Baisés

petisaintleu

Lorsque la bise fut revenue, on se trouva fort dépourvu. Les réflexes prophylactiques et les revirements de mentalités qui nous conduisaient vers une nouvelle ère de pudibonderie avaient eu raison de ce rituel qui, au même titre que les gauloiseries, l'arrogance ou l'élégance avait forgé l'esprit français.

Il se susurrait sur le bout des lèvres qu'une révolution de palais se préparait, aussi lourde qu'une haleine chargée après une gueule de bois. Lors de son intervention hebdomadaire, la porte-parole évoqua en conférence de presse qu'un amendement envisageait l'obligation de marcher sur la pointe des pieds. Un journaliste lui tira les vers du nez pour savoir ce qu'il adviendrait des personnes qui souffraient d'un ongle incarné ou des culs-de-jatte. Sa bouche en cœur se cousit devant cette question qui tombait comme un cheveu sur la soupe. Son absence de réponse démontra une nouvelle fois en quoi sa cervelle d'oiseau faisait des gorges chaudes dans les rédactions.

Fort heureusement, les murs ont des oreilles. On apprit par des indiscrétions ce qu'il en était. Bien que le Président se crût sorti de la cuisse de Jupiter, il n'était pas à l'abri d'un ministre trop prolixe qui mit le service de communication de l'Élysée sur les dents en s'épanchant dans un canard qui cloua le bec à tout démenti.

On découvrit que l'objectif du gouvernement dépassait largement le simple lifting. Les révélations avaient mis le doigt sur un projet ambitieux qui consistait à mettre sur les rotules toute velléité. Les organes du pouvoir étaient prêts à mettre en branle toute une série de mesures qui visaient à crêper le chignon, à tomber à bras raccourcis voire à faire passer les amygdales par les narines tout obstacle à la mainmise régalienne.

Dès lors, on commença à se faire de la bile. Au sein même du parti majoritaire des guerres intestines apparurent. On assista à des mutations : des langues se firent vipérines, des chevilles enflèrent et d'autres mirent genou à terre en signe de protestation. Des têtes à claques défièrent des faces de rats, des larmes de crocodiles noyèrent dans le sang des yeux de gazelles, des chiens promirent de ronger jusqu'à l'os la substantielle moëlle du jeu démocratique.

C'était vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. L'opposition reprit du poil de la bête et organisa à la barbe des autorités des manifestations qui firent sourciller les poulets. Ils plumèrent ces oiseaux, les nourrissant de bon grain par l'ivresse des matraques. Ils jouèrent crânement du coude pour exploser les chairs et faire comprendre qu'il était malvenu de faire passer des vessies pour des lanternes en visant la rate pour la transformer en court-bouillon. Le poing final du corps à corps fut donné quand apparurent sur la crête des côtes des fronts d'escouades motorisées ne laissant d'autre choix que de prendre ses jambes à son cou.

La résistance s'organisa derrière le dos du pouvoir. On faisait bonne figure mais, dès que l'occasion s'en présentait, on changeait son fusil d'épaule pour organiser des réunions clandestines. On se saignait aux quatre veines au nom de la cause, dans un mélange de sueurs froides et d'excitation, de paupières lourdes tant le travail les accablait et d'estomacs dans les talons car on en oubliait de manger même sur le pouce. Comme signe de ralliement, on opta pour un bécot suivi d'une joue tendue, pour mettre à l'index toute dissension issue de sensibilités diverses. Il ne fallait pas perdre de vue l'ennemi commun.

La reconquête se fit à la force du poignet. Des hameaux peuplés d'à peine une dizaine d'âmes à la capitale, on avait gardé en mémoire ce qui faisait le nerf de naguère, les traditions hexagonales, le ventre de la nation. De Menton à Montcuq, de Saint-Claude à Bourg-la-Reine, on botta les fesses de ces troublions à coups de poutous. Les plus anciens ressortirent des placards leur mange-disques faisant hurler à leur balcon le Big bisou à s'en lécher les babines.

À trop se regarder le nombril, la mâchoire serrée, le chef de l'État avait oublié que son peuple ne manquait pas de toupet. On ne joue pas impunément avec le chauvinisme.

  • N'y aurait-il pas une allusion à la politique d'un certain Pays ? :o))

    · Il y a plus de 3 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

    • A vrai dire, ce n'est nullement un pamphlet. Ma plume a été entraînée vers un champ lexical dès que j'a posé la première phrase. Le sujet n'est qu'un prétexte pour jouer avec les mots.

      · Il y a plus de 3 ans ·
      Cpetitphoto

      petisaintleu

  • Je ne sais pourquoi, cela m'a donné envie d'hurler à la lune comme une louve en haut d'une colline....

    · Il y a plus de 3 ans ·
    20180820 215246

    caza

  • Ça c'est du grand " Petisantleu" qui me rappelle une certaine époque :) Tu fais dans le plus soft :) Très adroitement et jo'iment tourné, bravo l'artiste !

    · Il y a plus de 3 ans ·
    W

    marielesmots

    • Chassez le naturel etc.

      · Il y a plus de 3 ans ·
      Cpetitphoto

      petisaintleu

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