Cigarette
edeneige
Une cigarette.
Une cigarette sur un horizon de flotte.
Et la fumée comme une torpille inutile. L'eau était froide. Il faisait presque nuit dans la salle de bain au goût de steppe. Elle avait enterré même mes bonheurs les plus simples. Chacun de ses gestes, de ses intonations avaient tapissés mes murs de leurs souillures délicates. De l'aube au crépuscule son poison me vêtait. Audacieuse, elle se lovait même dans chacun de mes cafés.
Son premier sourire avait rayé le soleil. Telle la hache dans cette seconde d'éternité avant de trancher le cou conquit. Ma tranquillité se conjuguait désormais au présent décomposé. Toujours à l'heure, le mot pour faire plaisir, les vêtements à la mode avec le physique qui va avec. Le décolleté victorieux. Pas de maux pour lui trouver un défaut. Une blonditude de papier tue-mouche. Je retrouvais en scrutant dans le miroir la patate de mon enfance, ce ridicule puzzle de femme. Régente solitaires des chiottes d'école. Et qui ne sourirait jamais parce qu'il n'y aucune raison de le faire.
J'avais voulu jouer l'amie. Tendre un tant soit peu vers sa grâce… La garce gravissait hélas déjà mon île. L'idiot n'y voyait que du feu. J'avais peiné plus de six mois pour avoir un mot et autant pour avoir un rendez-vous avec lui. Pour le boulot. En une semaine, c'est lui qui l'invitait et aux frais de la princesse. Lui, si admirablement pingre.
Quand le légiste ouvrira mon corps, il verra un cancer avec son visage. A elle.
Ma mère m'aurait dit de me suicider, elle qui savait si bien jouer la morte dramatique. Et qui sans aucun doute me survivrait.
Une courbe si innocente revendiquant aussi aimablement mon génocide. Quand elle me parlait, comme une collègue compatissante, je vibrais au son du meurtre. Le plus sauvage. Encore plus abominable que les ogres des sombres caves. La souffrance la plus lente, la plus implacable, la plus palpable qui soit. Une nausée, une vomissure ensanglantée. Une couture fine au couteau de cuisine.
Je brisais mes poings sur l'émail de la baignoire. Jusqu'à la deuxième vague. Quand le silence abdiquait mes révoltes. Je voyais poindre les larmes de mes seize ans. Noyée debout dans une flaque. J'ouvrais mon corps aux rires idiots des défaites justes. Elle gagnait par un forfait admirable. On ne m'avait pas donné les outils pour domestiquer ces furies. On se sait laide, inutile presque, on se sait assez intelligente pour épingler sa connerie et assez conne pour se croire enviable mais malgré cela on s'étouffe à vouloir se comparer. A être la merde sur la robe de soie.
Je ne pardonnerais ni à moi, ni à elle, cet acte. De ce rire en éclat de verre, ridiculement beau, qui me lacérait les entrailles si aisément. J'aurais voulu arracher cette absurdité maladive qu'était ma peau pour vêtir un instant seulement sa simplicité gracieuse. Être attirante. J'aurai voulu égarer mon bégaiement pour converser autour d'un verre, pour savoir qu'en rentrant mon téléphone ne me jouerait pas la symphonie de Léthé.
Elle resta une année. Douze mois qui suffirent à faire de mon futur un douloureux passé. Creusé de l'intérieur par ce monstre vorace à qui je n'avais plus à offrir que mes os et ma chair. Je ne mangeais plus, je dormais peu. Je respirais ma douleur. Cet abîme exquis. J'écrivais sur ma peau la sulfureuse haine qu'elle distillait à chaque fois que son regard se posait sur moi. Mais à chaque fois que la Vie, cruelle, me glissait une arme dans la main, que j'avais l'occasion de précipiter la sainte à terre, cette rage se cachait dans une coquille, plongeant dans une anfractuosité de mon âme, et le bras tombait. Lâche. On ne demande pas au pigeon de se nourrir du sang de l'aigle.
Et je suis là ce soir. Dans un bain vide de la lueur sanguine. Il n'y aucune blessure, aucune meurtrissure sur la peau fade. Juste un gouffre. Une cigarette qui rougie à peine une si grande nuit. Je suis une étoile morte et la terre continue de danser autour de ma absence.