Bug social
Rémi Regnaut
Synopsis
Cela fait maintenant deux ans que le monde entier est en proie à un prédateur dont nous n’aurions jamais soupçonné l’existence. Au début du printemps de l’année 2014, un réseau social international appelé PriWata a fait irruption dans la vie quotidienne de centaines de citoyens américains. Le nombre d’inscrits sur ce site internet décuple de jour en jour. Après quelques semaines seulement, le phénomène s’est propagé à l’étranger, s’étendant vers les quatre coins du globe. PriWata consiste à entrelacer des anecdotes, des faits et des allégations. Tout membre inscrit peut accéder à une révélation concernant l’abonné de son choix, mais en contrepartie, il offre la possibilité à quelqu’un de rapporter un élément compromettant sur lui-même. Le concept semble plaire aux utilisateurs, et malgré son intérêt discutable, le site compte plus d’un milliard et demi d’adeptes au printemps 2015. Dans le courant de la deuxième année, les conséquences qu’ont causées PriWata sont innombrables. Les taux de criminalité, de suicide et de divorce ont grimpé en flèche et à l’heure qu’il est, personne n’est en mesure de communiquer le nom de l’auteur de cette crise sociale.
C’est sur Nortica Island – une île située au large de l’état de Washington – que vont se dérouler des évènements qui mettront en cause l’implication du gouvernement dans l’affaire PriWata. Nortica City se situe au nord de l’île et ne compte pas plus de cinquante-cinq mille habitants. Accessible à moins d’une demi-heure par voie maritime, cette région très touristique permet à ceux qui y passent leurs vacances de profiter d’un cadre exceptionnel en totale harmonie avec l’environnement. Située sur le littoral, cette métropole dresse fièrement une gigantesque tour panoramique baptisée Sea Needle. Bien que personne n’y ai accès, cet édifice est l’emblème de Nortica Island. Vers l’arrière pays, une ville nommée Shelton est reliée à la zone urbaine. Composée d’une dizaine de banlieues chics, la cité accueille des locataires fortunés. On y croise facilement des chirurgiens, des pilotes, des acteurs ou des hommes politiques influents. Cinq adolescents incrédules, âgés de 15 à 18 ans, résidant dans ce même quartier et étudiant dans le même lycée, vont s’unir afin de nuire aux dangers considérables qui planent sur la société. Yann, Juliet, Louane, Gabriel et Noa tentent de faire abstraction des ennuis qui les guettent. Attirés par l’aspect bon-enfant qui ressortait du thème de PriWata au départ, la plupart d’entre eux se sont prêtés au jeu en naviguant durant des heures sur les profils de leurs connaissances. Après coup, ils se sont rendu compte que ce qu’ils attendaient était controuvé.
Dès la fin du printemps 2014, les couloirs du lycée laissaient s’échapper des bribes de conversations. Les élèves commençaient déjà à se venter d’avoir déniché une perle au milieu de tous les réseaux sociaux créés depuis le succès considérable de Facebook. Après deux longues années passées à surmonter les conflits, la bande d’amis de Shelton se jura de ne plus jamais s’aventurer sur le site. Pour Gabriel – qui possède la faculté de déceler une analyse précise de son entourage – les populations se classent en quatre catégories distinctes. Dans un premier temps, nous trouvons ceux qui n’ont rien à se reprocher et qui s’enregistrent sur le site pour alimenter leur soif de ragots. Dans un second temps, il range les intrépides avec ceux qui, en dépit de leur culpabilité, acceptent d’être membre, puis, ne parviennent plus à acquérir la volonté de se retirer. Gabriel et ses amis se classent dans la troisième catégorie où les personnes à peu près responsables se mettent le plus possible à l’écart des risques qui émanent du site. Ceux qui ne connaissent pas PriWata font parti de la dernière catégorie. Ils sont considérés selon Gabriel, comme les rescapés de la déferlante qui a ravagé les esprits des adeptes de l’univers informatique.
Les cinq jeunes persistent à trouver une faille qu’ils souhaitent pouvoir l’exploiter. Puis, à atteindre un objectif capital, celui d’obtenir le maximum de réponses aux questions qu’ils se posent. Portant un regard passablement différent sur leur génération et celle qui les a vu naitre, ces adolescents trouveront de nombreux éléments qui les rapprocheront de leur but final : la suppression du site.
Malgré leur amitié à l’apparence indéfectible, chacun possède dans son for intérieur une part énigmatique qu’il préfère éviter d’aborder. Car même si les sentiments prennent l’avantage sur la raison, il est primordial de contourner les sujets délicats en passant outre la sensibilité et les émotions.
Yann, fidèle confident de Noa, apprendra que celui-ci est amoureux de Louane depuis trois ans. Leur amitié pourrait très vite voler en éclat dans la mesure où Yann est également sous le charme de la jeune femme. Fort heureusement, les circonstances ne lui permettront pas d’engendrer de potentiels conflits. Son cœur sera tiraillé entre une amitié passée et un amour futur. Il saura que ses choix seront décisifs et se retrouvera donc contraint d’entamer une longue réflexion. Il ne lui faudra pas plus que quelques secondes pour conclure qu’il n’existe qu’une seule alternative. Il adoptera une stratégie passive et s’alliera avec le temps pour essayer de plaire sans qu’il n’y paraisse. Enthousiaste, il l’invitera chez lui, faisant ainsi une très grosse erreur. Louane s’hasardera seule dans le bureau de Nick, le père de Yann. Elle découvrira une machination surprenante et accusera son ami d’en être l’auteur. Arrivé dans la pièce, Yann se trouvera complètement chamboulé, il s’avancera vers le plan de travail de son père puis observera une fenêtre ouverte, connectée sur PriWata. Le profil affichera celui de Jane Goby, mère de Juliet. Yann s’apercevra que l’ordinateur a accès à toutes les données du site censées être confidentielles. D’une part, cette découverte entraînera une rivalité et des altercations brutales entre le père et le fils, d’autre part, Louane prendra ses distances, se rapprochant ainsi de Noa.
Victime d’un sérieux malentendu, Yann préférera éviter de se heurter à d’autres affrontements et se risquera à emporter son baluchon pour quitter son domicile. Les jours s’écouleront continuellement sans qu’il ne donne signe de vie. Louane et Noa devront s’unir pour le retrouver et cette occasion les rapprochera davantage. De leur côté, Gabriel et Juliet exploiteront les informations fournies par Louane au sujet de ce qu’elle a pu entrevoir dans le bureau de Nick. Leur enquête avancera sans aboutir à l’objectif qu’ils souhaitent atteindre. Yann resurgira après quelques jours passés chez un voisin, puis interviendra dans les recherches des deux adolescents. Il leur expliquera clairement la confusion qu’il y eut entre lui et Louane. Il sera crédibilisé après leur avoir justifié sa totale incompréhension concernant les actions de son père. Se ralliant alors au reste du groupe, il proposera à ses amis de s’introduire chez lui pour recueillir d’autres informations.
Lors de cette intrusion qui s’avèrera fructueuse, les 5 amis rassembleront plusieurs éléments importants. Ils comprendront que Nick est administrateur de PriWata en constatant un accès libre aux archives secrètes de chaque profil. Ils feront une multitude d’autres découvertes et classeront les indices méthodiquement afin de pouvoir les réutiliser ultérieurement. De cette façon, chaque mystère à élucider dans ce bureau fera l’objet d’une enquête sérieuse et approfondie. L’un des indices attirera particulièrement leur attention. En effet, Gabriel récupérera une photographie de Nortica City dans laquelle apparaissent les pavillons de la ville par vu aérienne. Personne ne s’apercevra que l’agencement de ces pavillons forme un code. Néanmoins, ils réaliseront tout de même que la prise de vue eût été faite au sommet de la Sea Needle. Les cinq adolescents comprendront ainsi toute l’étendue de leur mission qui s’annonce être lourde de conséquences.
Dans ce premier tome, l’intrigue se portera principalement sur les relations entre chaque personnage. Ces liens dépendront du fléau PriWata qui se répand à travers le monde à une vitesse effrénée. Ce premier opus marquera les prémices d’un temps nouveau où le règne du site internet qui perturbe l’équilibre de la société pourrait enfin être anéanti.
Le deuxième volume multipliera les difficultés en mettant à rude épreuve les liens qui unissent les cinq amis. La tâche sera nettement plus délicate et les querelles deviendront plus intenses. Leur groupe sera scindé en deux et l’objectif qui les soudait jusque là pourrait bien ne plus être entièrement le même.
Le dénouement de cette trilogie affectera chacun des personnages qui devront faire face à de nombreux obstacles et de multiples contraintes pour accéder à leur but ultime. Les conflictualités du précédent tome persisteront, mais un évènement tragique changera la donne.
Bible des personnages
Yann Dipiek – 18 ans
Les cheveux châtains souvent en batailles, Yann possède un style propre à lui-même. Son sourire singulier émane d’une infinie bienveillance. Nombreuses sont celles qui aiment se fondre dans le reflet automnal de ses yeux. Sa carrure compense quelque peu sa petite taille.
Yann a adopté un rythme d’entrainement régulier de trois heures de natation par semaine, ce qui fait de lui un sportif assidu. Il porte un médiator autour du cou dont il ne se sépare que très rarement. Passionné par la musique, il mit de côté ses études pour se consacrer à son passe-temps favori. Ainsi, il dû redoubler deux classes. Trois années passées à étudier de latin lui auront valu la fierté de pouvoir analyser le mot « PriWata ». En latin ‘privé’ se traduisant par ‘privata’, dans la mesure où le ‘v’ se prononce ‘w’, ce fut l’occasion pour le créateur de permuter les deux lettres, valorisant ainsi le ‘W’ qui se rapporte alors au Web.
Louane Goby – 16 ans
Ses cheveux noirs bouclés jusqu’aux épaules, les yeux tirant vers l’émeraude, Louane séduit facilement avec son visage fin et angélique. Elle dégage une forme de sérénité proprement due à son regard intense, invariable, parfois même hypnotique, un atout qu’elle emploie avec vigueur.
Timide et plutôt réservée, elle sait se faire entendre lorsqu’il le faut. Cinq fois déléguée de classe, elle parvient à gagner de l’assurance à mesure que les années s’écoulent. Elle participe activement depuis deux ans aux cours de théâtres que propose le lycée. Elle en fait une passion et y vois l’opportunité de surpasser définitivement ses appréhensions. Du côté sentimental, Louane a le cœur forgé, elle n’accorde pas sa confiance à ceux qui la courtisent et peine toujours à trouver un amour qui la fasse chavirer.
Gabriel Mordix – 15 ans
D’apparence plutôt svelte, Gabriel – ou Gaby – a des cheveux mi-longs, bruns et très sombres, s’accordant parfaitement avec l’attention profonde qui naît de ses yeux quasi-noirs.
Plus ingénieux que ses amis, Gabriel sait parfaitement exploiter ses facultés mentales. Adroit et perspicace, il est d’une grande aide dans les moments délicats.
Noa Oppy – 16 ans
Petit blond aux yeux bleu foncés, Noa est sans doute le plus charismatique de sa bande.
Même s’il ne prend pas de cours de rhétorique, il a une aptitude inouïe à assener de long et emphatiques discours. Une assurance qui lui joue parfois des tours. De nature très maladroit, Noa qui n’a d’yeux que pour Louane, devra faire face à cette maladresse et surmonter ses défauts les plus encombrants.
Juliet Goby – 16 ans
D’origine sénégalaise, Juliet fut adoptée par la tante de Louane à 14 mois. Grandissant chacune dans une famille très soudée, les liens formés étaient davantage fraternels. Juliet est assez corpulente, elle en fait une force, assumant complètement ce qu’elle est au prix de ce qu’elle pourrait être.
Récemment débarrassée de sa chaise mobile, Juliet se retrouve satisfaite de pouvoir remarcher et peut ainsi tenter d’oublier son fâcheux accident de moto. Une mésaventure qui démolit sa mère, conductrice lors du choc.
Jane Goby – 46 ans.
Mère adoptive de Juliet Goby, Jane et ses yeux bleus clairs captivant ne trompent pas quant aux véritables liens qui l’unissent à sa fille. Les cheveux noirs lissés qui atteignent sa poitrine font de cette mère de famille une femme gracieusement éclatante.
Elle est inscrites sur le réseau social PriWata, et ne cache pas y être favorable.
Nick Dipiek – 47 ans
Nick est le père de Yann, approchant à grand pas la cinquantaine, les cheveux grisonnant, l’expérience de vie qu’il a acquis font de lui un homme raisonnable et respectable.
Élus à la législature de l’état de Washington en 2010, il est prisé par son travail et ne répond guère présent aux besoins de son fils. Sa femme perdu la vie tragiquement, à quelque pas du domicile familial, dans une collision avec un cyclomoteur. Secrètement membre de l’administration du site réprobateur, Nick – qui avait signé une clause de confidentialité – fut fort préoccupé lorsqu’il apprit que Jane Goby s’était aventurée sur son ordinateur à l’occasion d’un barbecue.
Immanuel Steenman – 62 ans
Perclus sur sa chaise, quasiment inanimé, Immanuel Steenman est le professeur le plus réputé du Lycée Emerald, le lycée de Shelton. Sa vivacité d’esprit permet de compenser son inactivé apparente. Ses phrases sonnent justes, quelques en soient ses dires. Il a le don de persuasion. Un don qui s’avère particulièrement fructueux dans le domaine de l’éducation, essentiellement pour les hommes comme lui, passionnés par leur métier.
Malika Sedia – 17 ans
Issue d’une famille de médecins excellant chacun dans leur spécialité, Malika est une jeune adolescente qui aime soigner son apparence. Elle est grande, brune, elle a des yeux marron clairs et une peau mate.
Le revenu des Sedia leur permet d’acquérir toujours plus de confort, de luxe et de bibelots. L’étalage de splendeur et d’opulence rupin ne trompe personne sur le montant de leur budget.
Devenue rapidement pourrie-gâtée, Malika est réputée peste au sein du lycée Emerald. Professeurs et élèves n’ont pas de mal à assumer la vision négative qu’ils portent sur la jeune fille, la qualifiant d’hargneuse, d’hautaine et d’orgueilleuse.
Ti-Ning Nadashi – 24 ans
Originaire de Séoul, Ti-Ning vit à Shelton depuis l’âge de 5 ans, ses parents s’y sont installés à la suite d’une promotion qu’obtint son père, responsable d’une agence de marketing réputée en Corée et dans l’Asie entière.
Petit et trapu, Ti-Ning est un as de l’informatique, il en fit d’ailleurs son métier au grand dam de ses parents qui l’avaient initié au baseball dès son plus jeune âge.
Ses facultés ameutent les partisans anti-Priwata qui reconnaissent ses aptitudes et aspirent à un résultat opérant.
Lydia Azurial – 21 ans
Petite et frêle, Lydia travaille à la librairie George Solitario. Elle sait conseiller les jeunes lecteurs comme les rats de bibliothèques, toujours avec une même douceur convaincante.
Incipit
C’était un soir d’été, l’odeur de la pelouse fraichement tondue caressait les narines de chacun. L’espace d’un court instant, tout le monde se tut, laissant aux frôlements des feuilles d’arbre l’opportunité d’adoucir l’atmosphère. Le ciel bleu commençait à s’obscurcir et une petite brise naissante tiédissait les chaleurs extrêmes de l’après midi. En cette fin de journée, parmi tous les proches de la défunte, aucun ne pu s’empêcher de réfléchir aux limites de la confiance. Tous se posèrent des questions, voulant savoir quels pouvaient être les motifs d’un suicide. D’autre raisonnèrent davantage, cherchant plutôt à connaitre les contraintes qui l’empêchaient de se confier. Qu’ils se soient aventurés dans de lointains souvenirs ou perdus dans d’éternelles réflexions, ils furent subitement interrompus par le prêtre qui entama un dernier discours.
En regagnant l’allée principale du cimetière, cinq amis comprirent que certaines répercutions avaient parfois de grandes ampleurs. Alix avait été à leur côté très longtemps, ils avaient grandi ensemble dans un paisible quartier de Shelton. Particulièrement affective, elle jouait le rôle de la confidente au sein du groupe. Les querelles ne manquaient pas et ses conseils avaient permis de résoudre de nombreux soucis. S’obstinant à solutionner les problèmes des autres, elle reléguait au placard ses propres ennuis. À sa mort, tous ceux qu’elle avait aidés ressentirent une part de culpabilité, leur esprit émergea de l’entêtement des contraintes quotidiennes et ils se rendirent finalement compte que la douleur est imperceptible.
Il n’était pas dans l’ordre des choses qu’à cet âge, on ait choisi de s’ôter la vie. La planète débordait d’incohérence et en ces temps de crise sociale, seuls les plus vigoureux pouvaient espérer ne pas être atteint. Quand vint l’heure des suppositions, les cinq adolescents eurent une pensée commune pour PriWata.
PriWata était un site internet considéré par beaucoup comme la source d’une crise sociale. Ce réseau international avait comme concept « dis-moi qui tu es, je te dirai qui je suis ». Ainsi, un membre inscrit pouvait avoir accès à une révélation concernant un autre membre, et pour compenser, il laissait la possibilité à quelqu’un de rédiger une anecdote qui le rendrait peu fier. Le réseau social attirait les convoitises d’un bon nombre d’internautes, ce qui semblait anormal en vue des conséquences que cela avait engendré. La création du site datait du 27 mars 2014, soit deux ans avant qu’Alix ne se donne la mort. Après que les multitudes d’institutions visant à faciliter le contact social eurent été établis, les entreprises du même type furent forcées d’apporter une innovation. Le créateur de PriWata parvint à populariser son prototype à travers le monde, un succès qu’il devait en partie à l’originalité de son idée. Or, la répartition incessante des abonnés à travers l’énorme quantité de foyer ne semblait pas être bienséante. Les divorces, les meurtres et les suicides atteignirent des pics de croissance considérable. Certaines mesures devaient être prises mais personne n’était assez haut gradé pour mettre fin à la catastrophe. En soi, le fléau représentait une source de dangers intarissable.
- Bon, c’est ici que je vous quitte, déclara Yann, je ne vous raccompagne pas ?
- Ça ira, on se retrouve demain au lycée ?
- Oui, répondit-il sèchement.
Les quatre autres amis continuèrent leur route ensemble, sans prononcer le moindre mot. Tour à tour, ils rentrèrent chez eux et vaquèrent à leurs occupations.
« Aujourd’hui, beaucoup ouvrent les yeux sur la nature de l’homme et se demande jusqu’où il serait prêt à aller pour démêler le vrai du faux. Le mot confiance prend désormais une réelle valeur. Pour certain, elle est inabordable car il y a plus de conflictualité, moins d’entre-aide et plus de difficultés. Les gens deviennent paranoïaques, fous, ou nettement moins sensibles. L’impact des évènements tragiques sur notre humanité perd de son intensité. La société toute entière est victime des choix de certain. De cette manière, l’influence de PriWata ne s’arrête plus seulement aux utilisateurs. La conservation d’une vie privée devient alors une tâche ardue pour laquelle les efforts à fournir seront davantage périlleux.
- En effet, la logique veut que les gens prennent conscience du caractère abusif de leur prédateur, qu’ils se rendent à l’évidence et que l’existence d’un tel réseau n’enlève rien au fait que les mensonges sont omniprésents dans nos vie. Pourtant, nos actes ne sont pas ceux auxquels on s’attendrait, l’antipathie des uns et la curiosité des autres nous mènent droit vers un monde imprévisible. »
En salle de philo, le professeur Steenman et son assistante entaillèrent le programme annuel pour marquer une parenthèse non négligeable. La distorsion de la société causée par les interactions virtuelles pouvait être un sujet captivant. C’était sans doute la raison pour laquelle le site en question comptait plus d’un milliard et demi d’abonnés.
Les cinq amis d’Alix formaient une bande de compagnons fidèles, ils se retrouvaient chaque jours depuis deux ans dans la même classe, à arpenter les mêmes couloirs, déjeuner aux mêmes tables, partageant les mêmes rituels. Ce jour-là, Yann ne s’était pas rendu en cours. Inquiète, Louane consulta son Keering pour vérifier qu’il ne lui soit rien arrivé.
Le Keering était un appareil électronique dernier cri. L’exploitation avancée des nanotechnologies permettaient le développement de nombreux éléments du quotidien. Cet objet multiforme comptait plusieurs fonctions incluant les plus basiques, comme celles de pouvoir aisément communiquer.
Aucun signal lumineux, Louane n’avait pas de message. Elle se tourna alors vers ses autres camarades, espérant que l’un d’entre eux eût été prévenu, mais il n’en était rien. Les minutes s’écoulaient péniblement dans le cadrant de l’horloge. Le discours du professeur Steenman perdait subitement de son intérêt aux yeux de Louane qui commençait sérieusement à angoisser. Yann lui avait pourtant certifié qu’ils se reverraient en cours. Jamais ils n’avaient été séparés aussi longtemps sans donner de nouvelles. La veille, elle n’avait reçu aucun sms de sa part, pourtant – et c’était devenu une habitude – tous les soirs avant de s’endormir, ils se souhaitaient une bonne nuit.
La sonnerie retentit à travers l’établissement comme un clairon aurait sonné l’attroupement de centaines de soldats. L’angoisse apparente de Louane n’avait pas échappé à Juliet Goby, sa cousine qui ne put s’empêcher de l’interpeler.
- C’est pour Yann que tu te mets dans cet état ? s’interrogea Juliet auprès de Louane.
- Oui, il ne m’a jamais laissée sans réponses.
- Son Keering n’a peut-être plus de batterie.
- Ces engins se rechargent automatiquement à la lumière du jour, insista-t-elle, j’ai envoyé une dizaine de messages mais il ne répond pas. Il ne répondait pas hier non plus, alors oui, je m’inquiète et je pense que j’ai mes raisons.
- Que vas-tu faire ?
- Je vais me rendre chez lui, et je verrai bien ce qu’il en est.
- Comment tu comptes t’y prendre ? questionna Juliet, soucieuse de la manière dont allait procéder sa cousine.
- Je ne sais pas encore comment, mais j’aurais certainement besoin de ton aide, répondit-elle songeuse.
Après avoir longuement cherché le stratagème qui permettrait à Louane de quitter le lycée sans encombre, les deux jeunes filles ne perdirent pas une seconde et mirent leur plan à exécution. Juliet interrompit le cours :
- S’il vous plait, amorça-t-elle, Louane ne se sent pas très bien.
- Accompagne-la à l’infirmerie, ordonna le professeur.
Les deux adolescentes se levèrent et traversèrent le lycée d’une traite. Juliet se rendit à l’intendance, tandis que Louane se réfugia derrière un mur.
- Excusez-moi, je pense avoir égaré mon portefeuilles, pourriez-vous vérifier dans les objets trouvés ?
- Bien sûr, je reviens.
Le temps que l’intendante ne s’éclipse dans la pièce voisine, Juliet put s’aventurer dans le bureau et actionner l’interrupteur, permettant ainsi de déverrouiller la porte. Elle ressortit et fit un bref signe de la main à Louane pour l’avertir du libre accès. Celle-ci s’empressa de quitter les lieux, parvenant tout juste à s’extirper avant que la régisseuse ne revienne.
- Je suis vraiment désolée mais je n’ai pas trouvé de portefeuilles, à quel moment l’as-tu perdu ?
- Je ne sais pas justement. Il peut-être à des milliers d’endroits différents, je vous remercie, je vais continuer à chercher.
- Bonne chance ! conforta sincèrement l’intendante.
Juliet repris les cours en annonçant à ses camarades et à son professeur que sa cousine avait dû repartir chez elle.
À peine venait-elle de sécher les cours pour se rendre chez Yann que Louane fut coupée dans son élan, un signal sonore venait se faire entendre. C’était lui.
[Je n’arrive plus à supporter cette situation. Retrouve-moi au cimetière, faut qu’on parle.]
Une fois au cimetière, Louane savait où trouver Yann, elle se dirigea vers la petite stèle d’Alix et vis son amis allongé au pied de la dalle. Elle s’approcha de lui, constatant pétrifiée que ses yeux étaient gorgés de larmes.
- Promet-moi, entama-t-il en sanglotant, que plus personne n’ira sur ce site.
- Je te le promets, assura la jeune fille en le serrant contre elle.