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Ma mère me l'avait bien dit: un jour tu finiras sous un bus.
Et c'est ce qui m'est effectivement arrivé il y a trois mois. Mais pas à force de faire des roues arrières avec mon vélo bleu, ce coup-ci. Juste en sortant de chez moi pour aller au boulot. J'aurais dû regarder le boulevard au lieu de parler au chat de la voisine.
On n'a que ce qu'on mérite.
Bref, toujours est-il que je suis mort bêtement à 42 ans alors que j’étais en pleine forme, sportif et tout.
Tout le monde a été profondément choqué. Les voisins qui ne disaient jamais bonjour se sont mis à amener des quiches a ma femme, ma belle mère qui m'aurait volontiers mis une balle dans le dos à chaque Noël a entamé une dépression incontrôlable, et mes collègues se sont cotisés pour une énorme couronne avec plein de choses bouleversantes écrites dessus. L' église était bourrée à craquer. Ca pleurait, ça reniflait dans tous les coins, on aurait cru l'enterrement de Martin Luther King ou Gandhi, un mec extraordinaire, un bienfaiteur de l’humanité, une perte irrémédiable.
Moi je me marrais dans mon gros cercueil prétentieux avec ses poignées ouvragées. Je me disais: et merde ... si seulement j'avais pensé à laisser un mot avec mes dernières volontés ... leur dire que je préférais une boîte toute simple, en carton , bon allez ok, en pin , mais pas verni ni rien, un truc pas cher, q’est-ce qu'on s’en fout?
Mais on ne pense pas à ces choses-là quand on a quarante ans ... Et malgré le vacarme épouvantable des orgues (des orgues!!!) je les entendais murmurer: « et dire que ça aurait pu nous arriver à nous ...” Ca aussi ça m’a bien fait rire. Je me suis dit: on est peu de choses. Je me suis dit: quelle comédie tout ça. Finalement, ça ne fait pas de mal de prendre un peu de distance .
Au cours des semaines qui ont suivi, les voisins ont tenu la porte d’en bas à ma femme, pour prendre des nouvelles qu’ils disaient, et puis ils ont commencé à l’éviter.
Au boulot mes collègues prononçaient mon nom à voix basse autour de la machine à café, et puis ils se sont lassés, ils sont passés à autre chose.
Rien de plus normal, me direz vous. La vie continue. Il faut aller de l'avant.
Sauf qu’il y a deux semaines, ma femme m'a trouvé un matin dans son lit, tout frais tout reposé, j’ étais revenu d’entre les morts.
Je me suis habillé, je suis parti au boulot, je n’ai même pas jeté un oeil au chat de la voisine qui se léchait devant la boulangerie.
Le patron a paru vaguement ennuyé que je revienne, il avait donné ma place à Marcellin. Il m'a envoyé voir la médecine du travail. Là-bas, ils m'ont mis en caleçon, m'ont pris la tension, tout était normal, j'avais 44 ans, j'étais apte à tout, en pleine forme.
La tuile.
Ils m'ont réintégré dans mon ancien service. Les collègues m'ont tapé dans le dos en murmurant c'est sympa de te revoir ... Bello m'a offert un café. La petite Chloé m'a fait un vague sourire fatigué, elle était enceinte jusqu'aux yeux.
J'ai remis mon pot à crayon près de mon écran. C’était reparti. Moi j'étais vraiment content de retrouver tout le monde. Je souriais sans arrêt.
Un soir je me suis dit je ne vois pas beaucoup mon copain Jojo, je lui ai envoyé un mail pour qu'on se retrouve au squash, comme avant. Il m'a répondu C KI? J'ai ri. Je me suis dit: Sacré Jojo, toujours aussi farceur.
Le midi, je me faisais un plaisir d'aller retrouver la vieille bande dans le petit resto d'à côté, chez Viviane. Dès que midi a sonné, j'ai attrapé ma veste. Quand je suis entré, Viviane m'a fait un gros bisou, et puis elle m'a dit: Tes collègues, je ne les ai pas vus depuis des semaines. Il paraît qu'ils vont au Centre Commercial qui vient d'ouvrir Rue de la Passoire.
J'ai pris la table du fond, et j'ai joué avec mon téléphone en attendant le plat du jour.
Hier j'ai croisé Morrisset, mon ancien partenaire sur le projet La Fureur. Il m'a parlé de son chien pendant dix minutes. Ce matin, quand je suis arrivé, Berthelet m'avait piqué ma chaise.
J'ai serré mon poing américain au fond de ma poche, je l'ai regardé me sourire de toutes ses dents, et j'ai pris une grande inspiration.
Merci.C'est très encourageant.
· Il y a environ 12 ans ·coob
D'accord avec Wictorien rythme impeccable, pas une longueur et d'un coup : la fin... euh la faim...
· Il y a environ 12 ans ·line-cebee
Parler à un chat en tuera plus d'un !
· Il y a environ 12 ans ·Et Morrisset, j'imagine qu'il parle à son chien ?
En tout cas, bon texte je trouve !
Mathieu Jaegert