Barbara.

C'était un lycée public et pourtant il y avait une statue de la vierge grandeur nature. Enfin « grandeur nature », ça fait un peu drôle pour la vierge. A l'époque, on en faisait pas tout un fromage. Enfin la statue était devenue comme le Manneken-Pis. On lui attribuait toutes sortes d'accessoires pas vraiment adaptés. Même si le censeur avait l'œil. Maintenant on dit Conseiller Principal d'éducation. Les temps changent. 

Aujourd'hui, la plupart des CPE s'offusquent si on leur parle de discipline ou de punition. Certains pensent même que les profs ne sont que des rats de bibliothèque et n'ont pas vraiment volé leur sort.

Mais revenons à Marie, un gang particulièrement talentueux et téméraire l'avait kidnappée en pleine nuit. Il l'avait ensuite déposée sur le plongeoir de la piscine municipale (véridique). Avec son air penchée en avant et ses mains jointes, l'illusion était totale. On a jamais retrouvé les blasphémateurs.

Nous, on faisait bande à part, étant estampillés A7, filière Arts Plastiques, on devait cultiver notre différence. On se baladait avec des accoutrements ad hoc et le carton à dessins. Comme une aile spécifique nous était reversée, un peu comme une dépendance à l'entrée du lycée, on se sentait encore plus au dessus de la masse. A part les Arts Plastiques et l'Histoire de l'art, on séchait pratiquement toutes les autres matières la plupart du temps.

Par miracle, je n'ai jamais redoublé. Évidemment, j'ai raté le bac en beauté. On fait pas des équations avec un pinceau. 

Les parents ont tôt fait de me mettre dans un lycée privé, filière lettres et langues. J'ai eu une mention très favorable au conseil de classe, et surtout le bac.

En 2nde, une fille de la classe qui ressemblait à Esméralda et portait invariablement une grande robe noire (elle en avait plusieurs du même modèle, c'était pas une souillon)), avait passé tout le cours d'histoire-géo retournée pour nous initier à la sortie en astral. Le prof, comme les autres d'ailleurs, avait renoncé à sévir. On était des artistes et la Direction n'était pas vraiment à la hauteur pour nous remettre au pas.

J'avais suivi à la lettre les recommandations d'Esméralda (chez qui j'allais souvent, mais rien de concret hélas).

Bon, j'avais vraiment vécu une drôle d'expérience. Après, j'ai lu les bouquins de Rampa, un moine Tibétain, qui était très calé sur la sortie en astral, l'aura, le 3ème œil et tout. J'étais très loin de ma crise mystique de Saint Nicolas à Granville.

J'ai réalisé que tout ce qu'il décrivait sur les aspects pratiques de la sortie en astral correspondaient à ce que j'avais ressenti, sans avoir lu quoi que ce soit sur le sujet.

Le picotement dans la nuque, l'impression d'être tiré hors de son corps, de la tête au pied, et le flottement, ou plutôt un léger balancement, comme en apesanteur.

Je n'ai jamais réussi à reproduire l'expérience.

Plus tard à la fac, j'ai connu Barbara. Elle était un peu fofolle, tout comme sa mère qui faisait exprès de brûler le dîner si on arrivait en retard. Elle était en fac d'Espagnol et moi d'Anglais. J'avais échoué lamentablement au concours de Boulle et des Beaux Arts. Il faut dire que je m'étais présenté les mains dans les poches, face à des candidats qui, pour la plupart, avaient suivi des prépas.

Barbara, c'était une vraie artiste, on pratiquait ensemble toutes sortes de techniques. Je voyais bien qu'elle aurait voulu qu'on aborde une technique euh, comment dire, dans un autre domaine.

Mais je n'étais pas du tout attiré.

Elle a arrêté l'Espagnol pour rejoindre l'école d'enluminure à Angers. Plus tard, elle en est devenue Directrice. Elle avait mon âge et a succombé au Covid. J'ai gardé précieusement les enluminures qu'elle m'avait offertes et je les garderai toujours.

Une fois, je l'avais revue, à une fête médiévale à Chinon. Elle portait un costume du Moyen Age et vendait ses enluminures. Barbara n'est plus et le lycée est très très loin.