Au cinquième jour du printemps(4)

Frédéric Cogno

Ô falaise éventée au seuil de l'océan!

Tu te dresses sur moi, prêtresse d'ouragan!

La battance des pluies érode sur tes seins,

Des rebords hauts perchés oú deux oiseaux marins

Nichent duvet tremblant à l'abri des tonnerres.

Touchés et caressés, ils ploient, ailes légères,

Palpitent en douceur, quand, premier de cordée,

Je leur offre mes mains en signe de couvée.

Foisonnement d'échos aux saveurs de vertige!

Une fleur des parois, inaccessible tige,

Accueille un de mes doigts communiant des fournaises.

Calice délicat! Voluptés! Anamnèse!

Je décroche et je chute emperlé de tornades

En hurlant tes parfums jusqu'en bas des noyades.

Quel saut de jouvence! Quel pays retrouvé!

Mon âme se répand au milieu des pagaies...

Barques, radeaux d'onguents, pirogues de fleurs rares,

Tohu-bohu chinois de marchands de soie noire,

Sur le fleuve sacré, tout un monde s'effleure.

Dans le feu des lampions, des fumées, des odeurs,

Des cuissons étouffées, des cages endiablées,

Des beaux fruits inconnus qu'une jungle a chantées!

Tu  t'empales transie de jade et de tofu,

Tu absous en comptant les anneaux du bambou.

Quelle jolie contrée d'orchidées et d'épices,

De draperies moirées, de soupes, de canisses,

De thés, de gingembres, de paniers de serpents,

D'amulettes d'ébène et de bois roses-sang,

De fritures dorées, au coït du Mékong!

Eclate-toi encore et fais sonner le gong!

Méandres de couleurs aux brises languissantes,

Tu sais ce que je sais du geyser qui me hante,

Des séjours de cristal endormis dans la roche,

Ton prénom jugulé du fin fond de ma gorge!...

Ô déluge effrayant! Bourrasque inassouvie!

Tu reprends la cadence à grands sauts, accroupie,

Je n'en peux plus d'attendre et l'océan abjure,

Et la noire tempête implore la luxure!

Tu veux me voir jouir, dis, c'est ça que tu veux?...

Allez, regarde-moi, je n' ai qu'un ciel, tes yeux...

Au creux de tes rochers, tous les typhons s'enragent,

Catapultant ma yole en mille éclats d'orage!

Brisé et mutilé, mon corps cherche fortune

Sur ta grève poissée par les courroux nocturnes.

Ô démon du ressac! Mât englouti! Funèbre,

Me suis-je ainsi sauvé des leçons des ténèbres?...

L'esprit éparpillé, le songe encerclé d'eau,

Mes membres déchirés ramenés par les flots,

Si tout ce qui fut moi vient échouer sans nom

En ton souffle endeuillé de cheveux- goémon,

Mon fantôme naîtra les nuits de pleine lune

Pour revivre en ton sein ces frasques sur tes dunes...



A suivre...


Signaler ce texte