Bande d'enculés

etreinte

On m'a dit va te promener. Va prendre l'air, ça fait du bien, en plus c'est dimanche et il fait bon. On m'a dit vas-y, je te jure que ça te changera les idées. En plus c'est bon pour la santé. Ils disent qu'il faut au moins trente minutes de marche par jour. Ils disent aussi que fumer tue, et que GTA V nous pousse à fusiller des foules. Les mêmes qui nous conseillent de nous laver les dents par des gestes circulaires. De nous torcher dans ce sens. D'aimer de cette façon et pas d'une autre.
Pour la balade, j'ai fini par dire pourquoi pas. Après tout, je n'avais rien d'autre à faire. C'était soit ça, soit traîner encore devant l'ordi, actualiser Facebook pendant des heures, regarder l'aperçu des vidéos sans le son qui enflamment la toile. Ce singe qui se suce tout seul est plutôt marrant, mais pas plus que les commentaires. Ça s'indigne, ça s'amuse, ça débat, ça tente encore d'imposer son opinion par le biais de longs messages qui se terminent tous par « cordialement » ou « à bon entendeur salut » ou « allez bisous ». Ces gens qui se croient drôles et effrontés me blasaient tous les jours un peu plus alors même que je pensais en avoir trop vu. Allez. J'ai pris mes clopes et je suis sorti.
Non pas que j'en avais besoin. Je ne fume que par ennui. Parce que cela engendre cinq minutes d'occupation pendant lesquelles je ne réfléchis pas à ce que je dois faire. Ce que j'allais faire dans l'heure, les jours, les mois, les années d'après, je n'en savais rien, mais au moins, je savais qu'à partir du moment où j'allumais une cigarette j'avais un but bien précis : chopper le cancer et enrichir Phillip Morris dans son château en Suisse.

Vous avez déjà vu une balade des familles, un dimanche doux sur une piste piétonne en plein milieu des champs et des vignes ? C'est une vision occidentale du premier cercle de l'enfer. C'est fou le nombre de gens qui vont se promener le dimanche avec leurs enfants ou en amoureux, bras dessus bras dessous comme à un enterrement, les larmes en moins. Je devais être le seul qui n'était accompagné de personne.
Je croisais des mamans joyeuses, des papas traînés de force qui auraient préféré regarder l'EquipeTV tranquille à la maison, des gosses qui faisaient du roller et qui se cassaient la gueule en souriant, des quadragénaires à vélo avec des maillots d'on ne sait quel marathon qui a fait leur fierté. Je croisais quelques joggeuses essoufflées mais plutôt mignonnes dans des pantalons qui moulaient ce qu'elles rêvaient de perdre. Je regardais leurs queues de cheval balancer de gauche à droite devant moi quand elles me dépassaient et pour être honnête, j'enviais le vent autour d'elles qui avait l'honneur de les effleurer. Je croisais des vieux aux cheveux blancs qui avançaient aussi rapidement que leur arthrose pouvait le leur permettre. Et ils me toisaient.
J'ai surpris des visages qui ne savaient pas trop s'il fallait se risquer de me dire bonjour. J'obtenais des sourires gênés et des regards en coins. J'avais l'impression de gâcher cette bonne vieille ambiance dominicale française. Je croisais des gars qui promenaient leurs chiens et qui tiraient sur leurs laisses tous les dix mètres lorsque leur animal s'arrêtait pour renifler la merde d'un autre. J'ai vu deux gamines devant moi qui ne devaient pas avoir plus de quinze ans et qui marchaient en s'esclaffant, parfois même en exécutant quelques pas de danse qu'elles ont dû avoir appris en regardant le season finale de Glee. Elles ont marché devant moi pendant un moment en se racontant sans doute des anecdotes de collège, mais j'ai remarqué qu'elles se retournaient souvent, si bien que j'avais l'impression que c'était moi qui les effrayait. Elles devaient se demander qui était ce gars un peu louche et mal coiffé qui semblait les suivre depuis une bonne vingtaine de minutes. Je me sentais comme un pédophile en repérage, et je m'imaginais déjà agresser les gens. Shooter dans des gosses, faire des croches pattes aux petites filles en roller, envoyer des coups de pied latéraux aux petits garçons en trottinette. Rien que leur regard suffisait à me faire me sentir coupable d'actes que je ne faisais qu'imaginer, comme si j'allais craquer d'une minute à l'autre. Les deux jeunes devant moi ont fini par s'asseoir sur le bord du chemin et j'ai enfin pu les dépasser, ce qui leur prouva que non, je n'allais ni les aborder, ni en traîner une dans les fourrés pour l'étrangler et violer son corps avant qu'il ne refroidisse. De toute façon je ne suivais personne. Je suivais la route, vers nulle part, jusqu'à ce que mes jambes me fassent mal et que je fasse demi-tour dans cet environnement où je ne décelai de la vie nulle part. Je me trouvais dans un milieu dans lequel je me sentais tout aussi seul, voire plus encore, que si j'étais resté chez moi devant ces vidéos IMPRESSIONNANTES de chutes et de cascades à la conquête d'un buzz (La numéro 8 va vous ÉTONNER, cliquer ici pour lire la suite).
Ici tout le monde semblait apprécier la météo, le calme, l'air. Tout ça n'était pourtant pas virtuel, les gens vivaient vraiment, alors pourquoi j'étais encore le seul avec ma clope et mes vieilles fringues en train de rêver d'une catastrophe naturelle pour pimenter un peu cette journée dénuée de vie ? Des mamies sportives avec leurs Asics blanches et jaunes fluos tout droit sortis de chez Decathlon et des papis retraités avec leurs écharpes en laine, des petits-enfants qui ne savaient pas encore qu'ils auraient dû mieux profiter de leurs grands-parents tant qu'ils étaient encore en vie. La vie elle-même semblait se prostituer sous son masque d'imposteur, de collaboratrice avec la mort. Mais je savais très bien que ce n'était pas mon entourage qui était défectueux. C'était bien moi, terrorisé par tout ce que ce monde trouve beau, enterré par ce qui élève tous les autres. Les petits plaisirs simples des uns faisaient mes plus grands cauchemars. J'étais l'intrus. Le seul à haïr cette région, ces paysages, cette mentalité de ceux qui en sont fiers, qui en vantent les mérites avec leur accent déprimant qui respire la stupidité. Une beauferie camouflée par quelques neurones qui acquièrent leur sagesse de par les citations qu'ils trouvent sur internet. Leur existence qui ne trouve de matière que par les histoires insipides qu'ils se donnent, qu'ils se racontent.
Je suis rentré chez moi. Un appartement encore plus sombre que lorsque je l'avais quitté. Un ordinateur encore plus nocif. Des vidéos encore plus stupides. Des êtres humains encore plus morts. Un futur encore plus loin. Mais cinq minutes toujours à portée de main. Vous êtes sûrs que ça change vraiment les idées d'aller se promener ?

  • j'adore cette ballade !!! bravo !

    · Il y a environ 8 ans ·
    Img

    Patrick Gonzalez

  • Un "bon bol d'air frais" votre texte.

    · Il y a environ 8 ans ·
    479860267

    erge

  • "La vie elle-même semblait se prostituer" merci pour cette phrase qui va me suivre pendant quelques temps.

    · Il y a environ 8 ans ·
    Jom3

    jom

  • L'on est bien souvent seul au milieu de la foule. L'on observe tout le monde. On attrape au passage quelques bribes de paroles, quelques bribes de vie....mais les gens n'ont pas toujours l'air de ce qu'ils sont vraiment.
    Bien aimé votre texte etreinte !

    · Il y a environ 8 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Merci. J'ai suivi votre conseil que vous aviez laissé en commentaire sur un de mes textes vous voyez, je suis allé me promener.

      · Il y a environ 8 ans ·
      Trertrert

      etreinte

    • Je me souviens en effet ...mais je doute à présent vous avoir donné le bon conseil ... Les conseilleurs ne sont pas les payeurs !
      Pour ma part, me promener toute seule mais sans foule autour de moi, je me sens bien, sinon je me sens trop seule parmi eux tous. Lorsque je cours, tout va bien, puisqu'il est tôt, il y a peu de monde ça me va !

      · Il y a environ 8 ans ·
      Louve blanche

      Louve

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