But not for me

hectorvugo

Son deux pièces lui coûtait trop cher. Il lui prenait la moitié de son salaire. Arthur se refusait toujours de vivre à deux. On avait beau lui dire que son équilibre physique et psychique passerait par là, que sa santé économique s’en trouverait améliorée. Non ! Il faisait fi de ces conseils et traçait sa route. A quoi bon ! Un couple sur deux se séparait. Les autres simulaient le bonheur.

Arthur en avait un flagrant exemple : ses voisins de palier. Deux beaux tourtereaux, lui habillé GAP de la tête au pied, elle fringuée Lulu Castagnette, des trentenaires adulescents faussement pauvres. A vomir quand on y pense. Lui partait à sa banque en patinette passant dix heures par jour dans une tour de la défense à parier sur la ruine du grec, l’effondrement de l’espagnol, la fortune du brésilien ou de l’indien. Le monde changeait d’époque et il en était un artisan. Elle restait sagement dans leur appartement à bichonner sa start up : une entreprise de ventes de produits de beauté par internet.

Leurs savoirs faire à tous les deux leur permettaient des escapades à Marrakech ou à Doha, GAP et Lulu recollaient les morceaux de leur amour au soleil de l’Arabie qu’elle fût Nordique ou Péninsulaire.

Arthur aurait aimé avoir le culot d’écrire à l’administration fiscale pour qu’elle leur mît un redressement sur le dos. Mais ou l’inspecteur des impôts pouvait il trouver le signe extérieur de richesse susceptible de prouver leur culpabilité, si culpabilité il y avait ?

C’était peine perdue. On les croyait heureux et  riches. On les voyait descendre le vendredi vers 18 heures d’une marche alerte, adressant ce sourire carnassier à qui les croisait. C’était leur seul acte de civilité de la semaine au sein d’une communauté avec qui il n’avait aucun lien de fraternité excepté ce loyer HLM. Il est des amitiés pratiques et enviables surtout lorsqu’elles sont haut placées à la mairie. Arthur n’y avait pas droit. Ils n’étaient pas de la même caste.

Ou allaient-ils avec ce bonheur à la bouche ? Juste en bas, tout à côté dans cet institut de bronzage. Ils en reviendraient couleur caramel dans l’heure. C’était certain.

Certain ? Pas tant que ça.

Ce vendredi là, Lulu castagnette revint seule, le visage légèrement buriné par des larmes. Elle attendait l’ascenseur. Arthur aussi. Monter deux packs d’eau à pieds ne lui disait rien.

La probabilité de commencer une histoire d’amour entre le rez de chaussée et le 4éme est aussi mince que de voir un courtier en bourse partager une purée à la cantine de la banque avec un technicien de surface.

Or Lulu Castagnette échangea un regard et deux mots avec Arthur. En dépit de son fardeau il lui tint la porte de l'ascenseur. En échange il sut son prénom : Sophie.

Détail insignifiant et pourtant..

L’armure était fendue. Elle sécha ses larmes. Elle ne lui avait encore rien confié mais son regard bleu si explicite ouvrait la brèche.

L’executive woman ignorant la plupart du temps toute personne étrangère à sa condition devenait une femme aux abois. Elle demandait de l’aide.

En témoigne la porte de l’appartement laissée ouverte par mégarde derrière elle. Sophie n’attendait qu’une chose : qu’Arthur outrepassât son rôle de voisin.

Et comme tout acteur de sport collectif trouve son graal par le dépassement de fonction, Arthur prit l’initiative d’entrer.

Jamais il n’avait vu un HLM aussi richement décoré. L’entrée était un cabinet de curiosités ou s’entassaient des statues Maories, une photo du couple sur fond de Taj Mahal, un Bouddha en bronze d’une opulence abdominale remarquable, et le portrait de Marylin signé Warhol (un fac similé)

Une porte en verre avec croisillons blancs donnait sur le salon. Un Steinway noir légèrement encrassé par de la poussière y trônait au milieu. La partition dévoilait « I got a feeling » le chef d’œuvre de David Guetta immortalisé par les Black Eyes Peas. On était en droit d’espérer mieux, surtout en voyant sur le piano le buste de Beethoven créant une perspective étrange achevée par le grille pain et la machine à café en cuisine. Sophie s’y trouvait.

Sa main saisit une tasse d’arabica. Elle l’avala d’un trait. Elle parlerait ensuite, se confierait comme jamais à un inconnu.

Arthur était cet inconnu. Il me manquait une miette de ce spectacle. Voir cette superbe brune élégamment sculptée dans un body noir était un moment incomparable. Nul doute qu’il rentrerait au panthéon de ses souvenirs érotiques. D’autant que Sophie lui proposait de le rejoindre. Une tasse l’attendait.

Elle lui raconta tout. Cette scène effroyable : GAP et la patronne de l’institut enlacés dans une cabine de bronzage. Pris sur le fait par Sophie, GAP joua son propre avocat en prétextant que l’on pouvait rien face aux hormones et qu’il fallait laisser faire la nature.

 Il finit sa plaidoirie ainsi : « Après tout, la satisfaction d’une envie ne remet pas en cause les sentiments que j’ai pour toi. Cet accouplement furtif était un détail, un soulagement » Conclusion typiquement masculine.

« Je suis partie en pleurant. Qu’auriez vous fait à ma place ? » Sophie posa la question à Arthur.

Que lui dire ? Qu’elle avait été impulsive, qu’elle ne s’était pas laissé le temps de la réflexion, qu’elle avait eu la bonne attitude ? Non Arthur rêvait de lui conseiller de rendre la monnaie de sa pièce à GAP avec le premier venu. Rêvait seulement car il n’eut pas le courage de le dire à Sophie Il s’enferma dans les toilettes couleur vert pommes. Il se soulagea la conscience et la vessie face au texte de cette chanson de Cole Porter « But not for me » que la maitresse de maison avait placardé au mur. Quelle idée saugrenue d’afficher ce chef d’œuvre dans un endroit pareil !

But not for me. La vie vous offre l’opportunité de vivre de belles histoires de cœur, c’est juste une question de fenêtre de tir. Arthur refusa de l’ouvrir. On ne tombe jamais amoureux sur un malentendu.

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