Bottes en caoutchouc et lessive en poudre

cerise-david

Le froid qui règne dans la pièce m'empêche de dormir plus longtemps. 12hoo. J'ai encore dormi toute la matinée. Trop picolé. Une odeur de cendre froide a envahit mes draps, mes vêtements. Mon appartement est un cendrier géant. En m'extirpant de mon lit, je me cogne le gros orteil contre la table basse, recouverte de boîtes à pizza, de bouteilles de whisky, de cartes de poker, quelques traces de C forment une étoile sur le coin gauche. Je gueule et pose mes yeux sur les vestiges d'une soirée ordinaire... Ordinaire pour moi et mes semblables. Tandis que la populace s'abrutit devant Secret Story, nous on se défonce. Et, on le fait en s'appliquant. Un peu plus chaque soir... on est, ce que certains définissent comme, "constant dans l'autodestruction"... Je me traîne sous la douche. L'eau chaude qui ruissèle sur ma peau détend mes muscles endoloris par l'abus de ces substances qui rendent fous... Au début, elles me rendaient fous; aujourd'hui elles me font oublier l'angoisse du lendemain, la tristesse et la morosité de mon quotidien. Alors que j'attrape ma serviette, une odeur de vomi vient se coller à ma paroi nasale... S'en est trop. Je gerbe les quelques part de pizza ingurgité la veille, dans ma douche. Apparemment un de mes bâtards de potes, n'a pas supporté le whisky et s'est servi de mes effets personnels comme serpillère... Je décide d'aller laver tout ca. J'enfile un jean et un tee-shirt qui semblent propres. J'en profiterais pour laver mes caleçons et mes tee-shirts sales, que je balance, vulgairement, depuis trois jours derrière la porte de ce qu'on pourrait appeler salle de bain. J'entasse le tout, vomi ou pas, dans un grand cabas. Je récupère sur la commode quelques pièces, gagnées à une des nombreuses parties de poker organisées en ce lieu de débauche et d'interdits. J'attrape mon trench anglais, mes clefs, mes clopes et claque la porte.

Dehors il pleut des cordes, mais le Lavomatic n'est qu'à quelques mètres plus bas dans ma rue. Je cours et alors que je vais pour traverser, une voiture rase le trottoir et me trempe de la tête au pied. Je gueule, mais le mal est fait. Je rentre dans la laverie, déserte. Il y fait une chaleur étouffante, les vitres sont recouvertes par la buée. Je déverse mon cabas dans un des tambours disponibles et décide d'en profiter pour laver mes affaires fraichement trempées. Je vide les poches de mon trench, y retrouve une vieille édition des "Fleurs du mal" qui me fera passer le temps, et le jette avec mes autres affaires dans la machine. Trier les couleurs reste une perte de temps... J'insère les pièces et lance le programme rapide. Je n'ai pas l'après-midi devant moi, et l'idée que quelqu'un me découvre en caleçon ne me réjouis pas spécialement... Le bruit de la pluie qui martèle le trottoir, le capot des voitures et qui tambourine aux vitres me donne le mal de crâne. Nous sommes en automne, voilà maintenant neuf mois qu'elle est partie. En claquant la porte, elle aimait bien claquer les portes. Faire du bruit; cette fille était un vrai courant d'air. Et voilà, que je me suis mis à vouloir capturer le vent. Je crois que je n'ai jamais réussi à la posséder pleinement, je crois même qu'aucun de nous n'y arrivera jamais. Elle est insaisissable. Indomptable... J'allume une cigarette, m'assoies face à la vitrine et feuillette distraitement Baudelaire. Le spleen n'est qu'un plaisir éphémère comme un autre. Suffit de l'apprivoiser... pour en jouir. Véritable drogue dont certains usent et abusent pour se faire plaindre et devenir spectateur de leur propre déchéance. Je lève les yeux pour regarder la minuterie... et reste interdit. De l'autre côté de la rue, une magnifique créature se protège tant bien que mal de la violente pluie. Lorsqu'elle pousse la porte du Lavomatic, la cendre froide tombe sur ma cuisse et je ne peux m'empêcher d'ouvrir grands les yeux. Elle laisse son sac tomber à terre, attrape d'une main sa longue chevelure et la rejette en arrière. Elle contemple, une moue dubitative au coin des lèvres, ses bottes en caoutchouc pleines de boue, elle s'aperçoit enfin de ma présence. C'est sans doute ce qu'elle vit, qui lui rendit le sourire. Un sourire à mille carats, un sourire à vous rendre vôtre enfance... Je suis là, assis comme un con, en caleçon, de la cendre partout et Baudelaire pour seule compagnie.

-          Il fait bien meilleur ici, vous avez raison…

Et sous mes yeux ébahis, elle ôte son manteau, laisse sa robe glisser jusqu'au sol. Elle porte une lingerie noire et fine, le genre à vous faire tourner de l'œil. Elle ouvre le hublot d'une machine et enfourne tout son linge dans le ventre gourmand de se monstre tambourinant... Lance le programme délicat et vient s'asseoir a mes côtés.

Je ne sais pas quoi dire, ni faire. Je reste figé, et lance quelques regards discrets. Elle est parfaite, des jambes galbées, une taille fine, des seins ronds, une nuque qui semble faîte pour accueillir des milliers de baisers... Alors que j'hésite à lui adresser la parole, elle me demande où j'habite. Etonnée, je lui réponds quelques choses comme:

-          Cent mètres plus haut.

Il n'y aura pas d'autres échanges verbaux durant la fin de nos cycles respectifs. La minuterie de nos machines retentit à quelques minutes d'intervalles, et tandis que j'entasse vulgairement mes fringues dans mon cabas, elle plie délicatement ces affaires. Alors que je m'apprête à sortir, je l'entends:

-          Ca vous direz de venir boire un verre chez moi... J'habite quelques numéros plus loin...

Je me retourne, vraiment j'ai l'air d'un con. Pas rasé, pas peigné, un vieux jean sur le cul... qu'est ce qu'elle peut bien me trouver ?

-          Pourquoi pas, j'ai rien de prévu...

A peine la porte de son appartement refermée, elle me plaque contre le mur et s'en me laisser le temps de protester appuie ses lèvres sur les miennes. Je crois que c'est réellement à cet instant que j'ai commencé à l'aimer... Cette décharge électrique, qui parcours l’échine, de l’occiput jusqu’au bout des orteils. Cette boule de feu dans la gorge et cette douceur au creux du ventre. Je lui rendis son baiser… Et l’a couvris de milliers d’autres.

Depuis, j'ai emménagé dans son appartement et on a investit dans une machine à laver; ainsi les jours de pluie, on reste au chaud sous la couette.

Signaler ce texte