Alice à Damas

Sur l'écran haute définition, la blonde journaliste bafouille, encore et encore, tel un disque rayé, les mêmes lieux-communs et clichés, recyclés comme des canettes de coca usagées. Ses grands yeux bleus écarquillés bordés de cils empâtés dans une épaisse texture noire réputée pour embellir les regards fatigués, ses paupières qui se plissent et ses iris qui naviguent de droite à gauche, de gauche à droite, sa voix mal assurée, sa main moite qui s'agrippe au micro comme à une bouée traduisent sa puérile ignorance, sa jeunesse en manque d'expérience, timide journaliste tout juste sortie de l'enfance. 

Sur l'écran haute définition, emmaillotés dans des draps blanc s'alignent des corps inertes au milieu d'une rue déserte, des visages d'enfants figés dans un cri muet, visages d'où la mort écume des lèvres fendillées, visages aux pupilles dilatées. Sur les pavés de Damas s'entassent les cadavres malmenés, pantins inanimés d'un plus large conflit d'intérêt, pions saccagés témoins de notre inhumanité. 

Devant l'écran haute définition, Alice, huit ans, regarde avec incompréhension ces poupées étalées sur les trottoirs, corps immobiles images du désespoir, ces corps échoués enveloppés d'un halo de mort, corps victimes du sort.

Alice regarde les pâtes dans son assiette bleue et verte. Des trombones beiges noyés d'un écœurant mélange rouge orangé. Alice regarde cette petite fille au yeux fermés, dans une bâche de plastique colorée, et le regard de cet homme qui ne croit plus en la paix. Alice voit inscrite dans les traits de son visage la plus profonde douleur, Alice voit ce malheur et Alice a peur. 

« Ma chérie, finis tes pâtes s'il te plaît. Et bon sang, c'est à quelle heure qu'ils passent Nos Chers Voisins ? »