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phalene
Je regarde le soleil se lever derrière une épaisse couche de nuages. C’est une journée grise, qui ressemble à toutes les autres. Cela fait plusieurs matins que j’oublie de régler ma lampe solaire et que je me réveille avec cette grisaille. Elle m’emplit l’esprit, me transperce, alors je ferme les volets et allume l’hologramme « ciel bleu » et les prototypes solaires au plafond. C’est comme si l’été était revenu en une demi-seconde et tout de suite, je respire mieux. Je me dirige vers la cuisine et claque des mains : les lumières s’allument, l’électricité revient après avoir été coupée toute la nuit. Ma Voix féminine me salue : « Eléonore-347, bonjour. Vous avez dormi huit heures et trente-sept minutes. Prenez votre thé, deux tranches de pain et de la confiture. » Le réfrigérateur s’ouvre au même moment et le pot de confiture se présente directement à moi, poussé par un mécanisme. La voix reprend: « Aujourd’hui vous devez faire vos courses et un jogging de trente minutes. » Mon cerveau enregistre automatiquement le message en moi tandis que je déjeune en lisant les nouvelles sur un écran géant.
Pendant que je cours, le ciel gris me rappelle mon réveil et je repense aux informations. Une petite note disait que les Etats-Unis et la Corée étaient toujours en froid, et qu’ils déployaient leurs missiles nucléaires. C’était tellement court que je me dis que ça n’a pas d’intérêt. Il fait plutôt frais, mais c’est supportable. Je me motive en me répétant à chaque foulée mon poids de forme, que je dois absolument garder. Les inhalateurs absorbent la pollution de l’air, au centre de chaque route : les médecins disent toujours de courir loin d’eux, pour ne pas attraper de cancer. Il parait que le cancer existe depuis longtemps, mais on ne le soigne pas encore. Il parait aussi qu’autrefois des « arbres » faisaient le travail des inhalateurs, mais étaient moins efficaces. Moi, je n’ai jamais vu d’arbre.
Partout les hologrammes publicitaires animés montrent notre Chef Suprême souriant, répétant les mêmes messages : « l’Etat se préoccupe de votre santé. L’Etat vous aime. L’Etat vous veut du bien : suivez votre Guide. » Je souris, cette phrase me rappelle sans cesse mon grand-père. Il me disait toujours « Mon propre grand-père aurait hurlé ! On se croirait revenu sous Staline ! » Et il m’expliquait qui était Staline. Pour autant, je ne suis pas sûre d’avoir tout compris : comment un peuple aurait-il pu accepter de se laisser guider entièrement par un seul homme ? Je souris à nouveau. Il me parlait d’encyclopédies et de bibliothèques, et de cours d’Histoire : que de choses inutiles, alors que désormais ma Voix répond à toutes mes questions. Quel temps fait-il ? Elle sait. Le supermarché le plus proche ? Le prix du bijou que j’ai vu sur le catalogue internet ? Idem. Je n’ai besoin de rien d’autre.
En rentrant à la maison, une idée soudaine me surprend. Alors que j’enlève mes chaussures de course, je décide d’interroger ma Voix, qui sait tout. Je lui dis :
« Tu pourrais me dire qui était Staline ? »
Pas de réponse. D’un coup les lumières s’éteignent et mes portes se bloquent de l’intérieur. Au loin, la sirène des policiers retentit.