Cabinet de curiosités

linsolente

Concours "Les récits de l'incurable curiosité" ; Institut Pasteur

Mon cher ami,

Je ne sais comment va la vie à la campagne, tant ces derniers mois ont été denses. Ma lettre tarde donc à suivre la vôtre, quel malotru je fais ! Attendez avant de brûler notre correspondance, il me faut vous conter par le menu cette folle aventure qui fut la mienne cette année. Je vous imagine déjà parcourant mon verbe en diagonale pour connaître le fin mot de l'histoire, aussi je vous promets d'être bref. Tout de même, par où commencer ?


Les Tuileries, début de l'automne. Comme à mon habitude j'aime à m'y promener, flâner le nez au vent, les idées virevoltant au gré de mes pas. J'aurais pu prendre un arbre de plein fouet, la violence aurait été la même : sa beauté m'a terrassé de part en part. J'ai demandé à ma tante qui m'accompagnait alors - une fois recouvré l'usage de la parole - si elle connaissait cette douce personne, à l'origine de ma fulgurance. Femme du monde de surcroît, ma vieille tante dut bien reconnaître son ignorance. Une inconnue de nos cercles bourgeois ! Je ne pensais guère cela possible. Durant trois mois je l'ai cherchée, l'âme en peine, la curiosité piquée au vif, le verre plein d'absinthe. Je crus défaillir quand elle fit son apparition chez Madame de Boutray, encore plus désirable que dans mon souvenir fumeux et lointain. Sa peau dorée jurant avec celle, diaphane, des femmes de la noblesse ; ses lèvres carmin, ah, mon ami, un supplice pour le regard ! Et cette façon de relever sa chevelure de jais avec des perles de nacre, vous n'auriez guère résisté, je vous en conjure. De peur de la perdre, je l'ai épousée. Oui, je sais, si vite, cette fougue n'a pas de sens commun, et pourtant elle en revêt un : l'incommensurable passion. Je l'adore, la dévore chaque soir à l'aune de notre lit, je la visite en sueur, ravi, et l'espace manque pour contenir tout mon désir. Sa gorge vaut toutes les merveilles du monde, et vous savez combien je leur attache de l'intérêt. Le son de sa voix est précieux, la profondeur de ses yeux un abîme, la finesse de ses mains une caresse. Je me perds en niaiseries, pardonnez-moi, j'ai les poils qui s'hérissent rien qu'à son évocation. Pareille beauté ne devrait point exister. La sublimité de son être me rend sot. Fin du soliloque, avançons.

Mon histoire serait somme toute banale si je n'avais pas été un jour attiré par un petit coffret en bois peint dissimulé derrière le lourd miroir de son boudoir. Je ne l'avais jamais vu auparavant et devais m'extasier devant pareil ouvrage. Le bois rouge foncé, la forme ronde et bombée, ses sculptures en bronze : tout était joli pour mon oeil d'esthète. Il aurait parfaitement trouvé sa place dans mon cabinet de curiosités. Son contenu, en revanche, m'a anéanti : une fiole de poison, et trois certificats de décès de ses anciens maris. Imaginez mon désarroi ! Je ne puis plus rien avaler, mes nuits blanches sont à la recherche d'un antidote. Je trouverai la formule. Mon incurable curiosité sera mon salut.

Très amicalement je vous serre la main,

Votre dévoué

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