Avoir seize ans sans honte

fionavanessa

scénario de court métrage, prix du festival littérature et cinéma de Pessac et d'Aquitaine en 1986 Oui, j'avais seize ans...et pourquoi j'aurais honte ?

Le Tableau

 

Personnages :

Thomas.

Sa fiancée, danseuse à l'Opéra.

Des passants. Des visiteurs du musée. Des gardiens du musée.

 

1001. Plan général.

            Extérieur jour.

Une allée bordée d'arbres à Paris aux abords de l'automne.

Travelling plan général à plan demi-ensemble.

 

1002. Plan demi-ensemble.

            Extérieur jour.

Jeune femme brune, la danseuse, elle attend debout dans l'allée, en long manteau clair.

 

1003. Plan rapproché.

            Extérieur jour.

La jeune femme sourit.

 

1004. Plan demi-ensemble.

            Extérieur jour.

Le jeune homme, pâle, s'élance, la prend à la taille, ils s'embrassent furtivement et commencent à marcher.

LUI : Tu es là depuis longtemps ?

ELLE : Non. J'arrive à peine.

 

1005. Plan américain.

            Extérieur jour.

Le couple marche, dos à la caméra. Thomas se tourne vers la jeune femme en marchant. Celle-ci lui parle avec volubilité.

 

1006. Plan demi-ensemble.

            Extérieur jour.

Entrée du musée. Le couple est en bas des marches. Ils montent, bras dessus bras dessous. Ils parlent, on n'entend pas distinctement leurs paroles, enchevêtrées dans celles de la foule de visiteurs. Ils entrent.

 

1007. Plan général.

            Intérieur jour. Panoramique.

Dans le hall du musée. Très haut de plafond.

 

1008. Plan demi-ensemble.

            Intérieur jour.

Ils arrivent au guichet, où un groupe d'Allemands parle fort.

Un homme :  Das war aber so schön meine Freunde, habt ihr es nicht gefunden ? Und diese Dame mit rotem Kleid, habt ihr gesehen ? Wunderschön, absolut wunderschön !

 

1009. Plan général.

            Intérieur jour.

Le couple monte à la salle d'exposition par une autre volée de marches. Thomas écoute sa fiancée parler avec animation.

 

1010. Plan demi-ensemble à américain.

Travelling et panoramique. Intérieur jour.

Vue d'ensemble de la salle : les visiteurs regardent les tableaux et des statues féminines grandeur nature entre les tableaux. Une dame patronesse fait part de ses impressions.

Une femme :  Fascinant ! Positivement fascinant, je l'avoue. Mais comment dire ?...il manque, il manque un je ne sais quoi de recul. On se sent envahi, submergé, oui, chère amie, submergé par le paysage !

La jeune femme avance dans la salle, laissant Thomas derrière. Elle regarde les tableaux avec ferveur. Un homme âgé passe et la bouscule.

L'homme âgé : Pardon, Mademoiselle !

Elle : Ce n'est rien, Monsieur.

 

1011 . Plan américain.

            Intérieur jour.

Elle s'arrête et regarde un portrait de femme vêtue de velours rouge. La femme peinte sourit tristement. Elle poursuit, passe devant un paysage en ruines, puis un jeune page de la Renaissance…

 

1012. Plan demi-ensemble.

            Intérieur jour.

Léger travelling avant.

Thomas, demeuré en arrière, immobile, de profil, fixe un tableau. Celui-ci est légèrement en hauteur par rapport à sa taille.

 

1013. Plan rapproché.

            Intérieur jour.

Profil de Thomas. Son visage a une expression perturbée. La caméra le contourne légèrement.

 

1014. Gros plan (rapide)

            Intérieur jour.

Le tableau que Thomas regarde. Un paysage vaguement italien, d'un doux vert d'eau, abritant des ruines entremêlées de liserons.

 

1015. Plan américain.

            Intérieur jour.

La jeune femme admire un paysage de falaise. Elle se retourne. Pas de Thomas .

 

1016. Plan rapproché.

            Intérieur jour.

Visage de la jeune femme, qui parcourt la salle des yeux. Elle ne voit pas Thomas.

 

1017. Plan demi-ensemble.

            Intérieur jour.

Elle revient sur ses pas. Elle le cherche, regarde partout. Elle s'affole, attire le regard de quelques curieux. Elle accélère le pas, arrive à la porte de la salle, puis se met à courir et l'appelle.

Elle : Thomas !

 

1018. Plan général.

            Intérieur jour.

Vue  d'en bas de l'escalier. Elle apparaît en haut. Elle regarde en-dessous d'elle.

 

1019. Plan général.

            Intérieur jour. Panoramique.

Vue du hall et de la foule de visiteurs, d'en haut.

 

1020. Plan demi-ensemble.

            Intérieur jour.

Un pan d'imperméable vole à travers la porte du musée.

Voix de la jeune femme : Thomas !...

 

1021. Plan demi-ensemble.

            Intérieur jour.

La jeune femme dévale les marches  et arrive dans le hall d'entrée.

Elle : Thomas !... Thomas !... Thomas !...

1022. Plan général.

            Intérieur jour.

Vue légèrement surélevée du hall, à contre-courant avec la jeune femme. Elle est ainsi empêchée d'avancer à son gré.

 

1023. Plan américain.

            Intérieur jour.

Un gardien du musée l'arrête du bras. Elle se retourne.

Le gardien : Mademoiselle ! La sortie, c'est par là, venez !

 

1024. Plan demi-ensemble.

            Extérieur jour.

Dans la rue, Thomas court. Son imperméable flotte derrière lui.

 

1025. Plan demi-ensemble.

            Extérieur jour.

Il arrive au-dessus des quais ; s'arrête.

 

1026. Plan rapproché.

            Extérieur jour.

Il a le regard d'un fugitif.

 

1027. Plan américain.

            Extérieur jour.

Il marche un peu jusqu'au bord, s'y appuie, regarde l'eau.

 

1028. Plan rapproché.

            Extérieur jour.

L'eau coule, puis soudain se trouble.

Fondu enchaîné.

 

1028 bis. Gros plan.

            Intérieur jour.

La main de Thomas écrit en simultané avec la voix off qui récite le poème :

 

Seul, je contemple les vestiges immobiles

Des choses qui n'ont plus lieu, mais polies par les âges,

Me viennent doucement à travers une image,

De leur immortalité la porteuse habile.

 

Se parant des antiques couleurs d'un autre âge,

Elle les aima, les tint sous de puissants charmes ;

Et me portant son fruit m'arrache des larmes,

Car j'ai cru aborder un semblable rivage.

 

D'un rêve j'ai cru avoir mis dans ces ruines

Qui n'étaient en ce temps que des palais fleuris

Aux bancs de pierre desquels je m'asseyais aussi,

Mon âme, portée par mes humeurs chagrines.

 

Alors sentant déchiré sous mon paletot

Un cœur qui déjà avait fui vers ce pays,

A mon tour je me parai, comme d'un habit,

Dans un grand secret, de mon regretté tableau.

 

(Insert à la moitié du poème dans plan suivant.)

 

1029. Plan général.

            Extérieur jour.

Un endroit ressemblant beaucoup au paysage en ruines du tableau du musée. Palais en ruines, étouffé par les liserons. Des arbustes de lilas fleurissent autour. Le soleil tape fort.

(fin de l'insert. A présent la voix reprendra seule les deux dernières strophes du poème, jusqu'à la fin du plan 1030, où l'on n'entendra plus que le chant des oiseaux.)

1030. Plan demi-ensemble.

            Extérieur jour.

Thomas dans un costume XIXème se promène dans ce paisible jardin.

Il aperçoit soudain quelque chose et s'immobilise, charmé.

 

1031. Plan demi-ensemble.

            Extérieur jour.

Sur un mur du vieux palais, une femme est assise, vêtues de voiles blancs, ses cheveux bruns et foisonnants lâchés sur les épaules. Elle est de trois-quarts dos à la caméra. Elle sourit.

Fondu enchaîné.

 

1032. Plan rapproché.

            Extérieur jour.

Le visage de Thomas, de trois-quarts, qui regarde couler la Seine, l'œil sombre.

 

1032 bis. Plan demi-ensemble.

Il marche le long des quais, les mains dans les poches, en regardant le sol. Il est tiré de sa rêverie par un cri.

Elle : Thomas !...

 

1033. Plan demi-ensemble.

            Extérieur jour.

La jeune femme accourt vers lui ; Le rattrape ; il s'arrête. Au fur et à mesure qu'elle parle, on perçoit de moins en moins sa voix.

Elle : Thomas ! Tu es encore parti ! Mais qu'est-ce qu'il y a ? Je t'ai cherché partout au musée, tu n'y étais pas, alors j'ai pensé…

 

1034. Plan rapproché.

            Extérieur jour.

Visage de Thomas de trois-quarts qui regarde à nouveau la Seine.

Voix de la jeune femme : Qu'est-ce que tu as, Thomas ?

Thomas : Laisse-moi. Laisse-moi là. Ne me demande rien. Va. C'est tout ce que je te demande.

 

1035. Gros plan

            Extérieur jour.

Visage stupéfait de la jeune femme. Un éclair passe dans ses yeux . Elle détourne la tête.

 

1036.Gros plan à plan demi-ensemble.

Travelling arrière.

            Extérieur jour.

Elle s'éloigne, dos à la caméra.

 

1037. Plan américain.

            Extérieur jour.

Thomas s'assied sur un banc, s'enveloppe dans son imperméable. Il s'endort.

 

Voix off de Thomas :  

 

D'un rêve j'ai cru avoir mis dans ces ruines

Qui n'étaient en ce temps que des palais fleuris

Aux bancs de pierre desquels je m'asseyais aussi,

Mon âme, portée par mes humeurs chagrines.

 

1038. Plan américain.

            Extérieur nuit.

Thomas se réveille. Il fait nuit. Il se lève et marche lentement.

 

1039. Plan demi-ensemble.

            Extérieur nuit.

Thomas marche dans les rues.

 

Voix off de Thomas :  

 

Alors sentant déchiré sous mon paletot

Un cœur qui déjà avait fui vers ce pays,

A mon tour je me parai, comme d'un habit,

Dans un grand secret, de mon regretté tableau.

 

1040. Plan général.

            Extérieur nuit.

Thomas arrive devant le musée. Il monte les marches, puis pousse la porte, qui s'ouvre toute seule. Il entre. La caméra reste sur l'immense porte, refermée. Bruis de pas qui se précipitent. Thomas réapparaît, l'œil exalté. Il descend les marches, s'arrête et regarde autour de lui.

 

1041. Plan américain.

            Extérieur nuit.

Il entr'ouvre son imperméable, et en sort le tableau de ses rêves, le regarde un instant puis le replace sous son vêtement qu'il maintient fermé.

1042. Plan demi-ensemble.

            Extérieur nuit.

Il descend. L'aube commence à se lever. Thomas sort du champ. Des moineaux et des pigeons viennent sur les marches chercher de quoi picorer. Plan fixe. On voit toujours la porte du musée, refermée.

Voix off de Thomas :  

 

A mon tour je me parai, comme d'un habit,

Dans un grand secret, de mon regretté tableau.

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