Ascensions périlleuses
Jean Louis Bergey
Mon esprit commence à s'embrumer se dit Jamila. Voilà plus de deux heures que je suis dans ce bar avec mes collègues pour fêter ma nomination comme Directrice du marketing.
Quand le big boss m'a convoquée dans son bureau du treizième étage pour m'annoncer qu'il me donnait le poste de M. Giraut (parti à la retraite sans doute plus tôt qu'il ne le voulait), je n'y croyais pas. Mais heureusement, je ne l'ai pas trop montré.
C'est fou, à presque quarante ans et douze ans de boîte, me voilà membre du Comité Exécutif, la seule femme, fille d'émigré par dessus le marché.
Bien-sûr, cette nomination suscite des jalousies. Stéphane par exemple qui est en face de moi tout sourire, était candidat. Il semble même qu'il préparait ça depuis longtemps et qu'il ne serait pas étranger au départ anticipé de M. Giraut.
Il faut dire que, s'il est sympa dans la vie courante, il peut se montrer prétentieux lorsqu'il ne se contrôle plus. Ne nous a-t-il pas affirmé une fois qu'il était l'esprit le plus coruscant de la maison ? Personne ne savait ce que ça voulait dire mais on avait compris le sens.
Il faut quand même que je me méfie de lui, on ne sait jamais.
Voilà deux mois qu'elle était en poste et avait commencé la réorganisation des équipes. Ce matin, elle reçoit Mikaël pour lui proposer la responsabilité de la zone Nord Europe, une belle opportunité pour lui. Il arrive à l'heure, mal à l'aise (ce qui n'est pas dans son habitude) et lui déclare tout de go :
- J'ai bien réfléchi. Bien-sûr, j'ai été surpris de la proposition. En plus, ce n'est pas mon style. Je suis même gêné, mais j'accepte.
- Accepter quoi Mikaël ? Je ne vous ai encore rien proposé.
- Écoutez Jamila, je sais que l'on peut nous entendre mais vos e mails étaient très clairs, vos photos aussi d'ailleurs. Et je ne suis pas né de la dernière pluie. Alors si...
- Mais de quels e mails parlez-vous? Quelles photos ?
- Eh bien, tout ça.
Au même moment, il lui pose cinq feuilles sur la table, des messages venant de sa boîte professionnelle lui proposant une relation charnelle avec des mots très crus et explicites. Quant aux photos...
Jamila comprit très vite la situation dans laquelle elle était : elle pouvait convaincre Mikaël d'oublier tout ça, que c'était un coup monté, mais comment savoir s'il ne gardera pas tout ça pour la faire chanter un jour ou l'autre ? Elle pouvait saisir l'Inspection interne. Cependant, elle savait trop bien que ces questions là, par prudence vis-à-vis des syndicats, étaient instruites à la charge du "harceleur", coupable ou innocent.
Alors, à la fois défaite et furieuse, bien décidée à se venger, elle se résigna et plusieurs semaines d'adultères réguliers suivirent ce qui ne devait être qu'un banal entretien de carrière car, bien évidemment, Mikaël refusa le poste à Amsterdam.
Sa haine lui a fait surmonter son dégoût pour ces relations forcées, puisant sa force dans la recherche de la vérité. Alors qu'elle s'en approchait, ils furent convoqués tous les deux dans le bureau du patron. Jamila en sortit les yeux rougis par la honte, la colère et les conséquences désastreuses pour sa carrière professionnelle.
Elle partit récupérer ses affaires, remplit son carton, regarda une dernière fois la vue depuis son magnifique bureau et sauta du cinquième étage pour laver son honneur.
Une semaine était passée depuis les obsèques de Jamila. Stéphane occupait son fauteuil, heureux enfin que la Direction reconnaisse ses compétences. Il faut dire qu'il n'avait pas ménagé sa peine pour en arriver là.
Je vais faire du grand boulot. Je vais tous les épater, écraser les concurrents potentiels et pousser les objectifs pour faire péter les primes. A ce moment là, Mikaël entra dans son bureau :
- J'ai bien réfléchi. Bien-sûr, j'ai été surpris de la proposition. En plus, ce n'est pas mon style. Je suis même gêné, mais j'accepte.
- Accepter quoi Mikaël ?
A cet instant, Stéphane crut déceler un léger rictus sur les lèvres de Mikaël...