Avec le temps

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Avec le temps.

Le présent récit, sous un titre intemporel, évoque la vie de Jacques Mart, (01.01.1901 3H25  - 31.12.1999 3H25 32’25’’) heureux chronométreur suisse,  natif de Montreux.

 Il vécut durant le dernier siècle du précédent millénaire, au rythme de ses deux passions obsédantes : la captation du temps et l’étude des pierres tombales en roche dure, qu’il nomma la généologie.

Né avant terme dans une dynastie d’horlogers, qui de génération en génération depuis la nuit des temps, s’adonne à la fabrication des coucous, comme les fait mère, il fut initié très tôt à cet art, pour qu’il les seconde dans le nid familial.

Enfant il dérobait le sable du bac et apprit à compter sur sa balance.

A l’insu de son plein gré, fasciné par ses fesses Tina épousa, et leurs lippes firent vibrer bourdons, carillons cloches et sonnailles au beffroi de Milan, en plein hiver d’après-guerre.

Durant sa vie, chaque jour de la semaine, chaque mois de l’année il ramena son lot dru de laps, qu’il archiva pour la postérité.

En remontant aux sombres us révolus depuis tant de lustres, il arriva au fondement de la recherche du passé et de la quête d’antan.

Par ailleurs, il ne manquait jamais les minutes de silence, instants volés souvent dans les cimetières ou les stades, lui permettant d’inspecter simultanément debout les tombes ou les chronos lumineux.

Sa première heure de gloire vint lors de la première olympiade moderne où  la captation du temps se fit dorénavant au chronomètre électrique.

A cette époque, son concurrent principal, le comte Was de Greenwich provoqua un tollé chez les citizens conservateurs, en inventant à l’occasion d’un meeting de trotteuses, le concept de  course contre la montre, qui néanmoins eut un grand avenir.

Il répliqua en prônant la mi,  puis le tiers et le quart temps, grande avancée socio-sportive.

Afin d’élargir ces compétences, il tenta de mesurer par la méthode du carbone 14 le temps du soldat de Marathon, mais échoua en raison d’un délai trop court, à construire une jauge étalonnant la quatrième dimension,

Durant une période il porta de longs jeans, puis adhéra au club de l’Horloge.

Il finança par la vente de calendriers la visite des nécropoles lointaines ; l’examen des ossuaires, columbariums, mausolées, stèles et urnes lui permit d’établir les abaques de calcul résolvant le cas rare de l’amortissement perpétuel des caveaux en marbre.

Il fit voter la loi obligeant les automobilistes à passer au point mort le long des demeures des décédés.

Sa devise fut vers cinquante ans, dura rolex, sed rolex, son métier sur son passeport : chercheur d’heure.

Pour son ami Marcel il fit des recherches mais perdit beaucoup de temps.

Il ne se nourrissait, été comme hiver, uniquement de plats du jour, de pizzas quatre saisons surgelées (Vive Aldi) et de dattes mais ne bût que des cuvées millésimées.

Il fuma des Week-end mais uniquement en semaine.

En Algérie durant les événements, sous le pseudo d’agent DA, pour connaître la tactique des futurs nationaux, il fit parler les quatrièmes taupes en les électrifiant au moyen d’aiguilles spiralées.

Il lutta lors de la mensualisation pour que les salariés soient toujours payés à l’heure.

Il imposa au berger l’angélus en grégorien, à la loterie le dixième, à l’Eure dix verres et les menottes-montres aux Q.H.S.

Ces icônes furent Jung et Bresson,  il lut Piaget et H.G Wells, et admira les taggers, les montres molles de S. Dali et certains chants de  L. Ferré.

En Arles il triompha en exposant une rétrospective sur la photo-finish.

Homme égal, il vola sur Breguet et rédigea des mémoires sur la planification par étape des cycles, des mémentos sur la façon d’antidater et postdater par phase, un almanach sur les règnes, et des éphémérides relatifs à l’espace.

Toujours pressé, il mena sa vie de presque centenaire sur un rythme haletant et disparut tard en petit bateau au fond de l’étang de Thau avec son fidèle cleps Cydre.

Aujourd’hui, quand on ressort de la division 24-H, du Père Lachaise, en remontant l’allée après le cerisier, on découvre sa tombe en quartz, dont le cadran étanche et antichoc, comporte gravé en guise de chiffres, le nom de ses douze descendants, car il était aussi en vérité et en bracelet un absolu tombeur.

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