Animaux

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Des hurlements. Comme pour m’attraper, me jeter vers la lumière ; non !

Voilà si longtemps que nous sommes captifs d’eux. Dans l’obscurité froide comme mon allier : c'est mon habitude, mon ami. Noir, oh oui, mon très cher ami !

Je me rappelle papa et maman. Papa dehors, maman la cuisine ; moi, dans le placard. Papa revient, je sors. Calme et tranquille, le serpent de cuir me le répète. Soit un bon garçon sinon tu vas dans la cave.

Alors c'est le placard, la chaleur, le noir. La lumière rougeoie sans me brûler, gentille obscurité. La cave est sombre, elle aussi. Mais dans la cave, il y a papa qui vient me voir et le serpent, et le serpent…

Des bruits de pas me parviennent. Ici, je distingue tout. Même les araignées ne peuvent pas sortir de mon antre sans mourir. Elles sont mes compagnes, gentilles compagnes, mais, lorsque la famine me prend, soudainement

SLURP !

je me régale de leur jus douceâtre.

Être obligé de tuer ses amis, ça c'est triste... Surtout que les araignées susurrent des secrets, oui, plein de secrets !

Le méchhhant homme n’est plus là, la femme aussi ; la nourriture est là, libre ! Dépêchhhe-toi, petit homme !

Je sors de mon trou, me rue vers la porte, vers la faim, elle est close... obstinément close !

Là aussi, je possède mon placard, sa douce chaleur, sa noirceur d'encre ! Ici, je suis fort, ici, je suis le maître à l'ombre. Mais toujours prisonnier. Il y a toujours ces hommes derrière la vitre qui m'empêchent d'être libre.

Ils me regardent avec de gros yeux ronds emplis d’effrois, la peur déformant leur visage. Je suis, pour eux, un monstre effrayant. Mais, c'est faux ! C'est eux les chiens ! sales chiens méchants comme

papa et moi se trouvons dans la cave. Les braises sifflent, je tremble. Papa, quand il me fixe, a le même regard que les braises : la haine. Alors la pièce pue de mes râles étouffés, alors vient le brasero qui lacère ma peau. 

Et l’araignée, toujours, qui me domine tandis que le faucon – maman – me toise au loin.

OUI ! TOUS DES ANIMAUX ! Mes camarades me comprennent, eux. Ils s'occupent bien de moi ! Ces sales bestioles rampant avidement ne peuvent pas me toucher ! Pas avec mes amis.

Eux aussi pensent que ces animaux n’ont pas à vivre. Et d’ailleurs, pourquoi ?! Ils m’observent sans cesse comme une chose étrange, me privent de ma liberté ! Il y a ce

jour où le placard me réconforte contre son sein lorsque, subitement, j’entends  une voix résonner, frêle et acide. C'est l'araignée : "Les animaux brûlent ta maison, le brasero ! Le braserooo !"

Alors, je m’enfuis et cours à travers le feu. Il essaie de m’encercler, de me tuer ! Mais la peur du brasero me pousse. Une fenêtre me bloque,

éclat

l’air libre

la puanteur fétide : chair brûlée ! chair brûlée !!

Dehors, des gens qui regardent – TOUS DES CHIENS !!! – et moi qui me cache. Le matin, les brassards rouges !  Des corps calcinés : papa, maman !

la haine !

Voilà les gens qui me rendent captifs, ceux qu'il faut tuer, exterminer, sans cesse ! Les pas des chiens résonnent plus que jamais

TAC

comme le fouet qui me blessait jusqu’au sang. Trois coups contre la porte, la lumière ; le brasero me fixe ; ces chiens me contemplent. La liberté a un prix : ce bouton.

Juste appuyer sur ce bouton. Il faut que je le fasse vite, un seul bouton. MAIS APPUIE, BON SANG !!!

REGARDE-LES SE TORDRE, SE CONVULSER !!! CETTE VERMINE SOUFFRE, PAPA,  MAMAN ! PLUS JAMAIS, PLUS JAMAIS !!

HIIIIIHIIIIIHIIIIII ! CREVEZ ! SALES VERMINES !!!

Toc toc toc

- Herr Schradeur !?

- Oui ?

- Votre repas, Herr Schradeur.

- Posez le plateau là, j’ai encore du travail.

- Dois-je allumer la lum…

- Sortez tout de suite, Herr !! SCHNELL !!!

Me voilà de nouveau seul, moi et les araignées. Quelques cadavres de ces chiens galeux, aux nez pointus, semblent encore vouloir vivre mais je ne m’en soucie pas. Mes Camarades vont les emmener, les entasser comme des ordures.

Ah ! Quel beau spectacle au camp d’Auschwitz !!

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