropre sans qu'il puisse s'insurger. C'était avant l'époque des Me too et d'un retour en force d'une hypocrite valeur morale.

La déchéance prit un peu de temps. Il put s'acculturer à sa descente aux enfers : les amis qui vous quittent, accepter un travail qui ne correspondait en rien à son cursus, permettant toutefois de faire bouillir la marmite mais insuffisant pour conserver sa maison témoin d'une vie cossue révolue.

Il devint locataire d'un appartement inaccessible à tout espoir de retour vers une vie bourgeoise. Il avait dû se séparer depuis longtemps de ses livres de La pléiade. Mais Balzac, Hugo ou Zola ne l'avaient pas quitté. Comme un dernier espoir que son quartier d'adoption puisse un jour s'extirper de sa misère culturelle, on avait affublé à ses tours le nom d'écrivains qui veillaient sur des Rastignac périphériques rêvant de devenir les barons locaux du trafic de shit et exploitant des Cosette à la solde de Thénardier devenus maquereaux.

Alain se fit philosophe.  Il savait qu'il ne remonterait plus la pente qui permettrait à ses enfants de suivre les études d'une école de commerce. C'était au moins ça de gagné. Ils ne deviendraient pas des petits cons arrogants. Ce qui l'étonna le plus, c'est que jamais ils ne se plaignaient de leur nouvelle situation. Par pudeur ou par respect pour leur papa, ils n'évoquaient pas leur situation antérieure, mentant effrontément quand ils affirmaient qu'ils ne manquaient de rien.

  • "Alain se fit philosophe" : comment une phrase toute simple montre la culture et l'humour de l'auteur.
    Le reste, je ne commenterais pas, car je serais trop critique : la syntaxe un peu lourde à certains moments. Et le fond agaçant : ce personnage finalement, de quoi manque t-il ? De rien : il a une famille et des enfants en bonne santé, un toit (certes en banlieue, comme une grande majorité), une culture qu'il peut transmettre...
    La description de la banlieue est bien sombre : pas de culture vraiment en banlieue ??? Allons bon !
    Et l'allusion "retour en force d'une hypocrite valeur morale" avec les Me too contrebalance l'allusion au héros qui se serait opposé au " comportements éhontés de son patron envers tout ce qui n'était pas blanc, masculin et hétérosexuel" : un peu comme si ce personnage avait le cul entre deux chaises... Donc passages à retravailler

    · Il y a environ 4 ans ·
    Lecteur via babelio com

    misterpierre

  • Ce texte sent le vécu, la désillusion et la résilience.
    Quant aux enfants d'Alain, je comprends leur reaction : tant qu'ils savent qu'ils sont aimés, le reste leur est de peu d'importance.
    Ces épreuves vont leur forger le caractère, ils seront mieux armés pour se battre.
    Enfin, c'est ce que je dirais si ce n'était une fiction, bien sûr....

    · Il y a plus de 4 ans ·
    20180820 215246

    caza

  • Alain, le philosophe du sens commun. :o))

    · Il y a plus de 4 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

  • Les aléas de la vie, et les enfants feront comme ils pourront ...

    · Il y a plus de 4 ans ·
    W

    marielesmots

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