ATTRACTION

Christine Moreau

Attraction !

C’est la curiosité qui l’a emportée. J’en avais entendu parler mais sans y prêter une attention particulière. Sur les conseils d’un ami… je me suis lancée.

 

J’ai choisi une photo, simple, naturelle et souriante. Rempli quelques informations basiques et sommaires : femme, single,  straight, living by myself…

Premier clic !

Une multitude de visages s’offrent à moi. Mines déconcertées, parfois racoleuses, le plus souvent désopilantes, mais aussi chafouines, besogneusesdes asthmatiques, des coléreux, des pères de familles, des célibataires dont certains affublés de surnoms ridicules ou bien trop enjôleurs. Du type « Riky la belle vie » ou « Arsenic » ou « l’emmerdeur »…

Que du bonheur en perspective !   

J’avoue, ma consternation et trouve la situation désopilante ! J’ai failli éteindre l’ordinateur. Des prédateurs en chasse, aux prétentions diverses et variées, aux vœux à ne pas faire pâlir de jalousie les fées ! Des milliers de « veux » à exaucer !

Je veux aller prendre une verre avec une femme de…

Je veux trainer avec une fille…

Et ainsi de suite. Et moi, quel était mon vœu ? Perdre le nord, j’ai écrit.

Echangé, baratiné, refuséSoudain une simple photo, un portrait en noir et blanc, presque désuet. La photo m’a accrochée.

Je suis sensible au regard. Au regard de l’autre, surtout. Une  flamme féline dans les yeux. Des yeux clairs. Puis le «  m’assortir avec une femme… » m‘a fait sourire ! Un souhait, changeant du sempiternel « je veux boire une coupe de champagne » dans le meilleur des cas… De plus, une belle gueule ! Indice non négligeable.

Le profil présageait un esprit vif, indépendant, un brin sarcastique. Un préambule avenant. C’est lui qui a ouvert les hostilités en premier.  

17 novembre 10.00 a.m

_ Salut, c'est un excellent début de premier message! Un peu poétique, un brin original et surtout simple, simple comme bonjour dirait un petit malin, Je cherchais plutôt une fille pas trop souriante ni trop sympa, surtout pas sociable ou romantique, une fille moche et toute jeune! Et puis comme ça mon petit doigt me dit : « Et si pour une fois, on la choisissait jolie souriante et spontanée? » Ii est malin ce petit doigt...

Je ne suis pas trop sur la virtualité, mais parfois, je peux me mettre à errer sur la toile et m’arrêter pour y flâner...

17 novembre 10.05 a.m

_ Matinal et l'esprit poète!!! Un bon début alors…

Parfois il faut se fier à son instinct. J’accepte de rentrer dans le jeu.

_Novice ? Moi aussi, mais j'aime les mots. Je suis en fait, exploratrice de mots.

17 novembre 10.12 am_

_. Alors en joute !

17 novembre 10.15 am

_ Ne me prenez pas au mot!!! Je suis assez joueuse et mauvaise perdante!!! lol

17 novembre 10.17 am

_ Trop tard, je  vous prends au mot. Qu’attendez vous d’un homme virtuel, si j’ose dire ?

17 novembre 10.19 am

_  Et vous ? Qu’attendez vous d’une femme virtuelle ? Lancez vous!

17 novembre 10.22 am

_ Je suis lancé depuis le début... Le plaisir que j'attends d'une femme virtuelle? C'est qu'elle le soit le moins possible. Une fois qu'elle sera femme, j'aimerais lui plaire, la désirer à mon tour, physiquement et intellectuellement et surtout, j'aimerais que la première rencontre me donne des idées pour les autres à venir. En clair, se voir, s'avoir et se revoir après chaque au revoir ! Me répondrez vous ? Suspense ?

 

Cette rencontre, avec la délicatesse de son incertitude me séduisit. L’envie de répondre avec ferveur. Pourquoi j’avais ses pensées là ? Je perdais le nord ? J’ai enchainé, sous l’impulsion.

 

17 novembre 10.25 am

_ Une rencontre ne peut se faire que si le désir est partagé.

17 novembre 10.27 am

_ Je pensais que vous la désiriez aussi, mon petit doigt m'aurait-il mal soufflé? Le bougre, je vais de ce pas le couper...

Blabla… Des heures de conversation ! Ses mots me cajolent, puis finissent par m’étreindre comme une grande étole soyeuse. Ses yeux me fixent d’une brillance presque insoutenable. Une rencontre anti protocolaire ! Vraiment.

 

Il me demande de fermer les yeux, de m’approcher de l’écran et de coller ma bouche à sa bouche. Je me voyais mal embrasser une photo, encore moins une photo sur un site de rencontre, sur un écran, propriété privée d’une famille d’acariens fort bien intégrés. Non merci !

J’ai interrompu la conversation. Je me suis déconnectée. J’étais sous le choc. Le cœur palpitant, regorgeant de mystérieuses appréhensions…Dois-je continuer ? Une question d’ordre morale, presque ! Je me suis reconnectée. J’ai fini par fermer un œil,

Tricheuse ! est apparu sur l’écran.

J’ai fermé l’autre œil, le gauche. J’ai fermé les yeux.  Les deux yeux.

J’ai juste senti une aspiration. Un souffle tel une brise vivifiante se lovant dans ma nuque, là au creux de la clavicule où s’évaporent les gouttelettes de sueur. Il me respira, le premier. Je le respirai aussi. Je m’imprégnai de son odeur.

Puis une chaleur enveloppante m’envahit. Comme si un rayon de soleil transperçait ma bouche. J’avais la sensation que son nez s’allongeait pour taquiner le mien. Toujours bouche à bouche, ses lèvres me paraissaient vivantes, fiévreuses, gourmandes ! Cela n’avait rien de désagréable, bien au contraire. C’était un baiser, un vrai, comme au cinéma !

J’ouvris les yeux lentement. Le visage de mon inconnu s’échappait de l’écran, lentement mais sûrement.

 

Il était là, devant moi.

1m80 de chair et 70 kg d’os. On s’est souri. Il m’a embrassé. Timidement, délicatement, suavement. Baiser chavirant ! J’ai chaviré. Je me suis jetée dans le roulis de ses lèvres. Je tanguais. Follement, voluptueusement. Vertige de l’amour !

C ‘était bon. C’était beau.

 

J’appréciai de plus en plus cette incertitude à apprivoiser.  Arriva le moment où le manque d’oxygène se fit ressentir. Nos lèvres se délièrent. Il prit la parole le premier.

_ Vous êtes ma sauveuse ! Ne riez pas !

­_ Je ne ris pas. Je souris.

_ Seul l’amour, un amour véritable pourrait me sauver. Me sauver de cette errance sur cette maudite toile.

Leurs lèvres trop proches, juste des murmures furent prononcés, avoués.

_ Vous sauvez de quoi ?

­_ De mes pêchés.

Elle hocha la tête. Une petite voix intérieure s’exprima :

_ Seigneur, aidez-le ! Même s’il n’est pas digne de vous, accordez lui la miséricorde ! Faites lui un signe, un petit signe.

L’apparition s’adressa à elle. Leurs bouches s’effleurèrent.

_  Votre désir  me sauve.

_ Plus fort que vos fautes ! Je ne sais même pas votre nom.

_ Désolé pour cet oubli. Sébastien.

_ Et moi, Espérance.

_ J’ai envie de re goûter vos lèvres. J’ai envie de continuer à flirter, flirter jusqu’à n’en plus pouvoir. Flirter jusqu’à sentir votre odeur s’imprégner en moi. Flirter  en caressant vos seins, vos fesses. Flirter comme deux adolescents maladroits, flirter et jouir de votre désir…

Elle l’interrompit alanguie, se languissait de lui, puis murmura :

_ Chuuuuut ! Embrassez moi. J’ai envie que vous m’embrassiez.

Il n’eut pas le temps de lui dire qu’elle avait de beaux yeux, leurs lèvres se lièrent. De nouveau. Il pouvait continuer à l’embrasser, juste à l’embrasser, éternellement, qu’elle ne dirait pas non. Baisers indécents pour s’apprivoiser, se rassurer, se désirer. Elle passa une main le long de sa joue, sa peau si douce l’incita à persévérer son exploration jusqu’à ses cheveux, où sa main se lâcha en lui agrippant ses mèches rebelles. Elle pourrait se donner, sans retenue. Maintenant. Transpirante de désir sous sa robe, sa montée du désir, ce sont ses instants - là qu’il grava dans sa mémoire avant que son corps ne disparaisse progressivement. Seules ses lèvres, encore visibles, lui murmurèrent :

_ Je reviendrais sweetie, c’est promis, je reviendrais.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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