Bribes égarées dans le temps

hugo-l

Fixé au sol et condamné de ta liberté, nous, enfants du quartier, te tenions compagnie à parler près de toi, rire et s'amuser. A espérer que ces soirées d'été ne s'arrêtent jamais, dans la plus grande des ignorances tandis que tu veillais sur nous. En silence. C'était un rituel de se retrouver tous les vendredis ici, assis avec toi.

Tu étais des nôtres. Notre endroit où l'on se réunissait.

Lorsque je l'ai invitée pour la première fois en automne c'était ici. Tous les deux ici à se moquer des âmes errantes qui passaient, à refaire le monde avec des « Et si… », le tout en s'échangeant des regards complices, les mains discrètement liées,  derrière ton dos en bois. Comme un pacte dont tu étais notre unique témoin.  Nous nous sentions invincibles, prêts à traverser la rivière du Styx, à gravir le palais céleste du ô grand Vahalla, à jurer de s'aimer pour l'éternité. Les amoureux gravent leur amour sur leur arbre, nous c'était en scellant nos lèvres à tes côtés, sous le serment de ton silence. Le temps défilait sans jamais me lasser d'elle ni de toi.


Te voilà devenu un endroit romantique où le bonheur prospérait durant des saisons sans relâche.

Quand les premiers flacons de neiges - prémices d'un hiver infernal - sont arrivées, tu étais ici pour me réconforter malgré ta froideur et ton silence. Tu vieillissais toi aussi. Avec comme seule compagnie la lumière émise par le lampadaire juste à côté de toi, me protégeant des ténèbres glaciales de la nuit.  Mon cœur gelé, j'espérais au plus profond de-moi qu'il se fige pour ne plus rien ressentir.
Me voilà désormais seul dans les Monts sacrés du Vahalla sur mon siège de bois abîmé et rongé par la mélancolie avec comme seule compagnie un passé dont plus personne n'y appartient. Le feu de la cheminée s'est éteint et le blizzard envahit peu à peu la pièce en plus de mon esprit.
Ton magnifique vert pomme a maintenant disparu, le fruit de ton bois est en train de pourrir. Ravagé par les désastres du temps. Te voici désormais souillé d'écritures obscènes inscrites contre ton gré.

Nous étions tous ici le jour de ta venue, maintenant il ne reste plus que nous deux. Une de tes planches s'est brisée et la voilà morcelée comme nous tous aujourd'hui. Tu souffres de ces entailles et, comme moi tu as sombré dans l'oubli.  Devenue inconfortable, te voilà dépourvu d'utilité, à l'agonie et laissé là à attendre patiemment que l'on t'emmène toi aussi. Mais tu partiras comme tous ceux qui se sont posés sur toi, et dès lors les souvenirs vécus ici s'emporteront avec toi.


Comme une tornade tu balayeras tout sous ton passage.
Ces bribes de souvenirs s'envoleront avec le vent.
Tout finira oublié aux yeux de tous. 
Avalant tout d'un simple regard. 
Sous ton silence implacable.
Pour l'éternité.
A jamais.


Aujourd'hui, premier jour de Printemps tu n'es plus là.
A ta place ne gît plus rien, un grand vide s'empare de moi. Des enfants jouaient à côté, dans l'ignorance la plus totale de la fin d'un grand cycle. Mais ce cycle éternel se perpétue, inhibant les anciens dans l'oubli afin de laisser prospérer de nouvelles graines, prêtes à éclore dans un monde aujourd'hui mâché au point d'en avoir perdu toute saveur. Il est temps pour moi aussi de partir. Et au fil du temps, je me mettrai moi aussi à oublier tous ces moments vécus, je commencerai à ne plus me souvenir ni de vos prénoms, ni de vos visages. Toi aussi mon fidèle ami, tu finiras comme les autres, dans les plus profonds abysses de ma pensée. 

Comme vous me manquez terriblement. 

  • j'adore!tant d'émotions...

    · Il y a environ 7 ans ·
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    Elena Chelba

  • J'aime beaucoup moi aussi ce texte nostalgique.
    Banc public, lieu de jeu, de baisers, de conversations, de regards sur les enfants jouant à nos pieds. Lieu solitaire pour lire, rêver, pleurer, prier ou méditer...
    Je crois qu'on a tous un banc dans le cœur.

    · Il y a environ 7 ans ·
    Je t'aime (1)

    tantdebelleshistoires

    • Merci beaucoup, nous avons tous un lieu, un objet ou bien encore une personne auquel nous sommes liés,où une profonde alchimie s'est crée. Que l'on retrouve plusieurs fois au fil de nos vies et hantant nos nuits parfois. Merci pour ton commentaire !

      · Il y a environ 7 ans ·
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      hugo-l

  • Combien de bancs témoins des amours, des secrets échangés, des jeux d'enfants...très joli texte, vraiment !
    J'ai un texte : "Le reflet..."où je parle d'une fontaine. J'aimais m'y asseoir, enfant, je lui faisais des confidences, je chantais à la lune...Devenue adulte, je passais souvent devant elle, car elle est restée très longtemps à cet endroit, ce petit coin de rue.

    · Il y a environ 7 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • et également : "Ta terre...et ses fantômes"

      · Il y a environ 7 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • Merci Louve, ravi que ce texte t'ai plu ahah !
      Je viens de lire tes deux textes que je trouve très joli tous les deux (même si ma préférence est pour "Ta terre...et ses fantômes). Je m'abonne !

      · Il y a environ 7 ans ·
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      hugo-l

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