Amer aveu (2)

wen

Episode 2 de ma contribution pour le concours Paris Polar 2014.

Résumé de l'épisode précédent :

Sébastien, jeune actif parisien, a été victime d'un accident de la route qui ne semble pas n'être qu'un simple accident. Son état est grave. La police est saisie. Ses plus proches amis sont à son chevet à l'hôpital.



Sa dernière phrase fit l'effet d'une bombe.

Esther manqua de perdre connaissance juste après avoir poussé un cri d'horreur que ses propres mains tentèrent d'étouffer dans sa bouche. Elle s'effondra sur le sol du couloir de l'hôpital. Julien sentit son cœur se serrer dans sa poitrine. Ses poings se serrèrent jusqu'à blanchir les jointures de ses doigts. Esther s'écroula tandis que François restait debout, impassible, comme sonné, groggy.

Même le commissaire, aussi aguerri qu'il puisse être, n'avait jamais souhaité de toute sa carrière qu'une tentative de meurtre se transforme effectivement par un meurtre. En l'état actuel des choses, il ne pouvait pas en dire plus. Pour autant, de son point de vue, l'affaire était entendue. Ce n'était pas un simple accident de la route, c'était une tentative de meurtre prémédité. La seule chose qui l'empêchait d'utiliser le terme d'assassinat, synonyme de réclusion criminelle à perpétuité, était que la victime n'était pas morte. Pas encore.

Il décida de prendre les choses en main et remercia le médecin. Ce dernier trop content de pouvoir échapper à la situation prononça un rapide je vous en prie, puis s'en alla vers un autre patient, une autre histoire, d'autres vies probablement brisées.

Esther pleurait à terre. François s'était assis sur un siège qui trainait là. Julien regardait fixement le commissaire, luttant visiblement contre l'émotion. Ce dernier s'adressa à lui.

— Il faudrait que je puisse rencontrer et discuter assez rapidement avec vous tous, lui dit-il d'un ton paternaliste. J'ai noté dans son journal d'appels qu'il avait souvent été en contact avec un certain ou une certaine Stéph', c'est enregistré ainsi dans son téléphone. Vous voyez de qui il peut être question, demanda-t-il.

— Oui, oui, bien sûr, fit Julien d'une voix à peine audible. C'est Stéphanie. Elle faisait partie du groupe d'amis il y a quelques temps. Les relations s'étaient distendues ces derniers mois mais ce n'est pas très étonnant qu'ils soient restés en contact, ils s'appréciaient bien.

— J'ai préféré prévenir la personne qu'il avait le plus appelée ces derniers jours dit le commissaire en s'enquérant par la même occasion auprès de Julien de la manière dont il avait été prévenu lui-même. Ce dernier fit le lien immédiatement.

— Oui, c'est Esther j'imagine. Ma femme, fit Julien en lui posant la main sur l'épaule.

Elle venait de s'asseoir contre le mur en pleurant encore à chaudes et lourdes larmes. Le commissaire fit un signe de tête affirmatif en consultant son calepin. Julien reprit.

— Ils ont été régulièrement au téléphone ces derniers jours pour des problèmes informatiques. C'est le métier de Sébastien et Esther ne cesse d'avoir des problèmes qui n'arrivent qu'à elle.

Julien prononçait régulièrement cette remarque avec humour, mais cette fois-ci elle ne lui arrachât pas le moindre rictus.

— Oui, je sais ce que c'est, répondit le commissaire en faisant la moue. Puis il se reprit, conscient que le moment n'était pas approprié pour des digressions informatiques. Je vais prendre vos coordonnées. J'ai déjà vos numéros de téléphone, précisa-t-il comme une évidence, il me faudrait juste vos noms de familles et adresses respectives. J'ai quelques détails à vérifier avant donc… le commissaire réfléchit puis reprit. Pouvez-vous passer me voir à mon bureau en début d'après-midi, conclut-il en lui tendant une carte de visite.

Julien lui répondit que cela ne posait aucun problème, ils s'arrangeraient. Le commissaire le remercia, jeta un œil vers l'agent en faction devant la porte juste avant de lui faire un signe signifiant que nul n'avait le droit de rentrer dans la chambre.

— A tout à l'heure alors, lança-t-il à Julien tout en regardant Esther et François, juste avant de s'éclipser d'un pas rapide.

Les trois amis se regardèrent les yeux embués. Ils surent que la journée allait être très longue.

 

Ils se présentèrent tous les quatre à l'accueil du commissariat indiqué sur la carte de visite. L'agent de police à l'accueil prévint le commissaire Ronsmans et ils furent invités à se rendre dans le couloir où se situait son bureau.

Le gardien de la paix les ayant accompagnés leur indiqua une rangée de sièges en plastique moulé contre le mur et leur demanda d'attendre ici. Quelqu'un viendrait les chercher. Alors qu'Amandine et Esther s'asseyaient, le commissaire Ronsmans déboula comme une furie au bout du couloir, visiblement occupé et pressé. Julien et François lui adressèrent un signe de la main.

— Ah oui, fit-il comme s'il venait de se souvenir de la raison de tant de visiteurs dans son couloir. Je suis à vous tout de suite, leur dit-il juste avant de refermer la porte de son bureau.

Les deux hommes comprirent qu'ils étaient là pour un petit bout de temps et s'assirent à côté de leurs compagnes respectives.

L'activité battait son plein dans le commissariat. Le silence entre eux pesait lourd et étouffait chacune de leurs pensées. Chaque son provenant des bureaux était démultiplié et résonnait dans le crâne de chacun.

Quelques heures plus tôt, François n'avait pas osé appeler Amandine pour lui expliquer la situation par téléphone. Il lui avait juste demander d'oublier tout ce qu'elle avait prévu de faire pour la journée et lui avait demandé de les rejoindre dans une brasserie proche du commissariat. Personne n'avait pu avaler quoi que ce soit. Ils avaient à peine parlé. Les dernières informations médicales sur l'état de Sébastien n'étaient pas bonnes. S'il se réveillait un jour, le médecin leur avait expliqué qu'il ne serait de toute façon jamais plus le même. Il ne serait jamais plus celui qu'ils avaient connu.

Se retrouver attablés tous les quatre leur semblait incongru, presque obscène alors que le dernier larron de l'équipe luttait entre la vie et la mort. Ils se remémoraient tout un tas de moments avec lui. Ils arrivèrent même à rire parfois en repensant à des situations cocasses où lui seul avait le don de se fourrer. La grande énigme était de savoir quelle pouvait  bien être la dernière qui lui valait de se trouver là où il se trouvait. Toutes les hypothèses furent évoquées, y compris les plus farfelues. Le fait que le commissaire ait évoqué Stéphanie ne manquait pas de questionner l'ensemble des membres du groupe autour de la table. Aucun des quatre n'était en mesure de dire pourquoi elle resurgissait ainsi et le rôle qu'elle pouvait bien avoir dans cette affaire. De l'avis général, Stéphanie n'avait jamais été une source d'ennui. Elle n'était pas une amie très proche mais pour autant tous la connaissait de longue date, excepté Amandine, puisqu'elle-même presque nouvelle venue dans le groupe.

De surcroît, même si elles avaient été suffisamment intelligentes toutes les deux pour l'éviter, une certaine forme de rivalité existait entre elles-deux. Au début de sa relation avec François, Amandine fut rapidement invitée à partager les soirées entre amis, puis ensuite, les week-ends communs de trekking de la bande. Elle fut très rapidement mise au courant que François et Stéphanie avaient vécu une histoire ensemble de plusieurs mois à l'issue de leurs études communes. Elle comprit, et celui lui fut confirmé par les autres pour que les choses soient claires, que Stéphanie et François avaient vécu ensemble, s'étaient aimés, et avaient fait des projets ensemble : achat d'appartement, enfants, famille, etc.

Malheureusement, cela ne se concrétisa pas. Stéphanie mit fin à la relation avec François à un moment donné sans que personne ne sache vraiment pourquoi. Elle s'écarta d'elle-même du groupe tandis que Julien et Sébastien prirent en charge leur ami pour lui remonter le moral. Il fallut plusieurs mois avant de digérer l'épisode. Sébastien fut très proche de François à cette époque et une amitié sincère et profonde se noua entre eux deux.

Depuis, François avait rencontré Amandine et tout allait pour le mieux. Sébastien continuait à jouer son gai-luron régulièrement. Ces derniers passaient régulièrement des soirées ensembles à discuter, et à s'amuser. L'un et l'autre se connaissaient parfaitement et ils s'étaient fait, au fil des ans de profondes et importantes confidences.

 

Le commissaire Ronsmans ouvrit la porte et passa son visage par l'entrebâillement. Il les salua tous à nouveau rapidement. Il semblait préoccupé.

Le commissaire consultait nerveusement les feuilles volantes qu'il tenait en main. Sans prononcer le moindre mot, il s'avança pour sortir de la porte et s'arrêta au milieu du couloir. Il semblait chercher ses mots et son visage était marqué par l'embarras. Son comportement était symptomatique de quelqu'un qui avait quelque chose à dire mais qui avait vainement cherché durant de longues minutes comment le dire. Puis, en désespoir de cause, le commissaire se lança, faisant confiance à son expérience et aux habitudes acquises au fil des ans.

— Bien, voulez-vous me suivre tous s'il vous plait. Mon bureau n'est pas assez grand, dit-il sans chercher à s'excuser le moins du monde. Nous allons donc trouver un autre endroit, termina-t-il en indiquant le chemin au groupe.

Tous se levèrent d'un seul geste, impressionnés par les lieux et l'activité policière ininterrompue depuis qu'ils étaient arrivés. Le commissaire les invita à entrer dans une salle quelques mètres plus loin dans le couloir. C'était une salle où se faisaient habituellement les briefings d'équipe et les réunions de manière générale. Elle était dépouillée. Une quinzaine de sièges hors d'âge étaient repliés contre le mur du fond. Le commissaire resta debout devant eux au milieu de la pièce et les invita à prendre une chaise pour s'asseoir. Ceci fait, il se racla la gorge et commença.

— Mesdames, messieurs, j'ai une triste nouvelle à vous annoncer dit-il en regardant chacun dans les yeux à tour de rôle. Je viens d'avoir un appel de l'hôpital. Votre ami, M. Sébastien Soubral est décédé.

Esther et Amandine éclatèrent en sanglots immédiatement. Julien entoura l'épaule de sa femme de son bras et la prit dans ses bras. Il la serra fort autant pour tenter de la réconforter que pour contenir ses propres larmes. Ses efforts ne furent pas suffisants. De grosses larmes coulaient silencieusement sur ses propres joues. François, impassible, posa sa main sur la cuisse d'Amandine. Elle-même pleurait à chaudes larmes le visage plongé dans ses mains.

Le commissaire Ronsmans les regarda gêné, ne sachant visiblement pas comment réagir. Il se dit à lui-même que définitivement, des années de métier ne changeront jamais la douleur des visages à qui l'on apprend la mort d'un proche. Ni les visages, ni la cruauté de ce moment. Malheureusement, en sa qualité de gradé, c'est souvent à lui qu'incombait cette tâche laide, obscène, et répugnante. Décidément, il y a des aspects de son métier auquel il ne se ferait jamais.

Quelques instants plus tard, il se tourna vers l'officier qui s'était discrètement installé près de l'unique porte de la pièce et lui fit un signe de tête discret. Le policier sortit puis revint après quelques instants, patientant derrière la porte vitrée avant de rentrer. Il attendait visiblement un signe du commissaire. Ce dernier se racla la gorge et reprit.

— Ce ne sont pas les seules informations nouvelles en ma possession.

 

A suivre…


  • vous savez bien nous tenir en haleine.... à demain

    · Il y a presque 10 ans ·
    Au rayon des livres

    chloe-n

    • Eh ! C'est tout l'intérêt ! Tant mieux si ça marche, ça me fait très plaisir.
      Comme je le disais à Woody ci-dessous, cette petite histoire m'a donné beaucoup de mal, je n'étais vraiment pas à l'aise avec le style polar.
      Pour autant, j'avoue que j'aime bien être un peu sadique avec mes lecteurs et la formule de l'histoire à épisodes permet de laisser traîner les choses de jour en jour pour faire monter un peu la mayonnaise...
      Si elle prend, alors c'est tant mieux !

      Rdv demain donc pour le 3ème et dernier épisode.

      · Il y a presque 10 ans ·
      Francois merlin   bob sinclar

      wen

    • 3 épisodes ? c'est tout ?
      ah non Wen ... d'habitude on a 10 à se mettre sous la dent !

      · Il y a presque 10 ans ·
      Img 5684

      woody

    • Ben oui, je sais mon Woody mais que veux-tu... je vieillis !
      ;-)
      Et puis c'était les contraintes du concours initial, je ne pouvais pas me lâcher autant que d'habitude.
      Mais promis, je vais essayer de faire une petite histoire un peu plus longue pour les semaines à venir.
      Je ne garantis rien mais le format 8/10 épisodes me manque en effet un peu (étant donné que je me suis consacré ces dernières semaines quasi exclusivement à des concours de format court).

      · Il y a presque 10 ans ·
      Francois merlin   bob sinclar

      wen

    • Ce n'est pas sadique, c'est l'essence même du polar : tenir en haleine et éventuellement intégrer des rebondissements inattendus.

      · Il y a presque 10 ans ·
      Au rayon des livres

      chloe-n

    • Il ne reste plus qu'à espérer que la fin sera à la hauteur des attentes...
      :-)

      · Il y a presque 10 ans ·
      Francois merlin   bob sinclar

      wen

  • ah ah ah .... nous y voilà ... vas-y Wen envoie la sauce !

    · Il y a presque 10 ans ·
    Img 5684

    woody

    • Et oui, tu commences à me connaître, c'est maintenant que ça va partir dans tous les sens (enfin... un peu !).
      On en reparle demain mais j'avoue que le style du polar m'a posé pas mal de difficultés. Tu me diras si ça te convient.

      · Il y a presque 10 ans ·
      Francois merlin   bob sinclar

      wen

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