Bye bye baby

sanka

Il faut partir maintenant. Il ne fait plus tout à fait nuit, mais j'ose encore croire que mon ombre passera inaperçue dans les rues désertées. Ici, avant 5 heures du matin, il n'y a pas grand monde. La ville est pleine de chômeurs qui se lèvent tard, le revenu moyen dans ma ville ne dépasse pas les 18 000 euros par an. Ici, on est au coeur de la crise et de la culture RSA, des odeurs de poubelles mal déchargées. Des détritus sont tombés par terre quand les éboueurs les ont vidé. Ca pue le poisson pourri. Il y a la mer tout près, et ça s'infiltre partout, ce parfum d'embruns, de mazout et de pêche. 

Sète va me manquer.

Moins que mon fils. Moins que mon homme. Mais je ne veux plus rester. Il ne faut pas. J'ai vu hier soir que j'étais capable du pire. Alors avant de le commettre, mieux vaut prendre le large, embarquer sur un cargo et prier pour qu'il coule, puisque je ne sais pas faire face à ce que ma vie me réserve. J'ai le courage de la fuite, c'est tout. C'est le seul qui reste aux lâches.  

Je traverse la rue pour rejoindre mon tacot usé par le temps quand des freins crissent et hurlent, tout près de moi. Le type qui conduit gueule : " Ca ne va pas, connasse! T'es pas réveillée ou quoi? " Inutile de répondre que non, ça ne va pas, que je vis un cauchemar, que ce matin je quitte tout ce qui m'a définit. Il s'en foutrait, il veut juste décharger sa peur sur moi. Il a faillit me buter, il roulait bien au dessus des 50 kms à l'heure autorisé. Il ignore à quel point cela aurait pu me rendre service, qu'il m'aplatisse en bas de chez moi. Je n'ai rien pris de particulier. Pas de bagage, juste mon sac, mes papiers. On m'aurait trouvé là et on n'aurait pas conclu au départ. Juste à l'accident indélébile, celui qui emporte une mère de famille, une fois de temps en temps, une tragédie au temps de l'automobile, rien de dramatique, la faute au malheur qui s'abat aussi sur les gens qui sortent tôt le matin. Mon fils ne m'aurait pas haït, il m'aurait pleuré. Alex se serait demandé ce que je foutais dehors à cette heure là. Aurait repensé à la scène d'hier, s'en serait voulu de m'avoir dit tout ça. Ses aveux seraient devenus responsables de mon départ à l'aube. Mais il n'aurait jamais soupçonné l'abandon.

Le type démarre en trombe. Mon coeur bat fort. Fort comme ma haine. Il faut que je parte. 

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