Bons A Canonner
damephoenix
Ils avancent par centaines, l'air hagard et la mine creusée. Une semaine que le rite a commencé. Ils se lavent de leur ignorance, se purifient l'esprit à grands coups de gavage savant. Car la taule rôde. Rituel de passage, nous ne peignons pas nos ados de terres teintes aux mille couleurs. Non, nous, nous les asseyons devant une copie, deux feuilles de brouillon aux couleurs tristement délavées, et nous les regardons se décomposer devant leurs compositions.
A mi-chemin entre la farce et le sacré, une heure, deux heures, trois heures, allez, soyons fous, disons quatre heures à les parquer comme des bêtes de somme qui ne calculent pas grand chose. L'être de lettres se perd et se confond dans des questions philosophiques lâchées sur le papier.
"Pour trouver le bonheur faut-il le rechercher?"
La question existentielle est lâchée. Sur fond de plan dialectique - mais pas trop - ils devront penser -mais pas trop- par eux-mêmes sur des sujets que leurs aînés n'ont pas encore considéré. Et on les notera grassement, encensant la médiocrité, car pendant qu'ils se réjouiront d'avoir ce papier montrant à la face du monde qu'ils ont su ressortir quelques notions institutionnelles, ils oublieront que la vie est bien au delà d'une copie. Que l'intelligence n'est pas apprise à l'école. Qu'ils ont déjà main mise sur ce qui fait la beauté de leur existence, et que la première leçon à recevoir, c'est de savoir préserver ces sourires de malice, ces espoirs si vains qu'ils en deviennent forts, ces aspirations qui ont la force de la fougue et de l'insouciance.
Des années que je les vois se parquer par centaines chaque mois de Juin dans les salles. Des années que je les vois ressortir fiers, déconfits, en proie aux doutes, amers, soulagés. Des années que j'assiste, impuissante, au Carnaval d'absurdités que nous offre l'Education Nationale, qui sous couvert d'éduquer l'enfant oublie de l'élever et n'oublie pas de le plomber. Je me souviens de cette statue de Phoenix sur l'esplanade de l'Université de Caen autrefois, ou l'image d'un esprit transpercé en plein envol. La Métaphore est amusante...
Mais des années quand même que j'ai la boule au ventre avec eux. Que je souris à ces gosses apeurés qui donnent cette affreuse impression de rentrer à l'abattoir. Des années que la petite pionne que je suis essaie de les pousser à offrir le meilleur d'eux mêmes.
Ce que vous en voyez n'est qu'une infime partie. Ces gamins sont des trésors insoupçonnés, que les Grands et les grands de ce monde ont tendance à ne plus voir. Ils sont notre avenir. Ils sont leur avenir. Ils sont. Tout simplement.
Et comme bon nombre d'adultes ont besoin d'auteurs classiques pour comprendre le message d'une génération qui se gâche pour leur plaire, que dites-vous d'un petit Jean-Jacques Rousseau :
"Vous ne parviendrez jamais à faire des sages si vous ne faites d'abord des polissons"
Bon Baccalauréat à eux tous.
Bel hommage au plus beau métier du monde, et à tous les élèves que vous avez suivis.
· Il y a plus de 7 ans ·enzogrimaldi7
Qu'est-ce que vous les aimez ces jeunes! C'est formidable! Avez-vous vu le film modeste mais bon "Le pion" avec Henri Guibet? Qu'est-ce que j'avais aimé ce pion poétique dans mon souvenir! Il y a si longtemps!
· Il y a plus de 7 ans ·Vous avez très bien décrit les différents élèves qui passent leur fameux bac. Je m'interrogeais aujourd'hui sur la notion de sagesse, complexe cette notion, quand on passe pour des enfants sages alors qu'à l'intérieur ça bout énormément, y a cet appel de la liberté!
aile68
Touchée , mère de 3 magnifiques filles de 18, 14 et 13ans.
· Il y a plus de 7 ans ·L'aînée est passée par là, a réussi ce passage pour se retrouver dans la gueule du loup, comme des milliers de jeunes de son âge, elle se rêve en blouse immaculée, stétho autour du cou et là encore , elle lutte tant qu'elle peut contre un système qui veut la broyer .
Pas facile le monde d'aujourd'hui pour nos jeunes.
Merci pour votre regard.
unrienlabime
Merci pour ce retour qui ne peut que me toucher en retour. Je n'ai pas encore la chance d'être mère, mais je vois ces gosses plein de vie et d'énergie à revendre peupler les murs gris de l'éducation nationale. On a tendance à oublier que c'est pour eux que nous travaillons assistants d'éducation, cpe, proviseurs et professeurs... Ils deviennent parfois le fruit de guerres intestines dont ils ne sont pourtant pas la cause. Merci pour votre regard de mère, de femme, d'humaine.
· Il y a plus de 7 ans ·damephoenix