“Dis-moi, quelle violence est pire que le silence ?”
Jean-Pierre Guay
Il faisait de la magie et il m'aimait.
Hier encore, il a sorti un bâton de l'étagère. Le gros, pas celui qu'il utilise d'habitude. C'est vrai que j'avais fait une connerie plus grosse. Il m'a surprise en train d'écouter Georges Bizet. J'aime Bizet, il m'apaise. Lui ne jure que par son Hymne, «Ummati qad laha fajrûn ». Il m'a formellement interdit d'écouter de la musique. Il était rouge vif et je savais que j'allais devoir m'agenouiller.
Comme d'habitude, il m'a ordonné de me mettre nue. D'aller dans la chambre et d'étendre le tapis sur le sol. Ce tapis bleu, râpeux, puant et maculé de traces de sang. Mon sang.
Je n'ai pas pleuré. Les larmes ont coulé de l'intérieur et même si mon ventre s'est noué, je n'ai pas eu peur. C'est étrange mais on s'habitue à tout. Même à la douleur, même à l'indifférence. Bien sûr on geint quand le bâton vient cogner sèchement sur nos côtes. On sent que notre corps se raidit, qu'il encaisse la haine. Mais la douleur omniprésente, on s'y habitue. Ensuite, il est allé se laver les mains.
Toujours accroupie sur le sol, je savais que je ne devais pas bouger avant qu'il n'en ait totalement fini. J'entendais l'eau couler du robinet, j'imaginais cet évier avalant mon sang impur dans le siphon, jusqu'à l'oubli des sous terrains.
L'eau s'était arrêtée de couler. Le silence s'était installé mais fut très rapidement interrompu par le rythme lourd de ses pas. Il revenait. Je savais pourquoi. Comme les fois d'avant, il me pris les cheveux et d'un geste brusque me claqua la tête au sol. De son autre main, il actionna la braguette de son pantalon, se pencha sur moi pour me pénétrer violemment. Sans scrupules.
Alors qu'il usait ses forces à faire de mon corps un champ de bataille, je me souvenais de notre rencontre, de celui que j'avais tant aimé et qui me faisait l'amour aussi fort qu'aujourd'hui la mort. Ce jeune homme souriant. Mon homme…
Je le revoyais au jour de notre mariage me regarder avec ses yeux délicieux. Me chuchoter l'éternel bonheur que nous nous apprêtions à partager, les enfants que nous aurions. Je me souvenais du jour ou, pour me consoler, il recueillait ce petit chien blessé sur le bord de la route. Nos vacances modestes mais si romantiques dans un petit village du sud de la France. Quand il me prenait la main et qu'en riant nous courions à perdre halène après les poules de Monsieur Vermeulen. Nous étions jeunes, beaux. L'avenir était à nous.
Il faisait de la magie et il m'aimait.
J'aime ce biais pour aborder la violence dont beaucoup sont capables. Et les femmes qui font cela il y en a beaucoup plus que l'on ne croit... elles détruisent de la même manière avec une emprise psychologique qui ne laisse pas de trace physique... c'est encore plus tabou.
· Il y a plus de 8 ans ·julia-rolin
Benjamin !.... nous sommes en phase sur ce douloureux sujet !..... tu parles de magicien, et moi d'un hypnotiseur... viens lire "hypnotise moi"....
· Il y a presque 9 ans ·je ne peux en dire plus sur nos mots échangés sur cette douleur si différents et pourtant les mêmes....
Maud Garnier
Merci de ce texte très juste... et dont le sujet est malheureusement toujours d'actualité et touche tous les milieux sociaux...Comment hélas peut-on en venir à de telles extrémités ?? cela fait froid dans le dos et me serre la gorge pour des raisons qui m'appartiennent ... C'est bien de faire des piqures de rappel sur ce sujet !
· Il y a presque 9 ans ·marielesmots
Merci pour ce commentaire. Effectivement, on ne parlera jamais trop de ça...
· Il y a presque 9 ans ·Benjamin Katagena
Pas de mots, ils sont bloqués là en dedans. Des larmes oui, effet miroir sur certains points. Il est nécessaire de pointer du doigt la violence faite aux femmes, physique et morale, l'emprise, la peur, le déclin. Tu l'écris merveilleusement bien toujours avec cette belle plume qui est la tienne.
· Il y a presque 9 ans ·ade
Tes commentaires, Ade, me font à chaque fois formidablement beaucoup de bien. Merci pour ça. En effet, on ne parlera jamais assez de la violence faite à l'autre (je n'aime pas dire "femmes", j'ai connu un homme que sa copine ruait de coups). Bise !
· Il y a presque 9 ans ·Benjamin Katagena
Oui il est vrai que les hommes subissent ces violences également. Sujet encore plus passé sous silence... Bise
· Il y a presque 9 ans ·ade