Andorre

Jean Pierre Squillari

Les séjours touristiques dans la Principauté d’Andorre valent surtout  par le bénéfice commercial que l’on peut en tirer.

Nous avions décidé de passer une fin de semaine dans cette Principauté qui a l’originalité d’être à la fois sous l’autorité d’un évêque et de notre Président de la République. Cela était le dernier de nos soucis, il fallait rentabiliser le voyage en ramenant tels les corsaires du XVème siècle le butin amassé lors de notre séjour dans cette Principauté. Ce minuscule pays a l’avantage d’avoir ses marchandises soumises à une taxation particulièrement avantageuse. Les Surcoufs et autres Jean-Bart des temps modernes, n’avaient que faire du quota imposé par les autorités françaises, ils sauraient déjouer facilement l’équipe de douaniers en poste à la frontière. Au fait, j’ai omis de vous dire que c’était le temps où Schengen n’avait pas encore aboli ce genre de tracasseries. Il y avait des douaniers en ce temps là !!

Nous avions plus d’un tour dans notre sac. Dans l’association nous connaissions un gradé douanier que nous appellerons « Lucien ». Il suffirait d’un coup de téléphone aux sbires de service ce jour là et nous passerions sans encombre et puis, d’après les dires, ils ferment les yeux eux, ils connaissent les vrais trafiquants. Le plan mis en place a été exécuté avec le sérieux que confère une opération d’une telle envergure. Chacun sa mission, nous étions deux couples, l’un se chargeant d’amadouer le collègue, l’autre s’occupant de la logistique. Quand je parle de logistique, je parle de la liste de victuailles, boissons, vêtements et autres que nous allions ramener. Pour Lucien, il  fallut faire profil bas, pendant des années, nous l’avions raillé en lui rappelant le sketch de Fernand Reynaud, prétendant qu’il était intelligent par le fait qu’il était douanier. Je le concède, cela peut blesser, mais comme il était intelligent, d’après Fernand Reynaud, il comprenait que nous plaisantions ! La négociation a été rapidement menée, il était d’accord sur tout les points. Après lui avoir donné le numéro minéralogique de la voiture et nos identités il ne restait plus qu’à larguer les amarres ! Tout était prêt, le plan marchait à merveille.

Le voyage s’est passé sans encombre. Une fois dans les rue d’Andorre la Vieille, notre organisation faisait merveille à voir : reconnaissances, comparaisons, marchandages, achats. Le coffre de la voiture se garnissait au fur et à mesure que le porte monnaie faisait une cure d’amaigrissement ; c’était prévu, le plan marchait au-delà de toute espérance, nous partions du principe que, plus on dépense, plus on gagne !

Après plusieurs heures de marchandages et d’acquisitions, ce qui devait arriver arriva, le coffre était repu, il ne pouvait plus emmagasiner une quelconque bouteille, une simple chemise, un moindre escarpin. Nous décidions d’arrêter « d’investir » nous avions mérité, maintenant que le Galion était plein, de profiter d’une journée de loisir avant de regagner notre port d’attache.

Pendant la nuit, je mentirais si je vous disais que je n’ai pas pensé à ce qui pourrait nous advenir à la frontière. Cela m’a traversé l’esprit, mais je me suis rapidement endormi en songeant à notre plan. L’anticipation, un seul mot ; l’anticipation est prévoir l’imprévu, c’est ce que nous avons fait ! Il ne pouvait rien nous arriver. Au fur et à mesure que nous nous rapprochions du « Pas de la Case » en direction de la frontière, le silence s’établissait dans la voiture. Certes, le plan est infaillible, mais un grain de sable peut toujours se glisser dans la machine bien huilée. Il paraitrait que les douaniers garderaient la marchandise et nous serions redevables d’une amende très importante ! Finalement nous avons la chance de connaître Lucien, c’est un vrai ami, il est sympa, il a le cœur sur la main et rend des services sans contrepartie, c’est un mec bien, méconnu mais bien ! Nous sommes rassurés et nous nous rassurons conjointement. Nous apercevons au sommet de la côte le poste frontière, Il y a foule, nous avançons lentement. « Bonjour messieurs dames, rien à déclarer ?» Tout en faisant le tour de la voiture, il nous demande les raisons de notre séjour, il regarde le numéro minéralogique, nos papiers d’identité puis continue son inspection. Ca y est, il sait qui nous sommes, il jette un œil sur nos visages et nous libère rapidement : « vous pouvez y aller bonne route ». Sacré Lucien il ne fait pas de bruit mais il est efficace ! Nous chantons à  tue- tête sitôt la douane passée ; nous sommes en France, le tour est joué. Soudain, à quelques centaines de mètres de là, un homme en uniforme nous demande de nous garer : « Douane volante, vous avez quelque chose à déclarer ? » Nous lui expliquons que ça y est, c’est fait nous sommes passés, nous sommes en règle ; rien n’y fait : « ouvrez le coffre ». C’est la catastrophe, adieu veau, vache, cochon couvée, les corsaires sont attaqués par traitrise ! Sitôt la caverne d’Ali baba ouverte, le trésor des flibustiers apparaît. Quelle surprise ! « Vous connaissez la loi ?» Nous répondîmes en cœur « non, pas du tout ». Le douanier très méticuleux nous explique qu’il va mettre sur la gauche, ce dont nous avons le droit de transporter et le reste il le mettra sur la droite. Il n’y a pas ballotage sur ce coup là, la droite l’emporte largement. Il note sur un carnet la marchandise frauduleusement passée. Nous essayons de négocier, nous lui parlons de Lucien qu’il ne connait pas, de la famille, des fêtes de Noël qui approchent, rien n’y fait, il reste inflexible. « Remballez tout, vous recevrez chez vous la facture de l’administration ».

Le retour se fait dans le calme, nous sommes unanimes sur le fait de voir Lucien le plus rapidement possible afin qu’il arrange cette affaire dans laquelle nous sommes embarqués. Le bateau fait de l’eau, nous avons démâté, les vivres  commencent à manquer !

Sitôt rentrés nous cherchons notre sauveur : « Lucien » ! Nous lui racontons les péripéties douanières, le gentil douanier à la frontière, le méchant un peu plus loin, la liste de gauche, celle de droite, le carnet et bien sûr la facture. Il nous écoute étonné, se fait expliquer, chacun dit la sienne, mais vite il faut gagner du temps avant que la machine administrative se mette en marche car après il sera trop tard ! « Il était comment ce douanier ? » Le premier très sympa l’autre, une peau de vache ! « Ca va être compliqué vous avez été pris par la volante » il nous explique la règlementation, personne écoute, chacun veut la solution pour ne pas payer, peut importe la volante, la fixe ou tout autre chose. « Attendez » il prend dans son portefeuille une photo sur laquelle il y a deux hommes en tenue, lui et le méchant douanier. « C’est mon ami je l’ai averti que vous passeriez comme vous me l’aviez dit, il avait vos noms et le numéro de la voiture. Je lui ai dit de vous faire la peur de votre vie, je pense qu’il a réussi car vous savez, nous les douaniers nous sommes intelligents !!!! ».

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