Allô Maman

octobell

Défi Jetez l'encre. Thème : Erreur de numéro ; contrainte : construction en puzzle http://jetez.l.encre.xoo.it/t446-D-fi-n-29.htm

Amy leva péniblement un bras devant elle, recueillant la chaleur des rayons du soleil avec un rire incrédule. Ses yeux se plissèrent sous la lumière qu'elle faisait jouer entre ses doigts. Elle s'avança d'un pas maladroit sur la terre brûlée qui constituait la majeure partie du paysage qui l'entourait. Lentement, son bras retomba le long de son corps. Sur cette falaise, face à cette lande de trous et de bosses, de crevasses rougeâtres et d'étendues désertiques, elle se sentit minuscule. Et le sentiment de liberté qui l'avait étreint au sortir du souterrain s'étiola légèrement.

 

***

 

Elle consulta rapidement sa montre. Accélérant l'allure autant que ses talons le lui permettaient, elle ramena la lanière de son sac à main sur son épaule. Laura finissait l'école dans une quinzaine de minutes, et Amy ne voulait surtout pas qu'elle se retrouve à attendre toute seule devant le collège. Pas avec cette bande de voyous qui traînait dans les parages en ce moment. Pas qu'elle ne craigne réellement qu'ils fassent un quelconque mal à sa fille, mais Laura entrait dans l'âge ingrat, et la tentation de laisser s'exprimer sa rébellion au sein d'un groupe de ce genre serait trop grande. Elle le savait. Elle connaissait sa fille par cœur. Elles étaient faites sur le même modèle, et ce n'était pas par hasard qu'à trente ans à peine, elle avait une gamine de quatorze ans.

 

Elle entendit vaguement la sonnerie de son téléphone qu'elle avait balancé dans le fond de son sac un instant plus tôt. Elle entreprit la fouille, tout en continuant de serpenter parmi la foule londonienne.

 

« Allô ? » Répondit-elle mécaniquement, sans avoir jeté un œil sur le correspondant.

« Maman ? »

 

Un sourire attendri s'épanouit sur ses lèvres crispées.

 

« Oh, chaton, j'ai bien peur que tu aies fait un mauvais numéro. »

 

Elle traversa la route. La voiture qui arrivait à ce moment-là fit violemment crisser ses pneus. Amy leva tout juste une main pour remercier le chauffeur de ne pas l'avoir écrasée. La voix de l'autre côté du combiné ne lui disait rien du tout. Elle était bien trop jeune pour être Laura.

 

« Oh… Mais comment je vais faire alors ? »

« Eh bien recompose le numéro, tu t'es peut-être trompée. »

« Non, j'ai bien fait attention. » Répondit la voix fluette. « Maman m'a dit de faire attention ! »

« Ce n'est pas grave, chérie. Reste tranquille, on va retrouver le numéro de ta maman. Tu peux me donner son nom ? »

 

***

 

Ce fut le picotement dans sa gorge qui la réveilla. La sensation d'étouffer. Elle partit d'une quinte de toux et ouvrit lentement les paupières. Son cerveau n'avait pas encore fait les connexions nécessaires, et ne l'informait que de la douleur vivace qui circulait dans ses membres. Elle ne prêta pas immédiatement attention aux gémissements qui résonnaient à côté d'elle. Dans un râle, elle se redressa.

 

« Oh putain, c'est quoi ce bordel ? »

 

Il fallut cette exclamation pour qu'enfin, l'alerte se fasse dans son esprit. La lumière s'alluma précisément à ce moment-là, révélant la cavité dans laquelle elle se trouvait, en compagnie de deux hommes qu'elle était certaine de ne pas connaître. A première vue, du moins. Parce qu'en y regardant bien, celui qui s'était déjà levé lui semblait plus que familier.

 

« V-Vous êtes Morgan Faulkner, n'est-ce pas ? » La question semblait incongrue, mais face à ce qu'elle distinguait autour d'elle, elle avait besoin d'un minimum d'explication rationnelle. L'homme fit mine de ne pas l'avoir entendue. Légèrement courbé, comme s'il se préparait à être attaqué, il avançait vers une silhouette attachée à une lourde chaise placée dans un coin de la pièce. Celle-là même qui gémissait.

 

D'un coup, celle-ci se redressa dans un bond. Un sac en tissu recouvrait sa tête, et Faulkner, avec témérité, le lui ôta, révélant le visage d'une jeune femme aux yeux écarquillés de terreur. Ses cheveux blonds étaient plaqués sur son front trempé de sueur. Une petite pomme noire enfoncée dans sa bouche et retenue par des sangles nouées à l'arrière de sa tête la bâillonnait. Elle n'aurait pas pu défaire les liens étant donné que ses bras étaient eux-mêmes solidement attachés aux accoudoirs de la chaise. A côté d'Amy, l'autre homme – plus jeune – s'était levé, lui aussi. Ses lèvres frémirent légèrement, mais il semblait trop éberlué pour réussir à prononcer quoi que ce soit. D'un coup, dans un renfoncement de la cavité, une image apparut, sur un écran qui avait atterrit là on-ne-sait comment.

 

Les trois prisonniers s'avancèrent comme un seul homme vers l'écran, qui pour l'instant, n'affichait qu'un fond bleu, avec une musique joyeuse et dynamique pour l'accompagner. Un peu comme une musique de supermarché. Cheap. En haut à droite, on pouvait distinguer en filigrane le logo de Youtube.

 

« C'est une blague… » Fit platement Amy. « C'est un nouveau concept d'émission, c'est ça ? » Demanda-t-elle en lorgnant vers Faulkner. Le célèbre animateur télé lui rendit son regard, visiblement mécontent d'être associé à ce genre de projet.

« Si c'est une nouvelle émission, j'ai pas été mis au courant. »

« Pourtant, y'a des caméras… » Nota le troisième, en pointant un coin de la pièce, où de là, Amy ne voyait que ce point rouge qui clignotait.

 

Personne ne s'attarda sur ce détail. Personne n'en eut le temps, puisqu'un texte apparaissait enfin à l'écran.

 

 

Ils échangèrent un regard.

 

La jeune femme que vous voyez ici s'appelle Samara Antonio. Elle est coupable d'un crime. Vous avez le choix d'être ses bourreaux. Le premier d'entre vous qui aura le cran de la tuer aura la vie sauve. Les deux autres mourront à leur tour.

 

Le texte resta affiché plusieurs longues secondes, le temps qu'ils puissent totalement s'en imprégner. Ils formaient une ligne, et aucun d'entre eux ne bougea, trop hébétés.

 

La chaise sur laquelle elle est installée est une chaise électrique. Un levier se trouve à votre gauche. Il est directement relié à la chaise. Tout le nécessaire a déjà été fait. Si vous observez bien, des électrodes ont été placées sur ses tempes et ses chevilles, afin d'assurer une bonne conductivité. Elle mourra sans douleur… Sauf si vous prenez trop de temps à l'exécuter. Pensez à tout ce que vous abandonneriez si vous mourriez à votre tour.

 

La vidéo s'arrêta, et l'écran s'éteignit. Les gémissements de la jeune condamnée se transformèrent en hurlements rauques.

 

***

 

« Ecoute… » Rhys soupira. Il s'écarta légèrement du rebord du bassin, se contorsionnant pour tenter de voir où en était Liam dans ses longueurs. C'est qu'il ne l'aurait même pas attendu, en plus ! Lui il l'avait attendu quand il était allé aux chiottes ! C'était bien pour ça qu'il se retrouvait avec son smartphone dans l'eau d'ailleurs. Liam avait estimé que ces appels à répétition qu'il avait entendu devaient bien avoir une certaine importance. Tu parles ! Maintenant il se retrouvait coincé avec une gamine qui chougnait de l'autre côté du combiné, et il était prêt à mettre sa main au feu que Liam lui balancerait à la tronche ses longueurs d'avance.

 

Il ferma les paupières, blasé.

 

« J'sais pas… T'as qu'à appeler la police ! Ils sauront quoi faire, eux. C'est leur job ! Qu'est-ce que tu veux que je fasse moi ? J'y peux rien si ton père il s'est planté dans son numéro ! »

« Aidez-moi, je vous en prie… » Pleura la gamine de l'autre côté. Rhys soupira encore une fois.

« Appelle la police ! Je vais raccrocher. Et ne rappelle pas ce numéro ! Bye ! »

 

Avant que la gamine n'ait le temps de le supplier à nouveau, il raccrocha vivement. Liam arriva derrière lui à ce moment-là, s'accrochant au bord du bassin à son tour.

 

« Alors, c'était qui ? »

« Un faux numéro. » Grommela Rhys, contrarié.

« Ca a duré vachement longtemps, pour un faux numéro ! »

« Ouais mais elle voulait pas me lâcher, j'te jure ! »

« Y'en a des comme ça… Elle avait une voix de bonnasse au moins ? »

 

Rhys coula un regard désabusé sur son meilleur ami.

 

« Elle devait avoir huit ans ! »

 

Liam partit d'un grand éclat de rire.

 

« Ouais… Bon bah dépêche-toi, gros, j'ai deux longueurs d'avance ! »

 

***

 

Le jeune homme se frotta vigoureusement le visage. Il peinait encore à croire le message qu'il venait de lire, et pourtant, paradoxalement, l'idée faisait déjà son chemin. La femme s'écroula contre le mur, et prise de nausée, se pencha en avant, prête à vomir. Le présentateur télé, lui, tournait en rond comme un lion en cage, passant nerveusement la main dans ses cheveux noirs.

 

« Il doit y avoir une explication à tout ça. » Marmonna-t-il, manifestement contrarié.

« Oui, » répondit Rhys. « C'est de la folie ! »

« Une explication rationnelle, je veux dire ! Une expérience, ou je sais pas quoi. Il doit bien y avoir une sortie là-dedans ! »

 

Rhys avait déjà regardé autour de lui. Il y avait cette chaise électrique, montée sur un plateau métallique qui faisait vaguement penser à une estrade. A gauche, le renfoncement dans lequel était installé l'écran. Face à la chaise, le fameux levier mentionné dans la vidéo. De l'autre côté de l'étroite pièce, il n'y avait qu'une vieille étagère poussiéreuse, et vide, accessoirement. Il n'avait pas la moindre idée de la manière dont ils avaient pu entrer dans cette pièce. Ne trouvant pas de solution sur les murs, il leva machinalement la tête sur le plafond. Pas de trappe miracle. Alors qu'il rabaissait la tête, il eut tout juste le temps de voir Faulkner qui se précipitait vers les câbles qui couraient le long du mur.

 

« L'étagère ! » S'exclama-t-il en arrivant jusqu'au meuble. « Je suis sûr qu'elle cache la sortie ! »

 

Il appuya alors de toutes ses forces sur la paroi en bois, mais l'étagère resta parfaitement immobile. Elle avait l'air pourtant si légère !

 

« Eh toi ! C'est quoi ton nom ? Aide-moi ! »

« Rhys… » Répondit-il sans conviction, en s'approchant du meuble à son tour. A deux, ils appuyèrent de tout leur poids, mais leurs efforts combinés n'eurent pas plus d'effet que la première fois.

« Vas-y, mets-toi de l'autre côté et tire ! » Suggéra Faulkner. Rhys s'exécuta, mais sans vraiment y croire. Ils tentèrent une nouvelle manœuvre. Faulkner, constatant qu'ils étaient bel et bien coincés, laissa aller son front contre le bois.

 

Le silence s'installa lourdement dans la cavité. Amy en profita pour s'avancer jusqu'à la prisonnière. Elle l'observa longuement, et Rhys put voir son regard se durcir à vue d'œil.

 

« Quel genre de crime as-tu pu commettre pour te retrouver dans cette situation ? » Interrogea-t-elle d'une voix rauque.

« Ca sert à rien de lui poser des questions, elle peut pas te répondre. » Crut utile de faire remarquer Rhys, mais Amy semblait ne pas l'entendre.

« Qu'est-ce que tu as fait pour nous mettre dans cette situation ? » Rugit-elle brusquement, prête à sauter sur Samara. Mais Faulkner avait anticipé son mouvement, et il l'entraîna rapidement en arrière.

« Calmez-vous… » L'enjoignit-t-il en la prenant dans ses bras, où elle s'effondra. La prisonnière, sur sa chaise, avait le visage ruisselant de larmes.

 

Rhys longea lentement le mur, prêt à se fondre en lui. Ses prunelles brunes fixaient le couple. Il parvint jusqu'au levier, donc il caressa lentement le métal froid, sans jamais lâcher son regard des deux autres. Puis il leva les yeux vers le point rouge et déglutit avec peine. Etait-ce un jeu ? Etait-ce un test ? Quoi qu'il en soit, il était trop nerveux pour laisser les choses se faire d'elles-mêmes. Et si la vidéo disait vrai, il ne voulait pas que quelqu'un d'autre ait le cran avant lui de pousser le levier. Rien de tout ça n'était probablement vrai, de toute manière.

 

Il relâcha le levier.

 

Avant de s'en emparer à deux mains et le baisser vivement. Samara n'eut qu'un couinement, et se crispa toute entière sur son siège. Cela ne dura que quelques secondes, avant que Faulkner ne se jette sur le levier pour le redresser.

 

« Mais t'es complètement malade ! » Hurla-t-il à l'intention de Rhys.

« Ils ont dit qu'elle était coupable d'un crime ! » Se défendit aussitôt celui-ci, bien qu'il sente ses jambes se dérober sous lui, et les haut-le-cœur le prendre à la gorge.

« C'était pas à nous de la juger, putain ! Et on sait même p… On ne sait rien ! »

« J'en ai rien à foutre ! Je pensais pas que c'était vrai cette histoire ! Maintenant, ce que je sais, c'est que vous, vous allez mourir et moi je vais sortir d'ici ! »

 

Un lourd silence suivit l'affirmation de Rhys. Amy ne maintint pas longtemps le regard des deux hommes, et s'avança avec précaution jusqu'à Samara. Elle posa d'abord la main sur la sienne, espérant presque une réaction. Mais la jeune femme était inerte. Amy se mit alors à chercher son pouls, sans succès. Elle eut un mouvement de recul, et comme si elle avait déclenché un mécanisme quelque part, l'écran se ralluma.

 

Toujours la même insupportable musique d'ambiance de magasin. Et sur la vidéo, deux phrases. Courtes, mais implacables :

 

Rhys Wallas est un assassin. Tuez-le.

 

Rhys eut la désagréable impression que tous ses organes venaient de se précipiter dans son bas-ventre. Il fut même presque étonné que ses jambes le soutiennent encore, tant le coup de massue fut violent. Les deux autres le dévisagèrent avec incrédulité, et pendant une seconde, il fut incapable de réagir d'une quelconque manière. Puis il finit par secouer la tête, fébrilement, dans un mouvement qui ressemblait plus à un tremblement compulsif qu'à un geste contrôlé.

 

« N-non… Pitié… M… ME TUEZ PAS !! Il faut que je vive ! Je suis… Je suis jeune ! J'ai des tas de choses à vivre ! Et j'… J'ai une petite sœur qui a besoin de moi ! Elle est malade et elle peut pas vivre sans moi ! Par pitié ! » Sa voix partit dans des trémolos, et il réalisa seulement à cet instant qu'il s'était précipité sur ses genoux pendant son discours.

 

Faulkner et Amy restèrent silencieux pendant un long moment encore. D'ailleurs, ce ne fut même pas eux qui brisèrent le rythme des sanglots de Rhys, mais cette impossible musique qui allait tous les rendre fous. Rhys avait l'écran juste dans son champ de vision. Ses yeux s'écarquillèrent d'horreur au fur et à mesure que les mots apparaissaient :

 

Si vous ne tuez pas Rhys dans les trente prochaines secondes, l'un d'entre vous mourra. 29, 28, 27…

 

« Non ! » Hurla Rhys en se précipitant sur Faulkner, qui l'immobilisa en calant simplement ses mains sur ses épaules.

« Eh, calme-toi ! Personne va tuer personne ! Si c'est pour qu'on se retrouve dans la même situation que toi, non merci ! »

 

Amy, elle, fut plus radicale :

 

« La seule raison qui m'empêche de te tuer, c'est qu'il n'y a pas l'ombre d'une arme dans les parages… »

 

Mais Amy avait tort. Et il ne restait pas dix secondes avant que tous ne s'en rendent compte.

 

***

 

La pile de courrier était cérémonieusement posée sur la table de la cuisine. En face, Samara se rongeait les ongles avec nervosité. Elle savait que dans l'une de ces enveloppes, elle trouverait une autre lettre. Une qui dirait : « Je sais ce que tu as fait. » ou encore « Tu mérites de mourir. »

 

Au début, elle n'y avait prêté aucune attention. Mais au bout de la troisième lettre, elle avait commencé à se sentir mal. C'était toujours le même genre : un simple morceau de feuille blanche, sur laquelle étaient collés des lettres ou des mots découpés dans des journaux. Et chaque fois, le mot était glissé dans une enveloppe différente. Une facture, une lettre des impôts, une enveloppe en papier kraft. Une fois, elle en avait même reçue une dans un colis. Un carton uniquement rempli de papier bulle, à l'exception de cette feuille pliée en quatre. C'est à ce moment-là qu'elle avait commencé à avoir peur. Vraiment peur.

 

Et le pire ne résidait même pas dans ces lettres en elles-mêmes, mais dans le fait qu'elle n'avait pas la moindre idée du pourquoi elles lui étaient adressées. Elle n'en dormait plus la nuit. Bien sûr qu'elle avait des choses à se reprocher. Qui n'en avait pas ? Une fois, elle avait vu une fille se faire agresser dans la rue, et elle n'avait rien fait. Etait-il possible qu'on l'accuse de ça ? Une fois – et pendant longtemps – elle avait menti à ses meilleures amies au sujet d'un prétendu petit-ami. Cela valait-il des menaces ? Elle était un peu tricheuse, voleuse, et menteuse. Une fois, elle avait couché avec le fiancé de sa sœur. Aucun de tous ces crimes qu'elle avait pu commettre ne lui semblaient assez importants pour subir un tel harcèlement.

 

Alors quoi ?

 

Elle en était encore là de ces questions lorsque son téléphone sonna. Elle poussa un hurlement de terreur, puis s'empara presque avec violence de l'appareil, furieuse d'avoir réagi aussi bêtement.

 

***

 

Le coup de feu éclata si fort dans la pièce trop étroite que Rhys – pourtant encore à genoux – en tomba presque à la renverse. Dans un geste automatique, il plaqua ses mains sur ses oreilles et baissa encore d'un cran, à moitié sonné. Il ne sentit même pas immédiatement le liquide poisseux qui venait de lui gicler au visage. Il fallut que Faulkner s'écrase à genoux devant lui pour qu'il se réveille de sa torpeur.

 

Le présentateur télé baissa lentement la tête sur son ventre. Une tâche noirâtre imbibait déjà son tee-shirt collé à sa peau. Il leva un regard étonné sur Rhys, et s'écroula en avant, mort.

 

Et la musique retentit.

 

Dans un hurlement, Amy se précipita vivement sur l'écran, qu'elle martela de coups. En fait, ce n'était pas l'écran, mais une vitre en plexiglas placée à quelques millimètres pour le protéger. Presque ironiquement, le texte s'afficha progressivement, froidement indifférent à l'accès de folie de la jeune femme.

 

Mais lorsque la phrase se forma entièrement devant ses yeux, elle s'immobilisa. Elle prit même le soin de se décaler sur le côté pour que Rhys puisse lire à son tour :

 

Un seul sortira d'ici vivant.

 

Ils échangèrent un regard. Celui de Rhys était à la fois incrédule et terrifié, celui d'Amy, profondément déterminé. Derrière le jeune homme, l'étagère s'ébranla et laissa place à une ouverture.

 

Moment de flottement.

 

Et les deux prisonniers se précipitèrent vers la sortie, entamant la course dans un couloir des plus rudimentaires qu'ils prirent moins le temps d'observer que de toucher, se poussant mutuellement sur les murs pour se forcer le passage. Moins d'une minute plus tard, ils arrivèrent à une embouchure qui les stoppa aussitôt dans leur course. Ils tournèrent sur eux-mêmes, hébétés.

 

« C'est un labyrinthe… » Comprit aussitôt Amy. « C'est un putain de labyrinthe ! »

 

Ses yeux se voilèrent de larmes, mais elle les ravala aussitôt. Il fallait qu'elle s'en aille d'ici. Expérience, jeu, ou quoi que ce soit d'autre, ça ne durait que depuis quelques minutes, et elle se sentait déjà sur le point de devenir complètement folle. Et le fait de se rendre compte qu'elle était précisément en train de réfléchir à un moyen de tuer Rhys la terrifia d'autant plus. Elle s'écarta d'un bond du jeune homme, qui l'observa avec méfiance.

 

« On se sépare ! » Ordonna-t-elle d'une voix sans appel, coupant Rhys au moment où il s'apprêtait à parler. Il hocha vivement la tête.

« Ok ! »

 

Sans demander son reste, il s'enfuit dans le couloir de droite. Amy prit alors celui de gauche, qui formait un coude. A peine avait-elle tourné qu'elle se retrouva nez à nez avec un extincteur bien exposé derrière sa vitrine, tel un trophée de luxe. Et juste à côté de la vitrine, une magnifique hache-brise-vitre au manche écarlate. Un appel au meurtre. Amy s'empara de l'arme et retourna rapidement sur ses pas. Elle pria pour que le labyrinthe n'en soit pas vraiment un, et que Rhys ne se trouve pas trop loin. Et qu'il n'ait pas trouvé d'arme à son tour, accessoirement. Elle accéléra l'allure, jusqu'à courir de toute la force de ses jambes, le visage fermé, farouchement concentrée sur sa mission.

 

Lorsqu'elle aperçut sa silhouette dégingandée, elle n'hésita pas une seconde. Elle se jeta droit sur lui et frappa. La rage l'avait aveuglée, et elle n'avait pas vu que Rhys s'était retourné juste à temps pour saisir le manche de la hache à deux mains avant qu'elle n'ait pu l'abattre sur son crâne.

 

« NOOOON ! » Hurla-t-elle au désespoir. Les deux prisonniers engagèrent une lutte violente pour l'arme. Plus aucune pudeur, plus aucun scrupule ne tenait. Rhys propulsa Amy contre le mur, dont elle sentit les rugosités s'enfoncer douloureusement dans sa peau. Mais elle s'accrochait au manche avec toujours autant de force et Rhys fut entraîné dans l'élan. Il s'écrasa contre elle, et elle en eut le souffle coupé. Mais elle le repoussa aussitôt en arrière, sans laisser de temps de latence dans cette danse macabre où leurs deux corps se tenaient de part et d'autre de cette ligne parfaite formée par le manche de la hache. Les hurlements, les grognements se mêlaient à cette bataille, qui n'avait plus rien d'humain. Ils finirent par rouler au sol, et en tombant, la hache taillada le bras d'Amy, qui émit un hurlement plus fort que les précédents encore. Ce fut l'épreuve de trop.

 

Malgré sa blessure qui aurait dû l'amenuiser, elle réussit à puiser La Force. Un peu comme la mère capable de soulever un camion pour sauver la vie de son enfant. Elle parvint à arracher la hache des bras de Rhys, ignorant le claquement lugubre de ses épaules qui se déboitaient sous la violence du mouvement. Et elle frappa. Sans même lui laisser le temps de comprendre qu'il allait mourir. Elle se déchaîna, furieuse et incontrôlable, et frappa, frappa, jusqu'à ce que la chair ce jeune homme qu'elle n'avait jamais connu jusqu'à il y a moins d'une heure se confonde avec la sienne.

 

Tremblante, couverte de sang et des restes de Rhys, elle se leva, laissant tomber la hache qui n'émit qu'un bruit mou sur le sol terreux.

 

***

 

Il accéléra le mouvement, ses traits se crispant légèrement du plaisir qui lui enflammait brusquement le bas ventre. Dans un gémissement rauque, il se libéra, et la ligne de ses épaules se relâcha immédiatement. Le souffle court, il écrasa son front sur le dos de la fille, dont il ne percevait que les sanglots. Il fallait avouer qu'elle n'avait pas proprement consenti à ce qu'il s'envoie en l'air avec elle. Elle n'avait pas vraiment dit non non plus, et puis elle l'avait franchement chauffé. Comme toutes les autres, d'ailleurs.

 

Mais c'était ça le souci, quand on était une célébrité telle que lui. Toutes les filles avaient envie de s'approcher de Morgan Faulkner ! Il était célèbre, il était beau, il était charismatique, et en plus, ça faisait la troisième année de suite qu'il était élu personnalité préférée des anglais. Forcément, ça donnait envie. Elles étaient nombreuses à lui tourner autour, telles des lucioles attirées par une lampe à huile. Il en profitait largement. Il ne comptait plus le nombre de filles qu'il avait mis dans son lit. Mais malheureusement, il arrivait parfois que les choses aillent plus loin que ce qu'elles s'imaginaient En ce qui concernait les plus jeunes, surtout. C'est tellement improbable, se retrouver dans le même lit que sa célébrité préférée. Elles le fantasment, elles le rêvent. Et puis elles se rendent compte que ça arrive pour de vrai, et elles n'en ont plus tellement envie. Elles se sont fait déflorer dans l'année – voire même pas, et elles savent, au fond d'elles, elles savent qu'elles ne doivent pas faire ça.

 

« Mais c'est trop tard, ma cocotte… » Formula-t-il tout haut, dans la demi-obscurité de la chambre d'hôtel. « Une fois que t'es là, faut pas dire non. »

 

Il se retira et quitta le lit, se dirigeant aussitôt jusqu'au mini frigo situé de l'autre côté de la pièce. Alors qu'il se baladait dans sa nudité la plus totale sans aucune pudeur, la fille, elle, se recouvrit aussitôt du drap, ce qui le fit plutôt rire. Il croqua dans une pomme dont il savoura la fraîcheur sous ses dents.

 

« Tu m'en veux pas hein ? » Demanda-t-il avec son sourire le plus séduisant, et la fille, dix-huit ans à peine, secoua lentement la tête, sans conviction. « Dis-toi que t'as sauté Morgan Faulkner ! Enfin… Que tu t'es fait sauter serait plus juste, étant donné que t'as pas franchement participé. » Ajouta-t-il, songeur. « Mais c'est pas grave, t'es jeune, t'auras le temps d'apprendre. »

 

Un autre sourire.

 

« Puis au pire, la prochaine fois, t'éviteras de t'habiller comme une pute, de te comporter comme une pute, et de faire ta mijaurée. Crois-moi, ta vie en sera grandement améliorée. »

 

La fille renifla. Faulkner retourna s'installer dans le lit, et fut satisfait de voir qu'elle n'eut même pas un mouvement de recul. Il fit glisser une main le long de sa cuisse soyeuse. Et son téléphone, posé sur la table de chevet, sonna.

 

« Allô ? »

« Papa ? »

 

Il eut un mince sourire amusé, et les yeux ancrés dans ceux de la fille, il se contenta de raccrocher, sans rien ajouter.

 

***

 

La chaleur du soleil réveillait doucement sa douleur. Elle passa fébrilement les doigts sur la blessure de son bras et grimaça. Au moins, elle était vivante. Si elle avait mal, c'est qu'elle était vivante. Elle avait survécu à cette épreuve, alors elle survivrait bien aux canyons qui la dominaient.

 

Son soulagement s'arrêta ici. Précisément à l'instant où la lame du couteau s'enfonça droit dans son cœur. Faulkner serra un peu plus son bras contre sa gorge, tandis que le couteau s'engageait plus profondément dans le corps de sa victime. Amy s'effondra contre lui. Peut-être était-elle déjà morte, mais il murmura quand même :

 

« La prochaine fois, assure-toi que tout le monde est bien crevé, connasse ! »

 

Il retira vivement la lame et relâcha Amy, qui s'écroula à ses pieds. Le visage de Faulkner était cireux, et de gros cernes ombraient ses yeux clairs. Mais il arborait une mine triomphale. Le coup de feu n'avait touché aucun organe vital. Certes, il avait perdu beaucoup de sang, certes, il était dans un état de faiblesse avancée, mais il survivrait, il le savait. Il fit volte-face et retourna à l'intérieur du labyrinthe. Il avait suivi les traces évidentes laissées par Amy, tout en sachant qu'elle ne se dirigeait pas vers la bonne sortie. Les fils, il fallait suivre les fils.

 

***

 

Le milliardaire était enfoncé dans son fauteuil. Dans un cliché qu'il prenait grand soin de cultiver, il portait une robe de chambre écarlate et un magnifique foulard de soie vert bouteille. A sa main, son cigare s'était éteint depuis longtemps. Et à côté de lui, sur sa petite tablette, les glaçons de son whisky s'étaient mélangés à l'alcool.

 

Lui, il était bouche bée devant son écran géant.

 

« Bon dieu d'bon dieu ! » S'exclama-t-il avec enthousiasme. « Bon dieu mais c'est excellent ! Barry, comment avez-vous eu une telle idée ? »

 

Il tourna la tête vers l'homme qui se tenait debout dans l'ombre, les mains jointes devant lui. Le majordome s'inclina légèrement.

 

« Vous m'aviez suggéré d'utiliser le bunker, monsieur. Ca m'a donné des idées. »

« Eh bien vous êtes un génie, Barry ! Un génie ! Je savais que je pouvais compter sur vous quand je vous disais que je m'ennuyais ! C'est remarquable, excellent ! J'en veux encore ! Faites-moi une deuxième saison ! »

« Bien monsieur. » Répondit sobrement Barry en s'éclipsant de la pièce. Le milliardaire reprit sa position dans son fauteuil, un large sourire aux lèvres, tandis qu'il admirait l'adolescente qui peinait à ouvrir la porte de son bunker, pas déterminée à lâcher le fusil qu'elle avait à la main. Ses cheveux bruns étaient collés sur son visage, qu'elle recouvrit vivement de l'ombre de sa main, lorsque le soleil du désert l'agressa. Dans un hurlement, elle se précipita sur la route bitumée qui se dessinait devant elle. Le milliardaire, pour connaître l'endroit comme sa poche, puisque c'était là qu'il y avait installé son bunker, savait qu'elle trouverait de l'aide rapidement. Du monde circulait sur cette voix.

 

Il ralluma son cigare, amplement satisfait. Peut-être même que pour la deuxième saison, il inviterait des amis. Barry, de son côté, était déjà en train de s'organiser, ciseaux à la main, prêt à traumatiser sa nouvelle victime du nom de Samara Antonio.

 

***

 

« Allô ? »

« Maman ? »

  • Oh dis donc, il est pas mal votre texte ! ;)

    · Il y a environ 10 ans ·
    Vintage headless man by hauntingvisionsstock 1

    Yannick Darbellay

  • Ton texte il est sublime et l'autre soir j'ai failli faire "Pouuuaaaah" mais je chope toutes tes expressions c'est abusé, alors j'ai fait "Waow" parce que j'étais sur le c** :)
    Ton texte m'as soufflée parce que c'est un des textes les plus élaborés que j'ai lu de toi. ton écriture prend sans cesse de la force et de la structure, et c'est juste un bonheur de te lire.

    Merci pour ce cadeau en tout cas !

    · Il y a environ 10 ans ·
    20130820 153607 20130820153847362 (2)

    rafistoleuse

    • Pfff mais rien que pour répondre à ton commentaire, il m'a fallu 50 tentatives >_<
      Bref, merci à toi d'avoir lancé ce défi ! Et comme je disais, j'suis contente déjà de l'avoir écrit. Alors si ça plait, c'est encore mieux ! :p

      · Il y a environ 10 ans ·
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      octobell

    • mdr !! Economises toi les nerfs et ne répond pas à celui-là XD

      Ça "plus que plaît", t'as vu le commentaire d'ATea ^^'

      · Il y a environ 10 ans ·
      20130820 153607 20130820153847362 (2)

      rafistoleuse

  • GNAAAAAAH miracle ! Ca a marché !!
    Je prie toute ma liste d'abonnés de me pardonner pour l'invasion soudaine de notifications venant de ma part. C'était un bug incontrôlable et SUPER CHIANT !!! En espérant que ça n'ait pas provoqué de votre part une haine à mon encontre suffisamment terrible pour ne pas lire mon texte !

    · Il y a environ 10 ans ·
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    octobell

    • Redirigez votre haine ailleurs ^^'
      Suivez mon regard ....... lol

      · Il y a environ 10 ans ·
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      rafistoleuse

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