Bébé
eaurelie
Des jours, des semaines, des mois. Des heures par milliers. Debout, couchée. Endormie. Réveillée. A courir, courir et s'arracher les poumons dans une course sans cesse perdue. Mais qu'importe, on continue les tours. Encore. Encore. Encore.
Je voulais juste te le dire. Te dire que j'ai pris 10 ans dans la gueule. J'ai pris la vie en pleine tête et j'ai pas compris. Dans ma tête, tu es maintenant un être idéalisé. Un être vraiment parfait. Alors qu'en fait, je sais pas combien d'années après, je sais encore comment tu me répondrais. Je crève d'un.e véritable ami.e. Un.e Vrai.e. Avec le V majuscule, la vérité balancée en blocs compacts et une vraie.. Putain, une vraie communication. Une vraie confiance.
J'ai besoin de çà. J'ai besoin de cet.te. ami.e..
Pour pouvoir raconter que j'ai pris 10 ans et un bébé dans la gueule.
J'ai reçu un message plutôt énigmatique et j'ai obtempéré en continuant à raconter tout un tas d'inepties surréalistes sur le chemin. Dans ma vie, dans nos vies. Normal. Elle m'attendait à la fenêtre. Avec une petite mine, un petit sourire. Elle m'attendait.
On s'est installé dans le salon après que j'ai fouillé toutes les autres pièces en m'extasiant sur le bien être et la beauté des lieux.
On s'est installé puis elle a commencé. Elle a commencé et elle ne s'est pas arrêtée jusqu'à une question. Et moi, j'ai perdu l'usage de la parole. J'ai perdu le contrôle de mon rythme cardiaque, j'ai perdu le contrôle des muscles de ma mâchoire. Et la Vie a fait une espèce de déflagration entre nous.
On en entend tous parler du "déni de grossesse". On en entend tous parler. Que çà soit à Baby Boom, dans la rue, dans la salle d'attente de la CAF. On connait.
Et il y a "connaitre" et "connaitre quelqu'un qui en a vécu un".
Il y a un bébé. Il y avait un bébé. Une petite fille qui a grandi tout doucement pendant six mois et qui a montré le bout de son nez un certain Lundi 6 Juin vers 19h30 après avoir profondément martyrisé et traumatisé sa maman.
Une crevette faisant 1.035 kg à la naissance. Vivante. Battante. Une monstrueuse leçon de courage et de détermination. Un bébé prématuré.
Une louloute. Une pitchoune. Une choupette. Une petite fille avec un prénom de reine.
Tu ne peux même pas imaginer la maman. Non, tu ne peux pas. Il fallait qu'elle raconte. Alors, elle l'a fait. Elle l'a fait et moi, j'osais pu parler. Demander. Je n'osais pas. Ne savais pas quoi dire. Ne pas savoir comment formuler le bloc de granit de questions qui se forme progressivement. Avoir peur de blesser la maman. D'y aller trop fort. Alors, tu écoutes. Tu écoutes puis tu lèves les mains, haut les genoux et tu t'avances sur le champ de bataille. Son déni, la violence de son rejet, la manière dont elle en parle. Tu évites les projectiles, tu évites les petits monticules de pierre que tu sais dissimuler une bombe. Tu tâtes. Tu tâtes parce qu'il y a une petite fille qui est née. En pleine santé. Fragile comme un flocon de neige mais en pleine santé. La Vie. La Vie. La Vie.
Toi, tu es remplie de joie. Mais tu ne le montres pas. Tu ne peux pas le montrer devant la femme devant toi. Mère, enfant, adulte en devenir. Trop violent, trop puissant. Trop terrifiant. Trop..
Attendez. Rembobinez.
Elle clignait fort des yeux. On a pleuré un peu ensemble. Mais la vie venait de changer. Pour elle, quatre jours avant. Pour moi, ce fameux jeudi. Il y a un bébé. Il y avait un Bébé.
J'ai rencontré la Puce deux jours plus tard. On y est resté presque trois heures et quand la maman a approché son doigt de la main de la petite, que la petite a serré de toutes ses forces la phalange, on a pleuré. Tout doucement.
Un Bébé prématuré, c'est minuscule, c'est inachevé. On aurait dit un poupon Corolle. Sauf qu'elle avait la niak comme pas possible. Que son coeur était plus régulier qu'une horloge. 160. 160. 160. Elle avait, pour se tenir compagnie, une dizaine de machines, d'écrans et de bips sonores. Mais elle se débrouillait comme une chef! Elle était belle comme le jour. On s'est installé sur des chaises en plastique inconfortables et moi, je me suis surprise à me sentir complètement apaisée auprès d'elles deux. Ensemble, dans leur monde. Mère. Fille.
Un apaisement rarissime. La dernière fois que je l'avais ressenti, c'était avec Mathias, en 2011. Quelque part entre le 29 Août et la mi Septembre.
L'apaisement parfait. Où le monde s'arrête de tourner. Où il n'y a plus rien qui compte que les personnes avec toi. Rien d'autre. Rien. Que dalle.
Pouvoir se dire que tout va bien. Que çà va aller.
Ce soir, la maman ne me répond pas. Cela veut dire que la Puce va mourir. Qu'elle a vu le médecin et que le diagnostic est sans issue. Elle m'avait prévenue. M'avait déjà fait le coup quand l'état de la Puce s'était brutalement dégradé. Silence absolu pendant deux jours. Je l'ai vu aujourd'hui, l'ait un peu distrait et puis elle a filé très vite à l'hôpital.
Ce soir, j'ai du mal à accepter la chose. Je suis déçue de Dieu. Déçue de cet enfer. Déçue de "tout çà pour çà". Deux semaines de vie, un traumatisme à vie pour la maman et au final, les médecins qui la condamnent pour son bien? Je comprends la démarche scientifique, je l'accepte et la salue. Mais pourquoi, putain, avoir fait vivre tout çà à la maman? Pourquoi? POURQUOI?
Elle s'était décidée, enfin, à la reconnaitre officiellement et à annuler la mise à l'adoption choisie dans l'état de choc juste après l'accouchement en urgence. Elle allait prendre ses dispositions. Construisait un avenir. Commençait ses projets. Et puis. Des petits vaisseaux ont éclaté dans le cerveau de la petite. Trop de sang et trop de séquelles pour une vie autonome plus tard.
C'est injuste. C'est même ignoble.
J'ai pas les bons mots. J'en ai marre de pas réussir à retranscrire. Je suis en colère.
Un effort, MERDE! Un effort de ta part, çà serait trop te demander à toi là haut ? Tu m'énerves tellement que je serai capable d'aller prier à l'église et t'engueuler mentalement tellement c'est NUL ce que tu fais en ce moment! Pourquoi tout çà, sans déconner ? Pourquoi ? La pousser au suicide? Dans les médicaments? Lui gâcher sa vie alors qu'elle commence à peine ? C'est NUL!
Je ne sais pas quoi dire, j'en ai les larmes aux yeux...
· Il y a plus de 8 ans ·joanandmom
J'entends votre colère et votre chagrin face à cette situation très injuste, comme la vie en réserve de temps en temps. Pourquoi pas aller prier et gueuler mentalement dans une église? Parfois on obtient des réponses auxquelles on ne s'attendait pas.
· Il y a plus de 8 ans ·Ce texte soulève bien des questions et des très intéressantes dont on parle peu. C'est fort et bien de l'avoir écrit. Je forme le vœu que cette maman soit bien accompagnée humainement pour aller de l'avant.
divina-bonitas
Un texte d'une force ! Terriblement émouvant !
· Il y a plus de 8 ans ·Louve