Bonne Fête Maman

morgan-kepler

Maman,

Je déverse ces mots comme je déverse mes larmes, c'est encore toi qui me les inspire. Toi qui voulait être mon chemin, mon repère et mon modèle, tu n'es qu'une lourde chaîne qui me retient ! Je me sens à l'étroit dans ton monde. Chaque année je prends le large, mais chaque année tu me brûles les ailes. Tu me réprimandes sans cesse, t'étonnant de ce que je suis, méprisant ce que je deviens. Je te sens comme une bougie posée sur une fenêtre sous un rideau de soie.

Selon toi je suis incapable de voler, je ne sais mettre un pied devant l'autre, je suis le petit chaperon rouge perdu au milieu de la forêt. Seulement le véritable chaperon rouge c'est toi, en plus d'être de mon loup. Tu es effrayée du monde dans lequel nous vivons. Tu as peur car tu ne le connais pas. Ta seule ouverture sur l'extérieur est un écran de télévision dont la seule chaîne allumée en permanence est TF1. Tu ne sais pas ce que sont les couleurs, ce qu'est le soutient et la force des inconnus. Non les étrangers ne sont pas malveillants, non ils n'attendent pas que je tourne le dos pour me poignarder aussitôt. Tu crois que je vis dans un monde parallèle, que je suis sur un nuage, tu crois que tu détiens la seule vérité sur tout. La vérité c'est que tu ne sais rien, et ne veux pas savoir.

Tu te berces d'illusions. Ta mauvaise foi n'a d'égale que ta bipolarité. Tu es lunatique et hypocrite. Tu es sourde, tu es aveugle. Tu vis derrière une vitrine que je ne peux briser.

Je souffre terriblement mais selon toi je n'ai pas le droit. Tu es la seule détentrice de ce droit divin qu'est celui de la souffrance. Toi seule a le droit de pleurer, toi seule a le droit de critiquer. Et tu ne vois pas que je me noie, tu n'entends pas que je t'appelle.

Tu m'as longtemps fait croire que sans toi je n'étais rien, tu faisais mine de m'encourager mais tu me coupais l'herbe sous les pieds. Je suis orpheline de rêve. Je n'ai plus d'ambition, je n'ai plus de projet. Tu aspires mes passions et les désintègres. Tu ne me laisses pas m'améliorer, tu ne me laisses pas essayer. Tu te moques de moi et t'étonnes que je ne sais pas plier un drap. Orpheline jusqu'aux lèvres, je suis desséchée, je me décompose sans avoir atteint ma première métamorphose.

Je suis cruellement seule. Tu m'enfermes, je ne peux sortir. La moindre sortie qui pour les autres jeunes de mon âge n'est qu'une banalité sans nom, devient entre nous une négociation sans fin. Chacune de mes affaires traînant dans ta maison, est immédiatement renvoyée dans ma chambre, qui comme mes émotions déborde, submergée d'un trop plein, trop plein d'ignorance, trop plein de mépris...

Je me sens privée de tout ce qui m'appartenait, bien que je doute que ces choses n'aient été tangibles. Démunie, j'essaie de hurler. Je perds ma voix, je n'ai plus que des yeux que tu refuses de regarder.

Sept ans que tu t'es faite une idée de moi, une image dans ta tête dont tu refuses de te séparer, sauf pour te vanter auprès du peu de tes fréquentations. Et encore ! Ma sœur récolte tous les honneurs.

Ma sœur est une perle dont vous êtes si fiers, toi et papa. Je suis la cinquième roue du carrosse, le mien est fait d'orties. Je suis celle que l'on préférerait oublier. Celle qui accepte, celle qui pardonne, celle qui voit la facilité dans tout ce que vous trouver compliqué. Je suis celle qui rêve d'évasion, qui rêves de différences, de nouvelles lunes, de nouveaux soleils, d'une autre culture que la sienne...

Je suis celle qui travaille dans l'ombre, car les mots qui emplissent ma vie et mon territoire vous sont incompréhensibles et surtout inconnus. Mes idées contre ses tableaux, ma filière contre la sienne, mon intelligence contre son acharnement.

Vos savoir-faire m'étouffent et me ridiculisent. Mais comment savoir lorsqu'on ne nous a pas appris ? Et ce, jusqu'à la moindre base, ne serait-ce que de couture ! Je suis celle qui se perd selon vous, je suis celle qui ne va nulle part. Mais je suis celle que vous avez faite. Sauf que moi j'ai quelque chose que vous ne saurez malheureusement jamais : j'ai appris à penser !

J'aurais tellement de choses à vous écrire puisqu'ici on ne m'écoute pas. J'aurais des souvenirs à vous raconter, tant de musiques, de partages, tant de sourires. Et des rêves qu'on a eu, des rêves qu'on à fait, des rêves … que je n'aurai plus jamais !

Bonne fête maman. Mais comme chaque année, je t'offrirai une babiole de supermarché: « Tu es la meilleure de toutes les mamans, je t'offre cette rose éternelle, symbole de mon amour pour toi » et bla bla bla.

  • Merci beaucoup :-)

    · Il y a presque 12 ans ·
    Avant bras 465

    morgan-kepler

  • Ton texte est poignant et je me reconais dans chacune de tes phrases bravo

    · Il y a presque 12 ans ·
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    Amal Aghzaf

  • Merci pour vos commentaires.

    · Il y a presque 12 ans ·
    Avant bras 465

    morgan-kepler

  • Texte fort en émotions! Il me colle des frissons! Ce désire de reconnaissance, je l'ai longtemps ressenti même si j'ai fini par me rendre à l'évidence: les mères comme les pères ne sont que des êtres humains avec leur caractères, leur idées préconçues et qu'ils font des erreurs comme chacun d'entre nous. Mais c'est le propre de l'humain de chercher la reconnaissance de ses pères...

    · Il y a presque 12 ans ·
    Vhrwx7 t 400x400

    Alinoë

  • Je pense que beaucoup pourraient se reconnaître dans cet écrit.
    Il y a l'intellect qui analyse bien la situation, mais l'affectif lui et jusqu'à un âge avancé (est-ce toute la vie ?) attend la reconnaissance des parents.
    Ne rien attendre. Etre. Cette vie donnée doit poursuivre son cours et enrichir la vie même... c'est à l'envers que se retisse le lien avec les géniteurs, quand, petit à petit, on voit ce que l'on apporte aux autres (sans s'oublier soi-même)
    Carmen

    · Il y a plus de 12 ans ·
    015

    carmen-p

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