Alcool triste à Pékin
nahlota
Planté devant la porte, je maudis mes amis un à un et fis la promesse solennelle de ne plus jamais boire d'alcool. Ou plutôt, après courte réflexion, de ne plus jamais boire en leur compagnie… Ma première impression des lieux semblait en effet indiquer qu'une bouteille serait la bienvenue dans les heures à venir.
Pendant les 10 heures de vol, j'avais eu le temps de repasser en boucle le film de ces dernières semaines, et j'aurais pu rire de l'absurdité de toute cette histoire si je n'en étais pas le personnage principal: L. m'avait quitté brutalement, j'étais désespéré et mes copains avaient proposé une beuverie de circonstance. Devant mon air lugubre, ils avaient décrété qu'un changement d'air me ferait le plus grand bien. Après tout, je travaillais habituellement depuis chez moi sur internet et pouvais donc bien travailler de n'importe quel endroit équipé d'une connexion, je n'avais aucune obligation ni plus aucune attache, autant partir loin pour oublier plus vite.
L'alcool aidant, cette idée saugrenue avait fait son chemin jusqu'à devenir le but ultime de leur soirée. Ne prenant pas très au sérieux cette lubie éthylique, j'avais faiblement protesté avant de sombrer sur mon canapé. Erreur fatale… Mes invités avaient, eux, continué à ‘jouer' : mêlant lancers de dés vigoureux à un code alphabétique sophistiqué, créant de subtiles règles dont ils ignoraient certainement eux-mêmes les tenants et les aboutissants, le tout arrosé de fortes rasades d'alcool, ils avaient fini par conclure leur jeu de hasard aux petites heures du jour. Mon sort était scellé : je devais m'envoler pour la Chine, à Pékin plus exactement, deux semaines plus tard.
Au réveil, j'avais bien sûr cru à une blague douteuse mais leur mine contrite, entre deux éclats de rire étouffés, m'avait convaincu qu'ils l'avaient vraiment fait. Dans leur folie alcoolisée, ils avaient déjà réservé et réglé le billet d'avion et la chambre, je ne pouvais soi-disant pas faire faux bond à mes hôtes. Bizarrement, j'avais encore une fois assez peu résisté, j'étais au bout du rouleau et ne pensais pas pouvoir tomber plus bas. Jusqu'à mon arrivée devant cette porte.
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Epuisé par le vol long courrier et par notre rupture encore trop récente, j'avais hâte de m'allonger dans l'intimité de ma chambre. Je prenai donc mon courage à deux mains pour affronter les salutations d'usage et appuyai sur la sonnette. Les auteurs de cette vaste supercherie ne m'avaient même pas laissé voir ni l'annonce ni les photos, ils m'avaient simplement assuré n'avoir pas choisi le pire taudis et remis l'adresse et le nom de mon hôte locale anglophone: Isabel, décrite comme ‘jeune et plutôt bonne' par le plus délicat de mes acolytes. Bien qu'assez indifférent à mon sort, je fus tout de même un peu surpris de me trouver nez à nez avec une femme d'un certain âge qui, après avoir baragouiné quelques phrases totalement incompréhensibles, finit par me tendre une feuille de papier manuscrite. La fameuse Isabel m'y informait que, devant s'absenter pour un voyage professionnel imprévu, ce serait donc Mme Wong, sa mère, qui partagerait l'appartement avec moi. Super.
Mme Wong et moi avons vite compris que niveau communication, cela n'allait pas être simple. Je réussis tout de même à saisir assez rapidement que ma chambre était non seulement équipée d'un lit – rien de très original- mais également de fauteuils et canapés disposés à différents points stratégiques de la pièce (feng-shui peut-être ?), d'une télévision, d'un gigantesque aquarium dont je m'assurais immédiatement qu'il ne contenait pas de requin-baleine, d'une table et ses quatre chaises et d'un vaisselier où étaient entreposés verres et bouteilles : inutile de faire 15 ans d'apprentissage de la langue chinoise pour comprendre que ma chambre était le salon, et inversement. Isabel et Mme Wong avaient bien tenté de faire illusion en entourant le lit de longs rideaux roses, je n'étais pas certain que cela suffise à abriter mon intimité meurtrie. J'avais envie de mourir, ou au moins de pleurer, pour commencer. Je n'en fis rien, par égard pour Mme Wong qui continuait de gesticuler dans tous les sens en poursuivant la visite guidée, qui se déroula sans encombre, le reste de l'appartement correspondant à mes attentes d'Occidental désabusé.
Mme Wong insista ce soir-là pour me nourrir d'une soupe faite maison, composée de nouilles de riz, de soja, d'œuf cuit dur et de bœuf. Un pur délice dont le mélange de saveurs me surprit fortement. Je sombrais cette première nuit derrière mes rideaux roses, triste mais repu.
Raconter en détail la suite de ce périple si mal débuté serait trop long. Contre toute attente, à grands renforts de mimiques -qui nous valurent quelques éclats de rire- et de soupes qui me firent saliver, Mme Wong réussit au fil des jours à me faire oublier ma propre petite personne. Je repartis plutôt heureux, impatient de raconter cette aventure à mes amis. Autour d'un verre…
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