Baby please don't go

niels-astruc

EN PASSANT – DANS CE qui fut notre chambre, je vois Lyve qui dort.

J’en conçois une amertume énorme. J’aurais parié la voir éveillée appelant de ses vœux un vain sommeil.

Sur la table, dehors, je pose un verre à bière de gnole. Détail qui me revient : mon fidèle briquet vert bouteille… Noire et muette, la Loire ne m’inspire pas ces joyeux élancements dont le matin elle est dispendieuse. (Je plains quelque part ceux qui se font « jeter » sans la moindre étendue d’eau à se mettre sous les yeux pour apaiser comme qui dirait le feu du rasoir.)

Terrible un « divorce ». Pire qu’un écartèlement ! Parce que, quand on vous écartèle - communément parlant - tablons sur le fait que vous n’avez pas forcément été amoureux du cheval qui vous arrache les trois-quarts du bras. Vrai ou pas ?

Ma femme endormie, je revois son visage tantôt grave, tantôt joyeux. Et si sûre d’elle !!! Cette assurance, de celle qu’affichent les femmes qui ont longtemps assortis leurs ultimatums de mises en garde graduelles. Triste chose à dire mais nous les hommes, n’enregistrons leur doléances émues qu’une fois là-haut à danser sur le fil du rasoir comme des trous du cul de funambules ! Pas là – c'est clair ! – des choses dont on a raison d’être fiers.

Dans ces moments, elle prenait cet air grave et beau qui me chavirait l’âme et je me suis pris à espérer que ma petite Lyve avait fait un choix de vie très crâne avec un être merveilleux qu’elle méritait. Rabattant d’un cran, j’ai décidé que je ne la méritais pas, moi. Et basta !

Je me suis dis qu’il n’avait tenu qu’à moi de la chérir et de la garder. Que je n’avais à ne m’en prendre qu’à moi, gros con que j’étais. Je m’en suis pris à moi-même sur le droit fil. Je me suis envoyé de grosses pelletées de reproches.

Je me suis trouvé moche.

Après un temps m’est apparu qu’il était sage d’attendre demain pour me flageller à coups redoublés. On s’abstient de cogner l’homme à terre à tout jamais privé d’amour (conventions de Genève).

Dans un revirement plein de délié, j’ai songé que – non, décidément – elle avait perdu un type bien, Lyve. Qu’il était de mon devoir de l’empêcher de foutre sa vie en l’air avec l’aut’connard de gérant de société. Qu’à pas deux mois de là, elle serait à me revenir à marche forcée comme une Pomponnette.

Une fois dissipées les ultimes vapeurs, je sortirai le grand jeu. (Fallait bien deux jours !)

Demain… Oui, deux jours.

Deux jours, c’était bien.

J’ai pensé qu’elle était nue sous sa nuisette et que jamais plus…

Là-dessus, cette idée. M’arroser d’essence, craquer tout net une allumette. Tel un bonze, m’immoler devant Lyve à son réveil !

Posément, j’aligne les variantes – flingue, rasoir, défenestration. Des moyens pour ça y en a si ce n’est plus que de postures dans le Kama Sutra. Avec – pareillement - des figures qui vont du stylisé pur à l’extrême sophistication de l’imaginaire. Pour autant, je n’étais pas de plain pied dans le suicidaire. Le schéma premier ne visait qu’à gâcher « sa belle échappée » en éparpillant de petits bouts de cervelle et des traînées de sang sur son choix de vie de merde. Rien là de bien méchant : tous autant qu’on est, on va y tâter !

Son regard de chiot, je le revois clairement quand j’étais en rogne à la Lyve d’antan. Je le revois ce regard que balaye la détermination cinglante que tout du long elle a affichée. (Que dis-je, « affichée » : placardée, clouée !!!)

Six heures ou presque. L’aube revendique sa part de clarté.

Sans enchaînement - la violence d’un ascenseur qui décroche - mon mental s’affale bien en dessous de zéro. Rafale d’images à hachurer ma ligne de vision. Débit d’enfer. Trois saccades lasses. Un soubresaut. Avec fracas, ça s’immobilise. Un bandit manchot !!!

Sur celui-là d’écran trônent trois nœuds coulants.

D’emblée, la corde s’est imposée. Après tout le pendu à ceci de commun au fil à plomb qu’il appose la marque de la pure verticalité sur un monde de gérants de société où tout bat de l’aile.

Une chose que j’ai dans notre garage : une belle corde pas de première jeunesse. Sur ma gauche la poutre qui soutient l’avancée de toiture et prend assise dans le mur du séjour figure une potence tout ce qu’il y a de convaincante. Pour tout dire la pendaison est la seule option à pas me révulser – rédhibitoire ! - dans le « choix du grand soir ».

La nuque brisée - CRAC ! - une secousse, la frousse. Un quart de seconde la frousse immense.

Doucement, le corps pantelant flirte avec son point d’immobilité…

Reste, post mortem, ce problème de l’érection qui m’interpelle avant que je décrète cette forme d’ingérence de la rigueur dans le flottement généralisé de l’apesanteur une belle et bonne façon de mourir l’arme au pied autant qu’un ultime hommage à son intention. Avant que ne surgissent en ligne directe : les gosses d’en face qui demain partant pour le collège prendront de plein fouet la scène de fin non expurgée.

J’opte pour un drap, un petit drap de lit qui s’enchiffonne sur la Calor ©. Je le fixe au tasseau dans le ton alangui d’un baldaquin. Au pire, les mômes entrapercevront une paire de santiags en lévitation. Pas que ça m’ait arrêté donc mais bien plutôt, alors que je suis à clouer par petits coups secs et amortis l’orée du drap à la planche de rive :

- Tu fais quoi ?

Voix de Lyve… La fenêtre en haut…

« Je monte ! C’est bon, je monte. »

D’un coup le drap, je le tire à moi - laisse trois clous en place qui doivent y être encore à l’heure qu’il est.

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