Se Laisser glisser … du côté de Kilauea
ds1973
Se Laisser glisser … du côté de Kilauea
Sept jours sur sept. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Une année passait en apnée dans les profondeurs de l'abnégation professionnelle. Et au bout de ce mouvement perpétuel, une faille spatio-temporelle pour arrêter le temps et vivre autre chose. Destination Hawaï. Quinze jours pour me ressourcer au son des vagues. A Oalu, station pour surfeurs débutants. Ne me lever le matin que pour tenter de tenir debout. Passer mes journées à attendre sous le soleil et devenir ainsi un objet flottant non identifié, bien décidé à aller la chercher. Cette première vague qui me ramènera fièrement au bord. Ma bulle d'oxygène n'aura pas duré longtemps. Juste l'instant de rester stoïque en dérapant dans l'eau, de tenter pitoyablement de me hisser sur la planche dans un dangereux équilibre. Suffisamment dangereux pour qu'en trois minutes je savonne vers l'avant le menton en axe de collision avec le bout de mon surf. Evanouissement, entaille profonde et points de suture. La sanction finit par tomber : interdiction formelle de me baigner. Il ne m'en fallut pas beaucoup pour sombrer en dépression flash mais le hasard plaça sur ma route un couple d'australiens avisés. ‘Tu verras c'est un petit paradis, créé par la nature. Un cocon idéal pour un jeune convalescent comme toi.' Je n'ai pas hésité très longtemps. Douze heures plus tard je mettais un premier pied à Kilauea, en pleine vallée de Mooloaa. Malgré un voyage chahuté et une tête placée dans un étau, l'accueil d'Anthony et d'Hami eut vite fait de me mettre en apesanteur. Je leur contais maladroitement mes mésaventures et eux me souriaient, silencieux. Je compris vite que face à une telle explosion de nature, il n'était pas nécessaire de s'encombrer de mots. Le jardin était comme sorti d'un rêve de Tolkien où tout semblait pousser avec aisance. Paradis du fruit, à portée de main, qui ne demandait qu'à être croqué. Mes hôtes me livrèrent la philosophie du lieu : ‘ne rien faire ou ne faire que ce que tu as envie quand tu en as envie, t'écouter intérieurement et respirer profondément'. Anthony prit mon sac à dos et Hami me saisit la main. En quelques minutes, au travers d'imposants bananiers, palmiers et manguiers, je découvris ce qui serait mon refuge. Je restais interdit devant cette minuscule maison qui jouait des coudes avec une végétation abondante. C'était comme si un bucheron géant s'était amusé, le temps d'une nuit, à sculpter à même l'arbre un jouet d'enfant. Nostalgie. J'applaudissais à deux mains cette régression. Une odeur de terre humide se jetait sur moi et je débordais d'envie de plonger ma main dans le sol meuble et frais. Je gardais devant mes hôtes encore quelques retenues. Je m'assombris quand j'appris que je devrais partager ce micro eden. Les dieux avaient donc décidé de faire de mes vacances un steeple-chase. Je trainais les pieds et mon sac avec le long de l'étroit escalier qui me menait à l'étage. Une longue terrasse, d'un bois patiné par les humeurs du temps, baignée par un vent doux et sucré m'ouvrait ses bras chaleureux. J'en fis rapidement le tour pour trouver Rozanne, mon inconnue, en train de lire. Elle était brésilienne, née à Sao Paolo, et ne parlait ni anglais ni français. Et moi je ne pratiquais qu'un anglais à utiliser en cas d'urgence. Nous avons échangé timidement quelques mots bancals et Rozanne a fait plein de gestes pour m'expliquer son quotidien. Je n'ai au fond rien compris. Ma colocataire avait une jambe dans un plâtre illustré et j'en déduisis que ce lieu était donc le cœur névralgique de tous les accidentés d'Hawaï. Joli concept. La chambre unique était un havre de paix, laissant à penser qu'un vieux sage thaïlandais y avait posait son empreinte. Le bois s'imposait partout et changeait d'odeur selon les pièces comme pour rappelait qu'il avait été vivant. Je dormais aux pieds de ma paoliste sur un épais et douillet futon. Un partage sans hésitation. Et tout le reste se vivait à l'extérieur, douche et repas. Notre silence. Partout et tout le temps. Nous passions le plus long de nos journées sur le deck à humer, dormir, écouter. Ecouter les oiseaux s'interpeller et les fruits, mûrs et chargés, tomber dans un bruit mat sur les gigantesques feuilles de palmier. Mais avant tout observer. Une nature stupéfiante, immobile et incomparable par ses nuits étoilées, parfois zébrées d'un trait argenté, me rappelant le surfer de mon enfance. Au bout du quatrième jour nous nous comprenions parfaitement. En venant ici, nous avions accepté de nous débrancher alors les réflexes originels avaient pris le dessus. Nous avons glissé sur le temps, acceptant de ralentir pour profiter de l'instant présent. Le septième jour, je me suis réveillé dans les bras de Rozanne, ne sachant plus comment j'avais fait pour glisser dans son lit. Peu importe. Quand nous partîmes, il était évident qu'il ne s'agissait pas d'un adieu.