Berceuse

Hélène Mercier

Le premier cri !

C’est son corps entier qui s’ouvre comme cèdent les vannes ; ses poumons se gorgent de l’air qu’il repousse ; ses mains, ses pieds veulent chasser l’oxygène qui le brûle ; et soudain c’est le miracle de la vie qui s’est renouvelé.

La mère repose, inanimée, encore groggy d’anesthésie, mais un sourire de satisfaction erre sur ses lèvres pâlies par l’effort. Dans son inconscience, elle l’a entendu, ce premier cri, elle sait qu’il n’est que le début de toute une série d’autres, et il ne lui faut que cela pour dormir apaisée. Elle voudrait ouvrir les yeux pour le regarder, mais pour l’heure la fatigue la terrasse.

Le père s’est saisi de l’enfant et lentement le berce. Enfin, le voilà ! Est-ce un garçon, une fille ? Qu’importe ! Mais il vérifie tout de même. Un garçon. Combien belle sera sa vie, puisqu’il l’aime déjà plus que tout ce qu’il a jamais aimé, tandis qu’il hurle sans cesse et se démène entre ses mains !

Doucement il oublie les sage-femmes et le médecin qui attendent pour prodiguer au bébé tous les soins nécessaires. Il rêve à l’avenir de son enfant. Aux premiers sourires plus grands que les plus larges croissants de lune, les premiers gestes d’approche, d’amour ; les premiers pas, les premiers mots.

Les premières colères, les plus fortes ; les premiers rires et les jeux.

Le premier émoi, peut-être une larme, ou tout un seau ; et puis la joie, le bonheur qu’on entrevoit.

Le père sourit, et puis son sourire se fane.

Les premières insultes.

Les premières haines.

Les doctrines et ce qu’un jour on prend comme un affront.

Les premières cuites et les grands désespoirs, le bras battant le côté, suivant la masse.

Cracher sa tristesse et sa peur par la voix d’un seul homme, oublier même ce qu’est un homme, faire son deuil de la valeur des droits, être terrorisé, encore et toujours, toujours et encore…

Apprendre à se taire, s’habituer au mépris.

Les premiers coups. Tant de cris…

La mère lentement sort de sa torpeur, mais ses paupières ne s’ouvrent pas encore. Il crie toujours, son enfant ; mais est-ce bien son cri? Il y a beaucoup trop de bruit autour d’elle. Elle se dresse, oubliant la douleur dans son ventre.

Tandis que hurlent les médecins qui tentent de l’en empêcher, et tandis qu’en silence il pleure, doucement le père étouffe son enfant, d’une main étranglant sa gorge frêle, de l’autre, et pour l’apaiser, caressant en tremblant le front minuscule. 

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