As de pique

daniel17310

                                                           As de pique

— C’est encore loin ?
 Si Amélia posait encore cette question, Théo jurait qu’il allait étrangler sa nièce. Non contente de les avoir fait s’arrêter dix fois pour une pause pipi imaginaire, l’adolescente s’était mise à chanter à tue-tête de la pop-mielleuse, et à lui demander toutes les cinq minutes la distance restant à parcourir.
— Non, il ne reste plus qu’une heure, répondit très obligeamment sa mère.
 Ophélia, la belle-sœur de Théo, était veuve depuis deux ans et élevait seule sa fille de 16 ans.  Il acceptait souvent de lui donner un coup de main car il avait promis à son frère de s’occuper d’elle, mais il s’interrogeait encore sur les raisons qui l’avaient poussé à accepter de partir en vacances avec elle et sa fille.
 Au départ, il avait prévu de passer l’été chez lui, à rester tranquillement  devant la télé en sirotant une bonne bière de temps en temps. Pas très original comme programme, mais il avait fait ses preuves.
 Le quadragénaire avait travaillé toute sa vie dans le bâtiment, et depuis que son entreprise menaçait de fermeture,  les employés avaient vu leurs heures fondrent comme neige au soleil. Théo faisait parti des rares que ça ne perturbait pas outre mesure. En tant que cadre, il avait mis suffisamment de côté pour s’offrir une retraite au soleil.
 Alors, était-ce le contrecoup de voir défiler ses collègues anxieux de perdre leur boulot, qui l’avait poussé à dire oui ? Il l’ignorait, mais quand sa belle-sœur s’était présentée à sa porte et lui avait proposé de passer une semaine, en juillet dans un petit village du sud, Théo avait tout de suite accepté.
 Il dévisagea la femme assise à ses côtés et sentit une bouffée de chaleur monter en lui. Du temps où Jeremy était en vie, Théo n’avait pu s’empêcher de remarquer la beauté de sa compagne. Ophélia avait tout de ces modèles préraphaélites, avec d’épaisses boucles rousses qui lui tombaient dans le bas du dos, des yeux verts remplis de mystère, et un nez aquilin.
 Toutefois, il avait rapidement caché son admiration dès que son frère lui avait fait la remarque qu’il lorgnait d’un peu trop près sur sa femme.
— Et là, on est bientôt arrivés…?
 Théo soupira et se répéta mentalement de ne pas craquer. La gamine était tout le portrait craché de son frère, avec ses courts cheveux blonds et son haut front. Et comme lui, elle avait l’art d’emmerder le monde.
 Il y avait une heure qu’il s’était engagé sur l’A666, et il fut surpris de ne croiser aucun véhicule. Non que cela le dérangeât, bien au contraire ; il pouvait rouler sans être trop concentré, et glisser de temps à autre un regard à sa voisine.
 Celle-ci, avait passé tout le trajet le regard perdu dans le vague, les yeux braqués sur sa fenêtre comme si elle cherchait à résoudre les mystères de la création. Ophélia n’avait pas conscience que chacun de ses gestes, même les plus minimes, l’émoustillait davantage.  
 A chaque fois qu’elle caressait machinalement sa longue chevelure, Théo se l’imaginait étendue sur son oreiller. A chaque fois qu’elle se tortillait sur son siège, sa courte jupe grise remontait un peu plus, dévoilant des cuisses crémeuses qui hanteraient ses nuits à venir. Et son odeur, bon dieu, son odeur…
— Peut être devrions-nous faire une pause ? Suggéra-t-elle presque timidement.
 La jeune femme avait remarqué l’état de contrariété de leur conducteur, mais elle ignorait quoi faire ou quoi dire pour l’apaiser.
—Théodore ? Essaya-t-elle de nouveau,  le voyant crisper les doigts sur le volant jusqu’à ce que ses jointures blanchissent.
 L’homme grommela vaguement quelque chose, et ses yeux  bruns se voilèrent.  Ophélia savait qu’il détestait qu’on utilise son nom complet, mais elle n’avait jamais pu se résoudre à utiliser le diminutif. C’était trop familier, et elle ne voulait pas l’être avec lui. Pas après ce que son mari lui avait dit. Et surtout pas après ce qui s’était produit la dernière fois.
 Le simple fait de penser à Jeremy lui causa un choc, et une vague de souvenirs l’assaillit. Elle la repoussa tant bien que mal, préférant ne pas s’y pencher de trop près. C’était trop douloureux, pour bien des raisons inavouables…
— J’ai envie d’aller aux toilettes, renifla Amélia à l’arrière.
— Il y a un relais routier un peu plus loin, nous allons nous arrêter déjeuner là-bas, essaye de tenir jusque-là, grogna le conducteur.
— Mais j’ai envie maintenant, insista l’adolescente.
 Son oncle était persuadé du contraire, il n’y avait qu’à voir son regard et son petit sourire méprisant chaque fois qu’il s’était arrêté pour lui complaire.
 Il ne comprenait pourquoi Amélia s’était mise à la détester tout à coup. Il se souvenait d’elle comme d’une enfant rétive et un peu capricieuse, certes, mais pas mesquine tout de même.  A dire vrai, il avait bien une idée.
 Sans doute était-ce à cause de cet incident après la mort de son père. Déboussolée, Amélia avait eu une phase rebelle où elle s’était teint les cheveux, et s’affublait de vêtements trop courts et bien trop indécents pour son âge.
  Un soir, alors qu’il était venu réparer leur plomberie datant de l’antiquité, sa nièce s’était approchée discrètement et en avait profité pour lui faire des avances pour le moins explicites.
 En plus d’être dégoûté, Théo avait été affreusement gêné.  Même s’il l’avait clairement rembarré, il se souvenait avoir hésité à en parler à sa mère. Puis, pensant que c’était juste une mauvaise passe, il avait préféré laisser couler. A voir l’expression hostile d’Amélia,  pas de doutes qu’elle lui en gardait rancœur.  
 Lâchant un soupir, il s’engagea sur la sortie et suivit le chemin caillouteux menant jusqu’au relais situé entre deux champs de maïs.
 Le parking était plein, reflétant la renommée de l’endroit, connu pour sa cuisine traditionnelle, à la fois simple et abordable.
— Sérieux ?! On va manger, ici ? « Chez Ginna » ?
 Pour bien faire passer le message, Amélia plissa le nez et fit une moue dégoûtée.
— Oui.
— Vu la tronche du truc, on peut être sûr que demain on est tous morts d’intoxication alimentaire.
— Je suis sure que se sera très bien, intervint Ophélia d’une voix ferme.
 La jeune femme lança un regard dur à sa fille, et celle-ci ferma son clapet. Théo ne put qu’applaudir silencieusement.
— Il ne faut pas se fier à l’extérieur, cru-t-il bon d’ajouter.
— Oui, ne jamais se fier aux apparences, répondit Amélia, d’une voix lugubre.
 Sa mère grimaça, mais ne fit aucun commentaire. Elle sortit du véhicule et suivit son beau-frère à l’intérieur du relais.
 Depuis la mort de Jeremy, rien n’était plus pareil. Amélia était devenue irascible et lunatique. Elle avait du mal à faire son deuil parce que pour elle, Jeremy représentait un Dieu. Il disait « oui » à tout, et était parfait sur tous les plans. Trop parfait, pour un œil aguerri.
 Perdue dans ses pensées, il lui fallut quelques secondes avant de comprendre qu’on la sollicitait.
— Ophélia, voici Ginna, la propriétaire des lieux, expliqua Théo en lui désignant une  Italienne au physique généreux et à la bouche rieuse.
 La propriétaire l’accueillit chaleureusement et Ophélia fut surprise de sentir une pointe de jalousie en voyant le regard qu’elle coula à son beau-frère. Elle se reprit aussitôt.
 Les présentations terminées, la famille s’attabla près de l’entrée, entre un couple d’amoureux et une mère célibataire dont le fils jonglait avec les couverts.
 Le déjeuner se déroula dans une ambiance chaleureuse, loin de l’atmosphère tendue de la voiture. Ophélia interrogea Théo sur de possibles travaux de rénovation de leur vieille ferme, et Amélia donna son avis de temps à autre.  La conversation se tarit lorsque cette dernière se rendit aux toilettes.
 Les deux adultes gardèrent le silence, perdus dans leurs pensées et prêtant une oreille distraite aux propos du couple à côté, qui s’épanchaient sur une affaire parue dans les journaux, où ce qu’on supposait être un tueur en série semait des cartes près des cadavres de ses victimes et sur les lieux de leur disparition. Les descriptions morbides des restes de cadavres retrouvés rendaient le tout sensationnel pour les médias. Et de toute évidence, aussi pour les commérages.
 Puis tout à coup, alors qu’ils buvaient leur café en tentant de ne pas se fixer l’un et l’autre, Amélia revint et lâcha une bombe.
— Magnifique atmosphère presque romantique et pleine de non-dits, on se croirait presque dans un feuilleton. Comme il serait facile de perturber cet équilibre précaire…
 Ophélia fronça les sourcils, surprise par l’acidité du ton employé.
—…en révélant ce qui s’est passé. Tout ce qui s’est passé.
— De quoi parles-tu ?
— Je parle du fait que tu t’es tapé oncle Théo alors papa venait juste de mourir ! C’est drôle, quand on sait qu’il les aime plus jeunes, à peine pubère…n’est-ce pas oncle Théo ? fit-elle d’une voix doucereuse.
— Amélia ! Mais enfin, qu’est ce qui te prend ? Et que signifie ta dernière phrase ? balbutia sa mère.
— Oh, disons que lui et moi avons fait plus amplement connaissance…
  Théo blêmit et fusilla sa nièce du regard.
— Ce n’est pas ce que tu crois, ajouta-t-il rapidement à l’intention d’Ophélia.
 Mais avant qu’il ait pu dire quoique ce soit, elle se leva et tira brusquement  sa fille par le bras, l’entraînant à l’extérieur.
 Un instant indécis, il hésita sur la conduite à adopter. Il aurait dû en parler plus tôt à Ophélia, mais il n’aurait jamais imaginé que sa fille irait mentir ainsi. Rien que d’y repenser, toute cette histoire lui donnait envie de gerber.
 Théo essuya les regards profondément hostiles des gens qui l’entouraient, ayant entendu le coup d’éclat de la gamine. Pas étonnant, vu ce pour quoi ils le prenaient…
 Pourtant, il restât assis à table, sans broncher. Il ignorait si sa belle-sœur allait revenir. Il avait beau avoir les clefs, elle ne s’embarrasserait pas d’un tel problème si elle croyait sa fille en danger.  Il espérait tout de même qu’elle lui laisserait l’occasion de s’expliquer.
 Quelques minutes plus tard, qui lui parurent une éternité, Ophélia revint seule, le visage livide et le regard torturé. Elle hésita un instant avant de se laisser tomber sur la banquette, fixant Théo d’une mine indéchiffrable.
 Celui-ci déglutit, le cœur tambourinant et l’estomac noué à l’idée qu’elle puisse penser qu’il s’en était pris à sa fille.
— Je viens de parler à Amélia, dit-elle froidement. Elle attend dehors, je pense que c’est préférable.
 Théo acquiesça, gardant le silence en attendant que le couperet tombe. Il avait beau être innocent, il aurait du mal à la convaincre. Vu ses antécédents à elle…
— Elle m’a raconté que le jour où tu es venu avant noël, tu lui as fait des avances quand j’étais sortie. Elle m’a dit que tu l’avais touché, que tu…
 Sa voix se brisa et elle ne put terminer sa phrase.
— C’est faux, assura Théo.
— Vraiment ?
 Ophélia ne put cacher sa suspicion. Elle avait du mal à réaliser ce que venait de lui raconter sa fille. Pourtant, elle savait combien il fallait du courage pour s’affranchir de cet état de peur et paralysie qui s’installait après. Car le pire était à venir, quand les cauchemars vous hantaient, que votre corps vous trahissait lorsqu’un homme s’approchait d’un peu trop près…
— J’ignore pourquoi elle t’a raconté ça, répondit-il sans broncher. Elle était déboussolée, Jeremy venait juste de mourir et j’ai pensé qu’elle avait du mal à s’en remettre, qu’elle cherchait une échappatoire quelconque. Ce qui expliquait son comportement…inapproprié. Tout comme son accoutrement, ajouta-t-il après un bref instant.
— Donc c’est de sa faute, s’écria Ophélia, elle portait des vêtements trop féminins, alors c’était de sa faute ?! Quel genre d’individu es-tu pour oser dire ça ?
 Théo essuya le camouflet sans rien dire.
— Tu sais bien que non, ce n’est pas ce que je voulais dire. Calme-toi, je t’en prie. Je sais que les apparences sont contre moi, tu es sa mère et il est normal que tu la croies, mais laisse-moi finir. Aie confiance en moi, pour une fois.
 Sa belle-sœur lui jeta un regard étrange et cessa de crier. Serrant les dents, les ongles enfoncés dans ses paumes, elle acquiesça.
— Contrairement à ce qu’Amélia a dit, je n’ai eu aucun geste déplacé envers elle, c’est même plutôt le contraire. C’est elle qui m’a fait des avances et s’est penché vers moi pour m’embrasser.
— Elle t’est tombée dans les bras et tu ne l’a pas repoussé, persifla-t-elle.
— Bien sûr que si ! s’exclama Théo, en passant la main dans ses cheveux sombre, traduisant son anxiété. Bon sang, est-ce vraiment l’endroit pour avoir cette discussion ?
 Devant le regard implacable de son interlocutrice, il reprit :
— Je t’assure qu’il ne s’est rien passé, j’étais plus dégoûté qu’autre chose. C’est une enfant et c’est ma nièce. Je…
 Soudain, en voyant son regard, il éclata.
— Après le temps qu’on a passé ensemble, comment peux-tu seulement imaginer que je sois ce genre de pourriture ? cria-t-il.
— Justement, tu n’as jamais été maître de tes pulsions si je me souviens bien.
 Le souvenir commun les fit rougir et ils perdirent tous deux un peu de leur morgue, se replongeant dans le moment partagé ensemble. Peu après la mort de Jeremy, Ophélia avait sombrée et Théo, toujours présent et si complaisant, avait été une bouée de secours. Une fois, une seule, elle avait pu se laisser aller et oublier.  Elle n’avait jamais voulu se l’avouer, mais elle s’était toujours demandé ce qui se serait passé si elle avait épousé Théodore plutôt que Jeremy.
— C’est complètement différent, assura-t-il d’une voix sèche et un peu rauque. Toi et moi…non, peu importe. Je te jure sur tout ce que tu veux, que je n’ai jamais touché Amélia autrement que pour la repousser. Elle était perdue, je l’ai bien compris et je pense qu’elle-même n’a pas réfléchi à son geste. Aujourd’hui, elle m’en veut, comme une fille capricieuse qui n’a pas eu le jouet qu’elle désirait. C’est pour ça qu’elle sème la discorde.
— Elle agit étrangement ces derniers temps, reconnu Ophélia, pensive. Elle n’est plus la même depuis…
— Je sais. Je sais que Jeremy comptait plus que tout à ses yeux, et peut être qu’inconsciemment, elle m’en veut-elle d’être encore en vie, alors que lui a péri dans cet accident. Dieu sait si je m’en suis voulu, moi-même.
 Le regard de la jeune femme s’adoucit, perdant un peu de son hostilité. Plus elle réfléchît au comportement de sa fille, plus elle convint qu’elle avait peut-être menti.
— Ce n’était pas ta faute.
 Ophélia soupira et se passa la main sur le visage, les yeux baissés.
— Si elle m’a menti…je…je ne comprends pas. Ce n’est plus une enfant, elle sait l’incidence que peut avoir de telles accusations.
— Allons lui parler, proposa-t-il. Calmement, sans cris et sans rien lui reprocher. Il faut juste qu’elle comprenne, on ne peut pas la laisser continuer ainsi.
 D’un accord commun, tous deux se levèrent et réglèrent l’addition. Ophélia ouvrit la route, se dirigeant vers le petit parc aménagé à gauche du relais routier.
 Elle balaya rapidement l’aire du regard, notant les enfants jouant dans l’herbe sous l’œil de leurs parents, et commença à s’inquiéter en ne trouvant Amélia nulle part.
— Où est-elle ? L’interrogea Théo, les sourcils froncés.
— Je l’ignore, répondit-elle d’une voix blanche, alors qu’elle scrutait les environs.
 Anxieuse, Ophélia revint sur ses pas et interrogea les familles, mais aucune d’elles ne put lui dire où se trouvait Amélia. Certains pensaient l’avoir vu au fond du parc. D’autres, affirmèrent qu’elle avait suivi un homme d’une trentaine d’années. Où ? Nul ne le savait, une maman dit les avoir vus se diriger vers le champ à la lisière de l’autoroute, mais rien n’était moins sûr.
 Devant le visage rongé par l’inquiétude de sa belle-sœur, Théo prit les choses en main. Il ratissa le parc en appelant Amélia, puis fit de même à l’intérieur du relais, sans se soucier de l’image que ça donnait après l’éclat de la jeune fille.
 Ginna les rejoignit et essuya ses mains sur son tablier, l’air préoccupée.
— Votre fille a disparu ? demanda-t-elle à Ophélia, non sans gratifier Théo d’un regard perçant.
— Oui, répondit la mère, d’une voix faible, dévorée par l’inquiétude.
 Et si Amélia avait dit la vérité en fin de compte ? Et si… ? Non, se reprit-elle, Théo était sincère lorsqu’il lui avait dit ne s’être rien passé, elle l’avait vu à son expression. A bien y réfléchir, si les propos d’Amélia ne l’avait pas autant choquée, elle aurait pu se rendre compte que quelque chose clochait dans ce qu’elle racontait.
 Elle avait bien le visage hanté des victimes, mais quand sa fille avait prononcé le nom de Théo, un instant, son expression s’était voilée et son regard s’était fait lointain. Pas comme si elle avait peur ou revivait le trauma, mais plutôt comme si elle pensait à quelque chose d’autre…ou à quelqu’un d’autre.
— Je l’ai vu dehors il y a à peine un quart d’heure, j’ai cru qu’elle parlait avec Théo, mais je me rends compte que les vêtements étaient différents. Il se tenait dans l’ombre et je n’ai pas pu bien  le voir, mais de dos, l’homme te ressemblait, précisa-t-elle en regardant le principal intéressé.
— Il faut prévenir immédiatement la police, dit-il d’un ton pressant.
 La propriétaire ne se le fit pas dire deux fois.
 Après le coup de fil, Théo et Ginna décidèrent de chercher l’adolescente une nouvelle fois, pendant qu’Ophélia attendrait au relais dans l’espoir qu’Amélia revienne.
 Peut être l’homme n’avait-il fait que lui demander son chemin ? Peut-être qu’il ne l’avait pas enlevé. Et peut être qu’un des clients du relais pourrait être en mesure de donner une description de l’individu. Mais malheureusement pour elle, ce ne fut pas le cas.
 Ophélia ne cessa de se torturer l’esprit en imaginant ce qui pouvait arriver à sa fille. Elle ne l’avait pourtant pas laissé seule bien longtemps. Amélia était restée dans un espace publique, entourée par des familles…avec autant de témoins, comment avait-elle pu disparaître sans que personne ne fasse vraiment attention ?
 Personne ne s’en souciait, pensa-t-elle automatiquement. Les parents surveillaient leurs enfants et ne se souciaient pas de ceux des autres. C’était à elle de faire attention à sa fille.
 Si Théodore avait raison, si Amélia était plus bouleversée par la mort de Jeremy qu’elle ne croyait, il était possible qu’elle ait suivi cet homme, en quête de réconfort, substituant les hommes âgés à son père, inconsciemment. Rien que l’image de sa fille dans les bras d’un homme plus âgé, suffisait à donner la nausée à Ophélia. Tout allait recommencer…
  Se reprenant tout à coup et n’y tenant plus, elle sortit du relais en courant et s’enfonça dans les champs, ayant l’impression d’étouffer. Comment avait-elle pu laisser sa fille toute seule ? Se répétait-elle, effarée. S’il lui arrivait malheur, jamais elle ne se le pardonnerait.
  Au moment où elle se faisait cette réflexion, elle aperçut quelque chose dans sa périphérie et fut surprise par le bruit d’un coffre qu’on refermait. Une forme sombre, à côté d’un vieux véhicule garé près de l’autoroute. Elle se retourna et l’espace d’un battement, son cœur s’arrêta. Non… impossible.
 Ophélia fit quelques pas et se figea, tétanisée. Une foule d’images lui traversa l’esprit : la main prête à s’abattre, le regard fiévreux et colérique, la fossette au coin des lèvres lorsqu’il souriait…
 Elle était trop loin pour être sure, mais quand l’individu se pencha à terre avant de grimper à l’intérieur du véhicule et de démarrer en trombe, elle aurait juré avoir vu Jeremy.  Les cheveux étaient plus longs, la silhouette amaigrie, mais ce regard gris d’acier, si particulier… c’était en tout point celui de son mari.
 Suffoquant, persuadée d’avoir une hallucination, la jeune femme se précipita à l’endroit où il s’était tenu. Elle faillit trébucher en s’arrêtant brusquement à quelques pas de traces de pneus sur le bitume.
 Un objet brillait au sol. Un gloss rose, avec un capuchon à moitié mordillé et plein de paillettes. Celui de sa fille. Amélia le trimballait partout car c’était le dernier présent que lui avait offert Jeremy avant de mourir.
 Elle se pencha pour ramasser l’objet, les sanglots lui brûlant la gorge, mais son regard fut attiré par autre chose. A un mètre de là, sous un petit caillou, reposait une carte.
 Un as de pique.


Chapitres

1 – Théo, sa belle-sœur et sa nièce décident de s’arrêter déjeuner dans un relais. Sa nièce prétend alors qu’il a abusé d’elle. Après quelques explications, Ophélia soupçonne Amélia d’avoir menti. Mais elle se rend compte alors que cette dernière a disparu. Elle croit ensuite voir son défunt mari et trouve le gloss de sa fille là où il se trouvait…juste à côté d’une carte de jeu. Comme celles que sème le tueur en série dont parlent les médias.

2 – La police soupçonne Théo, et ce dernier a du mal à croire Ophélia quant au fait d’avoir vu Jeremy… Pourtant, lorsque les disparitions continuent et qu’enfin la police tient une piste, les descriptions correspondent en tout point à son frère.

3 – Ophélia et Théo tentent de retrouver le tueur/kidnapper par leurs propres moyens. Les recherches les mènent jusqu’à une bourgade isolée, ou tous les habitants se comportent bizarrement. Comme s’ils savaient quelque chose…

4 – Une fille disparait au sein du village et quelques jours plus tard, son cadavre en morceaux est retrouvé, accompagné d’une carte. Elle ressemble étrangement à Amélia, et des témoins affirment avoir vu un homme correspondant à Théo parler avec elle la veille. Ce dernier est mis en garde à vue par la police.

5 – Ophélia, seule, reçoit un étrange appel. La voix au bout du fil ressemble à celle de Jeremy, et lui propose des infos sur sa fille si elle se rend à minuit à l’endroit indiqué. La jeune femme obéit et découvre son interlocuteur…Jeremy.

6 – Jeremy est en vie et lui affirme qui rien n’est ce qu’il paraît être. Il lui avoue qu’on a tenté de le tuer et que sa « mort » n’avait rien d’accidentelle. S’il s’est fait passer pour mort, c’est pour tromper et dénicher le coupable. Il est persuadé qu’il s’agit du même homme qui enlève les jeunes filles et les tuent, et que son frère est impliqué.

7 – Avant d’avoir eu le temps d’en dire plus, la police arrive sur les lieux et fait fuir Jeremy.  Théo est remis en liberté. Il sauve la vie d’Ophélia alors que quelqu’un tente de l’agresser.  Amélia parvient à échapper de son bourreau, et appelle sa mère, hystérique, en lui demande de venir la chercher. Celle-ci arrive trop tard, et trouve une fois de plus, une carte de jeu. Cette fois-ci, coupée en morceaux.

8 – Le tueur contacte Ophélia et lui propose un échange : sa vie contre celle de sa fille. Elle accepte et se retrouve aux prises avec…Jeremy ? Elle reconnait en cet homme celui qui l’a battue et tourmenté après son mariage mais quelque chose cloche.

9 – L’individu est en réalité le frère de Théo…et le jumeau de Jeremy. Enfermé dans un institut psychiatrique depuis son jeune âge, il jalouse ses frères (dont l’un ignore tout de lui) et décide de prendre la place de Jeremy en voyant une photo de son mariage dans les journaux. Le vrai Jeremy est mort depuis longtemps quand cet homme abuse d’Ophélia et Amélia.

10 – Théo est choqué par ce qu’il apprend. Il parvient à retrouver la trace d’Ophélia et la sauve du tueur, qu’on enferme à nouveau. Il épouse ensuite sa belle-sœur et adopte Amélia. Peu de temps après, il reçoit un étrange cadeau.
 Un as de cœur.

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