Autopsie d'une rupture

redem

C'est un soir d'avril que je décidai de mettre fin à cette séparation douloureuse... Tandis que j’étais là, assis, à songer à mes histoires passées, je réalisais qu’il n’y a pas d’amour sans chaine. Qu’il m’est impossible d’aimer et d’être libre ; pas plus d’aimer un être libre. Notre histoire avait cessée de s’écrire parce que nous ne pouvions vivre ensemble sans nous éteindre. Son cadavre gisait-là, devant moi, tandis que j’essayais de comprendre où nous avions cessé d’être libres et comment je retrouverais un jour le plaisir de jouir de ma vie, de mon esprit et de mon corps sans être alourdi par des souvenirs.

Ses yeux aux coins bleus m’avaient tétanisé d’effroi à ne plus pouvoir me regarder sans être amplis de larmes. Sa bouche était froide lorsque nous nous embrassions dans la routine de nos jours d’hiver ; sa peau tendue, presque figée, comme une carapace, lorsque mes doigts caressaient son corps. J’avais tant aimés ses cheveux longs, d’une douceur sans égale. Ils étaient le plus sûr moyen pour moi de trouver le sommeil. Du bout de la pensée, je pouvais presque les toucher.

Notre amour n’était plus et je contemplais son cadavre. Comment en être arrivés là ? Qu’avais-je donc fait ? Je pensais que l’autopsie d’une rupture permettrait peut-être de reprendre possession de soi ; analyser chaque morceau de l’autre me libérant de son emprise. Je pesais chaque partie de son corps. Mais que m’apprendrait-elle de l’autre ? Que me dirait-elle de moi, de ce nous desséché, stérile ? Considérer l’intérieur d’un amour, en voir les plus petits replis de la chair, les plus monstrueux détails organiques serait peut-être le moyen d’en venir à bout. Oublier. Et comme rien n’est vrai, tout est permis ; jouir sans l’autre, serait enfin possible.   

Je contemplai son foie, toxique, empli de tous les déchets que le corps ne peut tolérer. Il me sembla soudain être l’organe de l’imposture par excellence. Terriblement lourd, d’un aspect rouge brunâtre, il porte sans doute le poids de quelques tromperies. Je pensais maintenant à tous ces mots qui m’avaient été dit ; sorties de ces viscères, autrefois sincères, à toutes ses promesses de lendemains que sa langue me chantait. Autrefois prolixe, suave, pleine de salive, tant de doux baisers sucrés, elle était à présent dure, sèche, sans mot dire. S’il est un organe qui ne peut trahir, le sexe devait être le plus sincère de tous ceux que mon esprit passait en revue. Lorsque nous nous étreignions il était toujours le témoin indéfectible, sinon de l’amour de l’autre, au moins du désir, de l’attraction des corps. Maintenant, inanimé, il a perdu toute sa vigueur, sa puissance turgide. Il est à jamais exempt de jouissance.  Le cœur est vide : vide de sang, vide d’amour, vide de palpitations. Et je me demande comment je pénétrais jadis ses vaisseaux sanguins. Est-ce qu’une partie de moi, certaines de mes hormones, venait couler dans ses veines et nourrir, faire vibrer, son cœur ? J’étais curieux aussi de savoir si j’étais encore présent dans son esprit. Les circonvolutions de son cerveau gardent-elles les traces de notre amour ? Parcourant, tel ou tel replis sinueux, j’imaginais pouvoir y lire quelques-unes de nos aventures. Soudain, j’eus un sursaut, cette masse visqueuse, rêve-t-elle encore de moi ? Dans un songe éternel, je peuplais peut-être encore ses pensées. A moins que ce ne soient mes pensées, mon délire nocturne, qui finalement étaient envahis par l’être aimé.

J’ai du scruter encore quelques parties de son corps et de son caractère, avant de m’endormir, apaisé. Petite, la mort était petite. Une sensation froide sur mon ventre me réveilla… Mes mains étaient rouges, empourprées de sang séché. Aurais-je jamais pu penser en arriver là ? Je venais de commettre l’acte ultime. Non seulement je venais de me débarrasser du plus encombrant des tourments, mais je l’avais fait dans la délectation. J’y avais pris un plaisir sans borne. Probablement allais-je recommencer ; car je me sentais enfin capable de recommencer. Quelle que soit la victime, je m’en moquais. Il faudrait que j’éprouve à nouveau cette douce sensation. Son cadavre gisait-là et aucun sentiment d’horreur, nauséabond, ne se pressait en moi. J’étais satisfait du geste.

Tandis que son corps suintait de sang encore tiède, affublé d’un rictus étrange, je songeais à l’espace de liberté que cette exécution venait d’ouvrir. Et sur mon ventre, froide, cette substance épaisse, blanchâtre, m’avait libérée, je pouvais à nouveau jouir sans entraves.

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