Biodégradés.

janteloven-stephane-joye

On nous dira que c’était écrit, que c’est comme ça, que l’on n’arrête pas la course du temps, l’évolution, les découvertes, la fécondité sans bornes ni retenue du cerveau humain. On clamera que voilà, c’est ça le progrès et qu’on ne peut le stopper. Qu’il est comme une plante folle, une mauvaise herbe qui même si on la coupe à la racine finira par reprendre son chemin inlassablement ou creuser d’autres sillons plus effrayants encore.

Alors, c’est vrai qu’il a parfois du bon, le progrès… comme ces nouvelles machines que l’on appelait autrefois automobiles et qui, capsules aéroportées, ont été dotées comme miraculeusement de ce que l’être humain a de plus cher, son souffle, son fil de vie, sa respiration. Car, je devais bien le reconnaître, moi vieux râleur pestant contre une fin de vie trop solitaire et monotone, je restais sans voix face à cette invention là… un engin respirant, dont l’air environnant constituait l’unique source d’énergie et qui forcément ne rejetait aucune forme de pollution. Une prouesse, née sans doute d’un esprit supérieur, presque divin pour ne pas dire malade, parce qu’il fallait sans doute être assez cinglé pour avoir pensé qu’un jour cela pourrait fonctionner. Mais, la preuve passait encore en contrebas de la fenêtre chauffante de ma chambre. Et cette automobile à poumons me semblait d’ailleurs bien plus complexe à mettre au point que de transformer les UV des rayons solaires et leurs capacités calorifères en vitre-radiateur, ce qui pourtant n’avait été inventé qu’il y a 6 ans environ. Il devait y avoir bien plus d’argent en jeu dans l’industrie automobile que d’enjeux écologiques chez les vitriers !

Expliquer comment fonctionnaient ces « voitures » flottant au ras du sol m’était impossible et ce n’est pas le peu de fois où je les avais empruntées qui m’avait donné l’envie d’en connaître les secrets. Tout ce que je savais c’est qu’elles étaient horriblement silencieuses et sournoisement automatisées. Ni pédales, ni levier de vitesse, plus de volant non plus, mais une énorme console centrale vitrée avec des leds et des onglets de partout, plus un ridicule joystick qui servait à tout et à rien, puisque cet engin était plus devenu un gps motorisé qu’un moyen de transport indépendant. Une boîte d’aluminium, de verre et de carbone totalement aseptisée, et sous contrôle, d’une propreté dictatoriale mais d’un ennui phénoménal. Un engin sûr, sans risque, sans bruit, sans pollution mais sans saveur ni passion, comme s’était muée la vie qui torturait mes 107 ans.

Au nom de l’écologie et de la morale, nous avions agi pour sauver la planète et la nature certes savamment meurtries durant plusieurs siècles, mais au détriment de tous, et surtout de la vie elle-même, de l’aventure qu’elle devait représenter. Un monde sans OGM, mais sous OGM, car c’est nous que nous avions génétiquement modifié, à grands coups d’interdits et de lois sclérosantes qui sous le slogan d’être profitables à la planète ne favorisaient une fois encore que les plus aisés, ceux qui possédaient et le pouvoir et la richesse.

Un monde sous antibiotiques dans lequel on avait imposé un mode de consommation plus sain il est vrai, mais si couteux que les plus modestes ne pouvaient pas réellement en profiter. Un monde sans fumée, sans gaz à effet de serre, un monde biodégradable et presque végétarien, la viande étant devenue un produit de luxe, auquel seuls certains avaient accès… un monde plus injuste encore, mais où je dois bien l’avouer on respirait mieux !

Un homme biodégradé, oui… sur une terre surpeuplée mais apaisée, à l’aube de sa 2082ème années.

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