Zahiya

Monia Bousselmi

zahiya

Je ne saurai situer ce récit sur une échelle historique car il me semble que ce fut un rêve qui a longtemps hiberné dans les baffons du palais beylical…

Ce matin là le palais se réveilla sur un roulement de tambour et des you-you crissant …des bruits qu’on entendait d’habitude qu’à l’occasion d’un exploit royal …quand sa majesté parvenait à dépuceler une « eljiya » une esclave blanche ottomane ou des Balkans !!

Tout le monde se précipita  vers la coure principale lieu du rassemblement matinal des soldats du Bey.

Moi… Zahiya j’ai suivi la foule : le spectacle fut des plus étonnant, une bête humaine gigotant dans les filets telle une baleine crachant en marrée basse !!

L’homme se débattait désespérément seul contre les coups, les flagellations des soldats…une corrida sanguinolente à plusieurs matadors...

La bête dans son malheur luisait sous les premières lueurs de soleil de Tunis…sa couleur criarde ressemblait à un feu érubescent...Ses cheveux longs, ses poils éclataient la pâleur du jour.

Je surprenais l’œil du Bey qui bavait…dévorait l’intimité généreuse de l’homme ; sa corpulence de béton…un chevalier ?un guerrier peut-être ?un pirate ?

C’est Barberousse grogna  le chef de la garde royale !!

Le Bey caressant sa moustache élue sur sa bouche fine telle une pirogue  ne mâcha point ses mots :

-le cachot, aile Aziza !!

La sentence des condamnés à mort tomba telle une épée et fit de la vie du pirate son fourreau !!

La nuit au palais ne ressemblait guère aux nuits de la medina.Une brume s’y ajoutait mélangeant encens des Indes aux plus fins parfums d’Europe !la chaire humaine vétuste ou pucelle !le frou- frou de la soie du Moyen-Orient aux échos des ébats en solo, en groupe ou en duo !!

Les regards immiscés, épicés…le toucher de feu sous les arcades, les galopades des maitres et leurs esclaves...les pudeurs déflorées ombragées sous les coppas…et les Divas rythmant le flot des fontaines marbrées …coule le mot …le péché…l’eau !!

De la nuit je suis exclue moi Zahiya  «  la luxuriante » car damnée ou miraculée qui sait !!

Ma première damnation est un diable portant la croix tatoué sur le sein droit…la seconde : le mot !tout le monde au palais continue à croire que je fus enfant possédée par un Djinn roumi(Français) …sinon comme pouvais-je dire, conter, narrer dans une la langue que seuls connaissent les privilégiés de la coure royale !!

Mon âme charitable obsédée par le risque, me murmura : « voila qui es de ta taille donner  une chance, une vie au pirate !! »

Défiant les  oreilles du palais, les esprits des coppas, les spectres des moucharabiehs, les espions, les pions du Bey…je me suis dit ; «  que j’use de mes damnations et de mes ruses pour franchir les palissades !! »

A ma surprise la route vers le cachot ne fut point périlleuse !! Un air de trahison de rébellion bouillonnait dans les baffons…ou alors ce fut l’esprit du diable tatoué qui me guidait dans ses péripéties !!

Il m’a fallu en guise de bouclier un tour de langue chevronné…et les gardes furent affamés...une langue goulue !!Quelques mains tremblantes gercées ou rudes percèrent mon corsage...et je fus sage offrant ce trône source de ma damnation sans regrets !!

Et les portes s’ouvrirent sans plus de peine !!

La bête gisait sans le souffle…ou presque !lui rendre la vie m’obsédait plus que mes deux damnations !!. Dans cette moiteur cette obscurité malgré le peu de temps passé son érubescence semblait terne, effacé et la bête tremblait comme un moineau auquel on aurait brisé  les ailes ! il faut que je te ressuscite me répétais-je sans répit..

Sa peau froide de cadavre devait certainement lui mettre à la bouche un gout de mort âpre.

Je l’enjambai , puis sorti de ma  « fouta »un pot de miel imbibant ses lèvres de quelques gouttelettes histoire de lui ramener un peu de gout de chaleur de vie…sa bouche demeura sans réponse, close…sans espoir !

Je plongeai alors ma langue dans le pot, décidée à l’enduire entier de miel …je ne perdais pas l’espoir une langue mielleuse parcourait ses dunes et ses plaines, ses sommets, ses écorchures de haine,  ses grains de beauté…lui desserrait les dents doucement...tendrement comme une sensation de vol au dessus d'un mont de plaisir...sans relâche!!

De lourdes paupières plus lourdes que les remparts de la médina voulaient se relever soudain...battaient comme un papillon tout juste sorti de sa chrysalide…un murmure se fit entendre : « qui est-ce...?»

Zahiya ai-je répondis...

Je devais aussi réveiller son esprit le garder présent…les mots m’échappèrent comme un flot de sentiment sous la foudre des premiers regards ou une berceuse sortant de la bouche d'une mère : je murmurai au creux de son épaule ,  son histoire que j'inventai à l'instant dans le feu de ma mission :

Je ne sais encore si cette nuit pourrait s'implanter  dans l'ère du temps
quand Barbe rousse accosta en mille et un an
sur les traits estompés d'un pays voisin
aurait-il filé la trace de son instinct
ou serait-ce ce fanal sillonnant le noir des mers et océans
je ne sais encore quand
Barbe rousse
éclabousse les cotes de nos cœurs vierges
d'une avalanche de velours
tissée de traits et verbes
de mots colorés et personnes salées
je ne sais si se sont ses oreilles
qui traduisent ses sons ses vécus ses tracas en monts et merveilles
ou serait-ce son cœur en éveil
montant les vagues rebelles étaye
matelots chancreux et voiliers cahoteux
fallacieux
charmeur
amoureux
et ...dompteur
de son amas de cordes
non! de chanterelles
Barbe rousse tire les ficelles
de ses êtres au fin fond
de ses visions
au rythme de l'accord de son violon
son violon ne chante ...il raconte
son Harem et ses cargos
ses créatures félines...angéliques...Sirènes et amazones
toutes s'irriguent de sa sève
sa verve et s'empoisonnent
s'attachent
et s'emprisonnent
sur sa toile sa planche
sur ses pages et dans ses paumes
la mort et désirable insatiable et douce

Avec toi mon Barberousse

Je continuais à le monter mes cheveux couvrant ses épaules…la magie du mot ou du miel que sais-je opéra à l’instant je voyais et sentais mon soleil se lever à son horizon …le sud reprenait vie et quelle vie !!Il s’agrippa à ma taille comme un rescapé des déluges croyant à la renaissance !!Une cavalcade me tenta en réponse à ce sud rayonnant...Et j’offrais l’infime de mon intime pour la première fois !!

Le tourbillon de mots chevaucha mes maux :

Dans l’acte…glissent lissent les paupières…je lui mis à l’oreille mon désir en mot et geste je continuai ma transe, ma mission, mon obsession de lui donner une chance de survie

et je décidai de lustrer le visage de la lune
Consteller ma silhouette et mes dunes
Ce soir là j’aurais rêvé voir tes traits en feux
J’aurais contemplé ton érubescence
Ereinté étreint en instance
D’un laps de temps évanescent
Tu aurais aimé mon exubérance
Je t’aurais lancé de mon balcon
Un pont
Le pont du soupir
Il t’aurait surpris au creux de ton sourire
Flânant sur les flancs de nos histoires
Flamboyant et osant
Une à une
Arpenter le chemin de la lune
Sur mon pont du soupir
Orné de pleurs de rires
Orné de désir

Si frêle, si étroite je prenais son large qui par ce moment visait la lune…comme sur ma « mohra » j’éperonnais ses flancs…ses mains étonnamment fines pour un pirate délicieusement agiles faisaient danser le diable à la croix sur mon sein droit !!Mes épaules de chaton chaviraient mon ventre sans fruit dansait…mes couronnes cafés…leurs grappes maudites le nourrissaient de bonheur !!

Je me penchai lui posant mes yeux sur la bouche qu’il colora d’une touche moite …je vis couler ses larmes…le prenant, nous volions d’un seul battement, un seul son de violon…le flot fut brulant, éradiquant à jamais mes damnation et mes obsessions.

Zahiya gémit-il !!

Les chants des coqs remplissaient les coppas. J’ai rebroussé chemin sous le voile de l’aube vers ma chambre dans l’arrière palais…

Le Bey reprit un jour une part de ses esprits comprit enfin que Barberousse était venu en ami…

Et qu’il reviendra un jour retrouver son fruit planté chez la damnée du palais : Zahiya !!

Monia Bousselmi

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