Au nom du paysage

blanzat

Un article posté sur les réseaux sociaux en mars 2019, et qui redevient d'actualité...

Au nom du paysage, un élu local (David Nicolas) relaie des tribunes défendant une agriculture qui doit primer sur toute autre échelle de valeur. En dehors d'une nouvelle confiscation de la parole par le politique, et d'un amalgame rural/agricole, cette injonction tient-elle face aux enjeux actuels ? La question a le mérite d'être posée à deux titres.

D'une part, le lien paysan-paysage est sujet à caution. Pour preuve cette étude menée par trois chercheurs du CNRS et parue dans la Revue économique (vol. 70, n°1 janvier 2019, p.123-137), intitulée « Compensation écologique et agriculture : est-ce compatible ? » Il s'agit de mettre en question les conditions de réalisation (encore une démarche critique) de la loi biodiversité d'août 2016. Le postulat de départ, tout à fait légitime, est que 59,5 % du territoire français est dédié aux pratiques agricoles, dès lors « les agriculteurs devraient devenir les acteurs majeurs de la compensation écologique ».

Pour rappel, les mesures compensatoires (MC) sont des « actions assurant des gains écologiques au moins équivalents aux pertes écologiques subies dans l'aire affectée ». Démarche comptable en somme puisqu'il s'agit d'équilibrer les atteintes à l'environnement par une renaturation équivalente (d'un point de vue personnel, il semble que la balance est déficitaire depuis des siècles, et qu'il y aurait tout intérêt à sur-compenser, mais ce n'est pas le propos de l'étude). La méthode scientifique pondère ses résultats en fonction des biais de sélection (en gros retirer de l'équation les contestataires), afin d'obtenir une image à peu près représentative du tissu socio-économique paysan.

Une fois ces précautions prises, le résultat est sans appel : « dans notre cas d'étude, nous montrons que les agriculteurs sont globalement réticents à la mise en œuvre de MC sur les terres qu'ils cultivent. » Les préconisations des auteurs de l'étude sont donc d'éviter d'associer systématiquement le monde agricole au dispositif MC, de cibler les acteurs en fonction de leur situation (propriétaires, engagés ou pas dans des contrats environnementaux), donc de diluer une mesure écologique dont la mise en œuvre aura un impact très marginal.

D'autre part, le renversement de l'échelle de valeurs est saisissant : le paysage d'abord, l'environnement ensuite. Ce glissement permet en effet de faire primer l'agriculture à tout prix, de dédouaner le monde agricole des enjeux environnementaux. Malheureusement, le sujet est déjà dépassé. Pour preuve une autre étude, plus médiatique, celle du climatologue Tapio Schneider, qui annonce la disparition des nuages (spécifiquement les nuages de basse altitude, ceux qui s'offrent à la vue). J'en appelle ici au sens esthétique des défenseurs du paysage normand : le bocage tiendra t-il longtemps sous un cagnard ? Est-on prêt à peindre de jolis tableaux tout jaune pour avoir sauvé l'agriculture indépendamment du climat ?

Il me semble que le prix à payer pour maintenir le monde agricole actuel est beaucoup trop élevé, si l'entretien du bocage se fait au prix des pesticides, si les pâturages sont maintenus au prix de la souffrance animale. Nous sommes comptables de nos actes.

Je pense qu'il faut renverser à nouveau cet argumentaire curieux, pour se retrouver à nouveau, avec dignité, sur ses deux pieds : la nature d'abord, l'agriculture ensuite. Le cercle vertueux sera amorcé quand nous cesserons de pourrir les sols, d'épuiser les ressources, c'est une question de bon sens, quand on y pense.

  • D'ac à 99%
    Ceci dit la nature totalement naturelle nous ne l'avons peut être jamais connue ; et je me rappelle BHL qui avait fait un tabac avec le nouvel ordre é

    · Il y a plus de 3 ans ·
    Autoportrait(small carr%c3%a9)

    Gabriel Meunier

  • Oui...Mais la nature naturelle, l'avons nous connue ?
    Luc Ferry avait fait un tabac avec son "nouvel ordre écologique"

    · Il y a plus de 3 ans ·
    Autoportrait(small carr%c3%a9)

    Gabriel Meunier

    • C'est ce que j'essaie d'expliquer dans mes différents articles : l'activité humaine, par nature, s'oppose à la nature. On est bien dans une démarche de conquête et de domestication. C'est bien l'idée de Luc Ferry : mettre "ordre" et "écologie" dans la même phrase est assez gênant. Lui-même reconnaît qu'il fera toujours primer l'humain, c'est son ordre à lui, le même que les injonctions sécuritaires. Un autoritarisme qui ne dit qu'une chose : moi d'abord.

      · Il y a plus de 3 ans ·
      Ab

      blanzat

    • oui ; mais en plus il joue sur une ambiguïté redoutable en sous entendant que les écologistes rêvent d'imposer un ordre planétaire

      · Il y a plus de 3 ans ·
      Autoportrait(small carr%c3%a9)

      Gabriel Meunier

    • Tout à fait Gabriel, l'ordre chez un philosophe prend racine dans le logos, la Raison, le discours surplombant que nul n'a le droit de contester. La nature n'a pas de discours, elle n'est pas un logos, mais un cosmos. Un écologiste a toujours assez d'humilité pour ranger son discours sous ce cosmos, à la différence des défenseurs d'un modèle de la Raison toute puissante, qui accapare les discours et veut faire croire que ce qu'elle dit est le monde tel qu'il est. C'est l'erreur fréquente des scientifiques : ils édictent des lois générales, mais ce ne sont que des catégories de l'entendement appliquées à l'objet étudié. Une théorie scientifique ne change rien à la réalité de la nature. L'anthropocentrisme fait partie de ces erreurs communes du primat de l'ordre et du discours : quand on parle de "lois" naturelles, on s'imagine que le monde est ainsi circonscrit et répondra toujours bien sagement à la mécanique qu'on lui applique. L'astrophysique a heureusement démontré que tout ne marche comme sur des roulettes où qu'on se trouve dans l'univers...

      · Il y a environ 3 ans ·
      Ab

      blanzat

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