Breakfast with America (concours Rêve américain)

julien-jouanneau

     (concours Rêve Américain)

        Los Angeles, ça commence par une épaisse ligne jaune au sol que mes pattes ne doivent pas dépasser. Puis un aboiement. Un énorme molosse aux crocs argentés et acérés. Mes médicaments anti-migraine considérés comme stupéfiants et nichés dans mon sac à dos, me font déjà visualiser une scène apocalyptique : empalé en « French dessert » par un prisonnier obèse et transpirant, contre les barreaux d’un pénitencier. Puis c’est le contrôle, cette question qui tend à savoir pourquoi on pénètre les Etats-Unis.

- Euh, studying ? réponds-je.

L’officier d’immigration me scanne. Blond aux yeux bleus, peau et dentition blanches. L’avantage du WASP effect. Visa réglo. Passeport tamponné avec un aigle de profil. Me voila projeté dans le hall de l’aéroport de Los Angeles, plus exigu que dans les films. J’évite le contrôle des déclarations de douane, encore l’effet WASP. Les portes vitrées et bleutées s’écartent, un souffle chaud et humide me cogne le visage. Première vision, un homme jeune aux cheveux roses traverse la route. Un taxi jaune. Comme à New-York tiens. Les sièges piègent la fragrance des postérieurs des clients précédents. Une étiquette stipule que le chauffeur vient du Sri Lanka. On stoppe à une échoppe de donuts déserte. Même regard ébloui que devant des pâtisseries françaises. J’en saisis quinze. Le vendeur me dévisage, décontenancé, car j’en avale cinq. Je ne grossis pas, le phénomène durera un an. Un an à m’empiffrer de bouffe pas très réglementaire, mais aussi souvent de superbe nourriture.

Les Etats-Unis, c’est la première et dernière cuite de ma vie, dans un pays où j'avais, à dix-sept ans, l'interdiction de penser à l’alcool. Des séances de cinéma à toute heure, une salle vide qui sent bon le popcorn. Des bandes-annonces. Le public qui applaudit à chaque bon film. Un voisin étudiant saoudien plaqué par la police dans un jardin, des années avant le 11 septembre 2001. Les Chicanos qui nettoient les voitures devant une jeune et jolie Californienne qui suce sa paille Starbucks. Ce sont les passages cloutés qu’on ne traverse qu’au vert. Ce sont les deux côtés des highways, telle une veine géante, qui acheminent, pour l’un, les voitures qui vont consommer, et pour l’autre, celles qui en reviennent. Los Angeles, c’est aussi un froid digne de France en hiver, le chauffage dans ma chambre, mais la clim dans tous les lieux publics. Ce ciel gris jaunâtre assaisonné de smog mais reposant. Les caravanes de tournage près des plages de Malibu. Les motels pourris et louches, qui existent vraiment, façon Psychose. Les huit heures passées dans un bus à traverser la Californie. Les petits déjeuners jouissifs, où l’homme d’affaires peut côtoyer le SDF du coin autour du même pancake.

La nuit, depuis les sommets de la ville, comme dans E.T, les lumières de Los Angeles inversent le ciel. Les étoiles sont en bas, sur terre. On ne voit plus l’horizon, alors tout est possible.

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