Allongée dans les cieux

mamzelle-plume

Les paupières closent, la jeune femme se prélassait dans la moiteur hivernale du linceul mentholé. Les fébriles fils verdoyants ondulaient selon la ferveur du souffle glacé, caressant fiévreusement son visage diaphane. Ses frêles gambettes épousaient la fraicheur nouvelle, prodiguée par le carré d'herbe céladon. Son aura crépusculaire lui offrait une protection des plus angélique.

Déroutante. Elle l'était.

Eternelle compagne à la peau blafarde. Elle les accompagnait dans leurs périlleux voyages. En effet, la présence de ce séraphin dans ce lieu ossuaire paraissait n'être qu'une furieuse hallucination. A ses côtés le monde redorait incontestablement un nouveau visage. Elle envahissait l'espace, tel une plante grimpante cherchant le moyen d'atteindre la chaleur réconfortante d'un soleil éclatant de brillance. Une ambiance insolite se propageait, tandis que la jeune femme ne semblait n'être qu'une image utopique.

Irréelle. Hégémonie de virtuosité. Elle déployait ses ailes.

Ses cheveux cendrés reposant en éventail sur le gazon mortifié, contrastaient avec les reflets fameux de l'émeraude pailletés. Soudain, son corps pourtant plongé dans un demi-sommeil se cambrait dans un spasme familier. Tandis qu'un frisson remontait insidieusement, la pointe de ses pieds jusqu'à son échine dénudée.

Frémissante.

La vision chimérique de la jeune brune se désagrégeait au gré de son épanouissement. Sa poitrine qui auparavant se soulevait dans une cadence mélodieuse, se saccadait. Son songe semblait n'être que mensonge, la terreur remplaçait la douceur vertueuse d'une rêverie doucereuse. D'agréable l'ambiance devint pesante.

La bulle qui l'englobait, venait d'éclater, dans une sonorité dépendante du souffle haché de la détentrice. Celle-ci, dos largement étendu sur le sol filandreux laissait s'extirper d'entre ses lèvres de petits mugissements, coutumier d'une personne qui s'éveille suite à un long sommeil. La demoiselle émergeait de sa transe, comme touchée par une illumination divine. Ses paupières violacées difficilement s'ouvrèrent au monde. L'obscure clarté de cette aube rougeoyant la forçant à battre des cils, afin de s'habituer à la brillance des cieux.

La chose faite.

Elle prit soudainement conscience de l'heure qui s'était écoulé. Alors tel un félin enhardit par une chasse tumultueuse. Elle s'étirait de tout son long, tordant son petit corps dans de larges mouvements, aérobics. Puis, levant au ciel ses deux cylindres blafards qu'étaient ses bras, elle prit place en position assise fixant l'horizon de son regard embué. Tandis que d'un œil avisé, son corps se voyait encerclé par un sol revêtant les étoiles des cieux. En effet, le soleil jaloux, astre à la clarté rougissante éclaboussait l'herbe noire, laissant des flaques de lumière redorer la brillance de la fameuse toison. 

L'injuriant par sa nonchalance. La jeune femme laissait gambader ses mains blafardes sur le sol charbonneux. La froideur hivernale avait engourdi ses muscles, rendant son geste fébrile. Pourtant, les doigts osseux et striés d'engelures ne cessaient de jouer avec les brins d'herbe. Traçant comme des rosaces sur son cheminement. Surveillant le moindre de ses mouvements, geôlier imperturbable, l'aube pourpre paraissait la maudire, au fur et à mesure que le ciel semblait s'obscurcir. En bas l'atmosphère était différente, un cadre idyllique semblait l'entourer, jurant parfaitement avec le contexte pesant du lieu.

Symbole de justesse. Vestige de vielle promesse.

Les yeux éclatant de brillance, la jeune femme se hâtait. Hélas, le temps lui manquait. Ses sens s'enhardissaient face à ce spectacle d'une splendeur funeste. Au loin, l'on pouvait voir s'esquisser le portail vétuste et délabré qui au fil des années s'était morcelé, se teintant d'un argentée rubescent. Le pavillon de ferraille, comme simple muraille vers un monde où le repos éternel perdurait. Le long des barreaux croissaient des boutons fauves, leurs tiges semblant enserrer les cylindres de leur beauté sauvage.

Elle frémit.

La demoiselle remuait ses pieds, trépignante d'excitation. Ses bottines cloutés folâtraient ensemble sur le sol verdoyant, son geste comparable à l'impatience d'une enfant.

Effervescente de vice. Dissimulatrice indécente.

Paradoxe d'une perfectible indolence.

Le linceul menthe à l'eau dans lequel, la brune se reposait semblé n'être que parfaite allégation de sa sombre imagination. Tant l'ambiance idyllique de cette clairière semblait en contraste avec les catacombes évoluant, au large de la modeste cloison. Nulle ne pouvait estimer la douloureuse tension qui semblait la torturer. Pourtant face à ce spectacle d'une telle beauté, la belle ne put que réprimer un soupir de contentement. Dévoilant une belle rangée de dents blanches, la jeune femme se redressait sur ses pieds courbaturés. Dans un mouvement aérien, là voilà fin prête pour sa quête routinière.

Le vent d'humeur vicieux remontait allègrement le jupon en dentelle de la fausse ingénue, caressant avec délicatesse la peau ivoire de ses cuisses. Elle gambadait. Ses prunelles iris effleurant d'un regard émerveillé la nature florissant à ses côtés. D'un pas nonchalant, et avec une telle candeur qu'on ne semblait la reconnaître. Traversant le sentier où reposait un dégradé de couleurs, aux allures de sentinelles. Jonquilles, pâquerettes, tulipes, violettes cohabitaient ensemble conférant au paysage un nouveau visage. Elle arpentait le chemin, ses bottines en cuir résonnant dans un vacarme ahurissant. Son pas empressé jurait avec la sérénité et le silence d'or qui auparavant régnait.

L'aube rougissante s'en allait se cacher derrière les hautes montagnes. Laissant place à un ciel noirci parsemé de petites étoiles de papier crépons. Bientôt, le monde redorerait sa chemise de nuit, pour se plonger dans l'obscure nuit. Elle n'avait que peu de temps.

Accélérant le rythme de sa marche, elle traversait le portail vermeil. Inspirant. Expirant. Inspirant de grande bouffée d'air fraiche. L'oxygène se répandant à la vitesse d'une drogue pour mieux emplir ses poumons. Elle connaissait le chemin par cœur. Elle savait où se rendre, toujours le même itinéraire. Comme dans un rêve, elle aurait pu fermer ses paupières et se laisser guider par ses petits petons. Mais ce serait cruelle trahison, que de refuser de céder à la tentation d'explorer de son regard, les environs boisés.

Elle pénétrait alors dans leur dernière demeure. Dans une fosse infinie, où sa présence pourrait s'avérer dérangeante. Pourtant, la brune ne faisait cure des avis des passants. Ici. Elle se sentait agréablement bien. Le silence, la sérénité émanant de ce jardin des allongées l'enhardissait de bonnes pensées.

Cette occupation pouvait sembler perverse pour les simples d'esprits. Cependant, elle menait à bien sa passion sociale, et ce avec un incommensurable respect. Pour la belle, ses actes n'étaient pas jugeables. Et encore moins analysable. Mais peut-être était elle trop naïve pour appréhender la réaction des personnes dites « saines ».

Son regard caressait les allées d'un œil bienveillant. La brune détaillait chaque feuillage, chaque pierre, chaque gravure qui conféraient aux nombreux mausolées toutes leurs prestances. La chevelure cuivrée de la demoiselle balayant son visage, doucereusement. Hâtivement, elle s'était élancée vers leurs sépultures. Les dentelles de sa robe noire caressaient allègrement sa peau nue, au fil de sa marche.

Elle s'accroupit. Humblement.

A nouveau. Elle faisait face à une pierre tombale. Les inscriptions lui étaient familières. En effet, ce n'était pas la première fois qu'elle se retrouvait ici bas. Toutes ses angoisses s'évanouissaient lorsqu'elle pénétrait dans ce lieu macabrement sain. Le repos éternel. Elle pouvait enfin l'atteindre. Alors comme une cassette que l'on rembobine indéfiniment. La brune répétait les mêmes actes. Encore, et encore. Jour, après jour. Car elle ne connaissait que cela. C'était la seule et unique chose qui lui faisait du bien dans ce monde.

Assise sur ses genoux, elle se sentait comme face à un cénotaphe. Le nom, le prénom, les dates, ne lui apportaient rien de nouveau. La jeune femme se contentait de fixer avec une certaine fascination les différentes gravures et le socle protégeant l'âme du défunt.

Le vent glacial lui griffait la peau, sa modeste veste en cuir ne la protégeait guère du temps. Cependant, elle semblait comme en transe. Nulle n'aurait pu interrompre ce moment. La paume de sa main d'une doucereuse chaleur vint rencontrer la froideur et la dureté du marbre. Comme-ci, elle déchiffrait pour la toute première fois les mots gravés sur la tombe. Son geste se fit fébrile. Tandis qu'elle se perdait dans les tréfonds d'un monde où personne ne détenait le pouvoir de l'en sortir.

Son regard semblait se brouiller, remuer sous les flots de son passé. Pourtant, sous l'œil fiévreux des étoiles, elle esquissait un léger sourire. Un sourire d'une maladresse habituelle à son comportement parfois déluré. A cette heure, personne ne venait dans ce lieu ossuaire. En même temps, ce n'était pas comme-ci les gens adoraient rendre visite à leurs morts. Cela demeure un endroit tristement funeste. Cependant, la jeune femme ne partageait pas leurs avis. Il n'y avait qu'elle. Seulement elle et les spectres du monde d'autrefois. Et c'est en cela, que la belle aurait pu visiter chaque caveau, et ce des heures durant. Sans jamais s'ennuyer.

Perdue dans les méandres de sa contemplation, elle ne vit pas qu'un œil indiscret semblait l'épier. Au loin, cette personne voyait son visage se tordre dans un air éberlué. La surprise et l'exaspération laissant place à un sourire terriblement indéchiffrable.

 

  • Le philosophe : la locomotive de la tendresse accroche ton wagon de prestances.
    Le poète : la locomotive de la tendresse est heureuse de savoir ton âme sur les rails de la franchise vie, tendresse, Dimir-na

    · Il y a plus de 9 ans ·
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    dimir-na

  • Oups ce texte est très long!!! et prenant!!! Pour ma première lecture, je suis servie... je vais t'avouer que j'aime me balader dans les cimetières... Ah!!! Kiss

    · Il y a environ 10 ans ·
    One day  one cutie   23 mademoiselle jeanne by davidraphet d957ehy

    vividecateri

    • Oui effectivement, pour être long, il l'est ! Ah bon ? Et bien nous partageons.. cette étrange passion. Sans voyeurisme aigu, je leur trouve cette tranquillité et cette ambiance si spéciale et pourtant si délicate par moment... Que ce soit dans un cimetière ou non, les âmes du passé errent de partout... ah.
      Encore merci pour ton passage, c'est toujours très agréable.

      Au plaisir :) !

      · Il y a environ 10 ans ·
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      mamzelle-plume

  • Déroutant et envoutant ! Et ta plume en est d'autant plus surprenante, irréel .. Je n'ai qu'une envie lire le devenir de cette demoiselle ? Fin intrigante...
    En somme, je suis conquise.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    981168231

    meredith

    • Merci beaucoup, Meredith. Une fin en suspens, je te l'accorde. Merci encore.

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Img 3458

      mamzelle-plume

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