Avenue Salvador Allende, Maputo, Mozambique - un coeur qui bat
Pauline Guillerm
Le doigt sur le bouton de la sonnette, je me revois, perdue dans ce meeting.
Maputo ? Maputo, la capitale du Mozambique me glisse Rebecca à l'oreille alors même que mon patron me tend un billet d'avion aller/retour. Retour open. Je l'ai dit plus d'une fois déjà, en réunion, en entretien annuel, entre deux portes, à la machine à café, tout le monde est au courant dans le service, je ne veux pas, je n'en veux plus de ces voyages, je l'ai dit, crié sur tous les toits, je l'ai écrit dans les mails d'équipe, inscrit à l'ordre du jour des assemblées générales, je ne veux plus partir, mes priorités ont changé, je l'ai dit mille fois, dans ma tête, ça crie fort, mon corps tendu, rempli de rage, voudrait prendre la porte sereinement et une fois prête à se refermer, ouvrir la bouche et échapper quelques mots du genre, je vous avais prévenu, je m'en vais, et tandis qu'une paralysie nouvelle m'empêche de me lever, dans un effort effroyable, je tends le bras pour attraper cette promesse d'un vol sans retour certain et dans le silence qui règne, résonne mon merci, Maputo, quelle chance - je me dégoûte.
La grande avenue est bruyante. Les voitures vont vite. Elles klaxonnent, ne laissent pas le monde en paix. La chaleur du 15 juillet m'étouffe. Le vent souffle et le sable venu du désert vient me piquer les yeux. Je tiens ma valise à roulettes dans ma main droite. Je suis épuisée par le voyage. Je voudrais me réveiller à ses côtés, l'entendre dire, la main sur mon ventre, rendors-toi, je suis là. Soudain, quelqu'un me bouscule par derrière, me sors instantanément de mes pensées, une femme, les bras chargés de sacs, semble ne pas me voir, s'appuie contre la porte d'entrée, cale un des sacs entre une de ses hanches et le bois dense de la maison, enfonce sa main libre dans sa poche de jean et en sors un gros trousseau de clés. La femme, une grosse femme noire d'au moins 1m80, ouvre la porte et la referme derrière elle. La porte claque, je reste là. Mes membres tremblent. Je sers encore un peu plus fort ma valise. Je cherche mon téléphone dans mon sac à mains, je veux l'appeler, lui dire que je n'y arriverai pas, que je vais rentrer, que j'ai besoin de le sentir près de moi, de nous. Il était contre ce voyage. Je n'ai pas pu lui répondre que je n'avais pas su dire non. Alors, j'ai insisté. Une opportunité comme celle-là, je ne peux pas la refuser, crois-moi, ce sera bien. Quand, à l'aéroport, après un dernier baiser dans le cou, il ose enfin me demander quand je reviens, ma réponse s'étouffe dans ma gorge serrée et plus aucun mot ne sort de ma bouche. Je ne sais pas. Je ne sais pas quand je reviens.
La porte d'entrée s'ouvre à nouveau brusquement et je me retrouve nez à nez avec cette femme - cette fois-ci en tenue souple, dans une robe de coton léger - qui me fait face du haut de sa grande taille tandis que sa lourde main attrape ma valise et que dans son regard, je lis une certaine lassitude. Elle entre dans sa maison, un couloir sombre, du carrelage au sol et des murs tapissés d'un tissu jauni sans doute par le temps, elle me fait signe de la suivre. Je fais un premier pas et je retiens mes larmes. Alors que la femme est maintenant au milieu des escaliers au fond de l'entrée, je marche lentement, le changement de température me fait instantanément du bien, je respire enfin et je poursuis mes quelques pas sur le sol froid, avant de m'engager à mon tour dans les escaliers. Nous arrivons au premier étage, trois portes sont ouvertes et laissent entrevoir des lits, la lumière passe à peine à travers les volets fermés. La femme m'indique une pièce, je comprends que c'est la salle de bains. Elle pousse une autre porte et pose, dans la pièce, ma valise. Dans un français très approximatif, elle me dit bienvenue. Les mots, encore coincés dans ma gorge, je rentre dans la chambre et referme la porte, sans rien dire. Je pense que je pourrais rester dans cette chambre pendant longtemps, je m'allonge sur le lit, mon ventre me tire, je le masse tendrement, un léger sourire se forme sur mon visage mais laisse vite la place à une crise de larmes. Je suffoque, je n'arrive plus à retenir les spasmes, je pleure fort, des bruits s'échappent de mon corps, je râle, la terre s'ouvre sous mon poids, je m'enfonce dans les ténèbres, je m'accroche aux parois du lit, je hurle, je ne veux pas mourir, je ne veux pas nous tuer, ma tête tourne alors que mes cris se font de plus en plus réguliers, je suffoque, une force inouïe s'accroche à mon corps, le tire vers le bas, je suis trempée, mille mains m'attrapent, m'entraînent dans des zones inconnues du monde, je ne respire plus.
Quand je me réveille, la grande femme noire est assise sur le lit, à mes côtés, elle éponge une serviette d'eau fraiche sur mon front, elle a les yeux pleins d'une douceur nouvelle, sa main est posée sur mon ventre, be quiet, be quiet darling, it's important for the baby. Je pose ma main sur la sienne, je la serre fort. Quand je m'endors, je sens encore sa chaleur toute proche et à travers la fenêtre ouverte, j'entends les rires d'un enfant.
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