Bons baisers d'Alcatraz

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Les réunions, c'était toujours chez Eddie que ça se passait. C'était l'endroit le plus spacieux que l'on connaissait. Eddie… c'était un grand penseur de son époque, du moins, c'est ce qu'il pensait être. J'ai passé des nuits entières a débattre avec lui sur divers sujets demeurant sans queue ni tète, rien que pour essayer de le persuader qu'il se mentait a lui-même. Ilfaisait preuve d'une prestance hautement cultivée, certes, mais faussement intellectuelle, t'avais toujours l'impression de voir un replay de « des paroles et des actes » quand il parlait, c'était surfait. Il était loin d'être idiot pour autant. En vérité, il s'appelait Edouard mais il avait imposé son diminutif. Il trouvait que ça faisait BCBG Edouard, et BCBG, c'est ce qu'il était. Fils de la bourgeoisie bobo Parisienne, un mec a la base destiné a une vie pleine de fric, de banquets, botox et caviar et pourtant il était là, lui et sa sale habitude de remettre sans arrêt sa frange de fils a papa sur le coté, peu être en mal de sensations fortes, ou tout simplement d'amis. Il était différent malgré les efforts qu'il faisait pour apprendre les codes de notre langage mais on s'en foutais, on prônait la différence.



A coté de moi sur le canapé se tenait Cartouche et sa gueule de cinéma. On l'a appelé comme ça depuis le jour ou ce film portant le même titre que son surnom « cartouche », ou le héro était Belmondo. Ça nous avait fait marrer, depuis c'est resté. Faut dire qu'on était vraiment défoncés ce soir la.

Cartouche, c'était mon pote d'enfance, c'était d'ailleurs a lui que je devais ma présence ici, enfin quoi, c'est lui qui m'avais convaincu de monter a Paris. Dans ces récits pour me convaincre, on entendait sonner les cloches du sacré cœur, la foule, les clics d'appareils et les rires saccadés, enfin toutes ces chinoiseries au Trocadéro, les bateaux mouche pleins de promesses romantiques flottant sur une seine flamboyante et bleue des cieux s'y reflétant, le charme et la poésie des rues, le métro ou les gens se sourient, la bonne humeur du printemps et les plus belles filles du monde a cueillir. Il me prenait évidement pour un con, tout ça était évidemment utopique et je le savais bien, la seine était dégueulasse, les gens cons, a part les jolies filles, c'était un zéro pointé, mais Paris résonnait dans mon crâne comme l'aventure, l'opportunité de la vivre.

C'était la merde évidemment mais on était jeunes et optimistes, et on trouvait la merde géniale.

A mon arrivée, Cartouche m'avait fait visiter SA ville, pas la ville. Ses quartiers, authentiques, ses potes Pakistanais qui vendent des Tour Eiffel miniature, les cousins de Barbes qui portaient les longs manteaux, ces tordus de Russes a Clichy, et ses potes dans les périphéries, celles qu'il faut éviter quand tu en es étranger, mais moi, a coté de Cartouche, j'étais chez moi partout. Ses connaissances, ses associés.. en quelques années, il était devenu une sorte de pieuvre, connu comme le loup blanc dans tout Paname. Je savais pas exactement ce qu'il faisait mais je m'en foutais. En tout cas il était toujours aussi démerdard que quand nos chemins se sont séparés, il était jamais a la déche. C'est de lui qu'est venue cette idée de la milice, celle pour laquelle on était réunis aujourd'hui, la noble cause que l'on se partageait. Ouais, on peut dire sans trop de mal que Cartouche, c'était le chef.



De l'autre coté de la table basse, a cheval sur une chaise, se tenait Sacha et son attitude antipathique. Lui, je l'aimais pas. Il était sordide. Il était brun et ténébreux, le visage creusé, les cheveux longs, très longs. Il avait la dégaine d'un métaleux, le genre qui voue un culte au satanisme, du genre a boire du sang de vierge ou d'autres conneries de cette trempe, sauf que lui, il vouait juste un culte au cynisme et a Steve Jobs. Pis il avait ce putain de bouc finissant en rond comme Jafar dans Aladin. Quand il me parlait en traversant mon regard de ces yeux pleins de sarcasme, j'avais toujours l'impression que le bout de son bouc frétillait, tel un serpent a sonnette s'apprêtant a attaquer sa proie. Bref, j'le sentais pas. Il restait la a nous écouter en soufflant, baillant ou se foutant de notre gueule mais personne ne lui disait rien, parce que c'était un putain de génie de l'informatique, une sorte d'Hermite aux yeux rouges éclatés et qu'il allait nous être précieux pour nos projets futurs. Puis il faut dire aussi qu'on l'acceptait parce qu'il avait une sœur qui, comme par magie, était incompréhensiblement magnifique, comme si elle avait pompé tout le compartiment « beauté » de l'ADN familial de Sacha. Une déesse brune aux yeux verts dotée d'un bronzage naturel parfait, comme on en fait plus qu'en Andalousie profonde, celles qui ressemblent au soleil, et ça, c'était la sœur de l'autre pâle tronche de cul. Je comptais bien me la faire, comme nous tous. A la moindre opportunité, si elle se présentait, tel l'opportuniste rêveur que j'étais, je lui sauterai dessus, alors, je supportai tronche de cul, usant même parfois d'hypocrisie maladroite que la race reptilienne de Sacha décelait assez facilement.



Paul aussi était la ce soir. Lui, je l'aimais bien. Il était passionné par tout ce qu'il entreprenait, un peu trop même, parfois. Il était plus jeune que nous tous et était certainement le plus brave. Il était voué corps et âme a notre petite communauté. J'l'aimais bien, c'était un sacré buveur en plus de ça, un Breton d'origine, solide gaillard habitué a tenir l'alcool. Il était toujours partant pour une virée nocturne, c'était l'un de nos points communs. Le problème, c'était qu'une fois bourré, on pouvait plus s'en défaire, et un passionné qui refoule la gnole et qui te parle de tout et de n'importe quoi surtout, a 3h du mat, a 2cm de l'oreille, en employant ce fameux langage mixé entre le cri et le bégaiement, c'est parfois agaçant. J'eus souvent l'impression d'être ce pauvre flic face a Mr Blonde dans « Reservoir Dogs », mais j'l'aimais bien. C'était un bon gars.



Manquais plus que Tony, éternel retardataire. Ce mec était toujours en retard, ce mec était un dealer, une p'tite frappe, et comme tout bon dealer qui se respecte donc, il était toujours en retard aux rdv qu'Il ne fixait pas, déformation professionnelle. Lui, il était pas venu a Cartouche, c'était Cartouche qui l'avait trouvé sur son chemin. Il avait un regard malicieux, une peau basanée et un corps fin comme un mikado. Oh, Tony, il n'était pas vraiment Italien non, on voyait bien qu'il était plutôt du genre a manger du couscous plutôt que des macaronis ouais, mais il se faisait appeler comme ca, il avait certainement l'impression d'être un héro de film de Scorsese ou De Palma. Il n'en était rien évidemment. Tony, c'était juste un fêlé aux yeux bordés d'insolence, un braqueur de bagnoles maladroit, bref, Tony c'était tout sauf Jacques Mesrine, mais il avait des couilles, ou de l'inconscience, appelez ca comme vous voulez. Toujours bien sapé, propre sur lui, il dégageait une certaine assurance pour son jeune age et donnait l'air de se foutre royalement de la moindre parcelle du monde entier. Cartouche disait toujours qu'il était assez fou et décontracté a la fois pour appuyer sur le gros bouton rouge de la bombe nucléaire tout en fredonnant un air de bosa nova. Lui, il était seulement la pour aller faire le sale boulot, les trucs risqués a déléguer a un mec sans scrupules. En échange, cartouche lui refilait un peu de son carnet d'adresse. C'était en quelques sortes notre « homme de mains », détaché de notre cause. Un homme de main discount, qui convenait aux moyens du bord.



Il est arrivé avec 15min de retard. Personne ne lui a fait de remarques, cela n'aurait servi a rien. La réunion a pu enfin commencer. Cartouche a pris la parole. On était réunis pour parler des modalités de notre future action: Réussir a emprunter 500000E a 40 organismes de crédits différents, pour ne jamais les rembourser, on a voulu renverser le système.

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