Autoroute de Rennes

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AUTOROUTE DE RENNES

Ma voiture était blindée de meubles IKEA. Je venais d’emménager, je passais beaucoup de temps dans le magasin suédois. J’étais devenue accro. J’y allais pour acheter une table basse et je revenais avec une série de babioles. 

En général, je restais même pour le déjeuner. Les petits raffolaient de leurs boulettes. 

Ces derniers temps, je ne sais pas pourquoi mais je sentais que j’allais le payer. Trop de chaises Vlav, trop d’assiettes Sundstöm, trop de boulettes. Trop de bonheur suédois. 

C’était Noël, j’avais pris l’autoroute sous une pluie battante vers Evry pour me ravitailler. Ma liste de courses prête, je m’étais promis de ne pas traîner, comme d’habitude. Eviter à tout prix le coin cuisine, les ustensiles qu’on entasse dans le caddie et les bougies qui prendront la poussière et ne brûleront jamais. Je me sentais raisonnable, ce jour-là. Je déjeunai sur le pouce, fis mes achats et repris la voiture.

En sortant du parking, je passai devant des restaurants de zone industrielle. Un énorme hippopotame clignotant me salua avec son chapeau haut de forme. L’animal avait un sourire en coin. Un petit sourire qui disait : « Attention, jusqu’ici tout va bien, gare au tournant ! ». Je fis le tour du rond-point et pris la bretelle d’autoroute, il commençait à faire nuit. 

Soudain, le choc : une énorme masse m’avait heurtée. Je m’arrêtai sur le bas-côté quelques centaines de mètres plus loin pour faire le point, je sortis de la voiture : le radiateur et le pare-choc étaient défoncés. Je ne voyais rien dans le noir. La chose gisait toujours sur la chaussée, les voitures essayaient de l’éviter. Il ne faisait pas bon rester dans le secteur. Je remontai en hâte dans le véhicule et redémarrai. Je roulai quelques kilomètres pour me remettre de mes émotions et pris la première sortie. 

J’avais cogné un drôle de truc. Une grosse bête, sans doute. Un cerf ou un chevreuil. J’appelai mon compagnon Niels pour lui faire part de ma mésaventure. Son téléphone était sur répondeur. J’étais sonnée. Que m’arrivait-il ? Je repris peu à peu mes esprits, rappelai Niels. Toujours le répondeur. Devant moi, il commençait à neiger. La nuit était noire. La neige se faisait plus épaisse. Je me décidai enfin à redémarrer, le radiateur semblait hors service, il fallait que je roule lentement. Tout doucement, je retournai sur l’autoroute. J’allumai la radio.

« 21 heures . Flash routier, Laurent Delmas ».

«  Bonsoir. Ralentissement sur l’A6. Un renne a été heurté par un véhicule à proximité du magasin IKEA. L’animal vient d’être évacué. Le prochain point aura lieu… ». 

Je faillis lâcher le volant de stupeur. Un renne ? Comment un renne pouvait-il débarquer comme ça sur l’autoroute et frapper des innocents ? 

De retour à la maison, j’eus  la révélation. Une punition ! C’était une punition. Je payais l’addition. A trop aller chez le Suédois, on percute des rennes. C’était limpide. 

Par superstition, je décidai d’évacuer de ma vie tout ce qui se rattachait à la Suède. Des vieilles finales de Roland Garros aux petits pains Krisprolls. Quant à IKEA, il fallait y renoncer, totalement. Ce serait certainement dur au début et puis je finirais  par m’y faire. J’irais chez Habitat. 

La Suède devait disparaître de ma vie. Et Niels dans tout ça ? Niels ? 

J’avais la nuit pour y réfléchir. 

Se taper Niels ou une colonie de rennes sur l’autoroute d’Evry.

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