Cacao 1°
nan-p
C'est un cas unique au monde je te dis et si on ne m'avait pas braqué mon matos informatique et photo à l'aérogare de Bamblo, tu pourrais constater par toi-même. Il s'agit d'un dérèglement fou furieux de la pigmentation génétique. Fantatou 1°, Reine-Gosse du Mitouno, née d'un père noir et d'une mère blanche est noire de corps et blanche de tête !
Ainsi parlait Sarah Touss'tra à son amie Eugénie ébahie venue la chercher à l'aéroport du coin.
Tu vas tout me raconter, aprés un bon bain et un super remontant, à moins que tu ne préfères un café au lait !
Vautrée sur la moquette Sarah pris sa respiration à pleines bouffées et attaqua le récit de la vie de Fantatou 1° reine du Mitouno.
Tout ce que je vais te raconter, je le tiens d'un ancien garde du corps noir et de la tête blanche de la petite. D'ailleurs je me suis fiancée avec lui, ce qui a bien facilité les choses ! Tu ne trouves pas étrange que ce cas isolé ne soit pas connu à travers le monde ? C'est bien simple des centaines et des centaines pour ne pas dire des milliers de gardes ( tous plus mignons les uns que les autres ) surveillent le royaume armés de sarbacanes et lances variées. Grâce à mon fiancé j'ai pu apercevoir la fillette à travers un rempart de cuisses galbées et faire autant de vidéos qu'il m'était possible car j'avais planqué ma caméra frontale sous mon châpeau, avec juste un trou pour l'objectif. Manque de bol, comme je te l'ai dit, on m'a fauché tous mes apareils. C'est le grand regret de ma vie avec, peut-être, celui de m'être fiancée et tirée avec le diamant!
Fantatou vivait trés mal sa bi-colorité, tu m'étonnes ! et sombrait implacablement dans une dépression très nerveuse. Son père le roi Pagélo XXXIV, afin de lui changer les idées qu'elle avait plus noires que blanches, abdiqua en sa faveur. Le pauvre monarque espérait que ce grade et les charges attenantes lui atténueraient ce complexe pigmento-membraneux, tu parles! dans ses rêves oui ! elle devint odieuse et ses caprices majestueux :
" Papa-roi je serais tellement radieuse si tu m'offrais un collier de papillons vivants "
" je ne suis plus roi ma chérie c'est toi la reine et ce que reine veut reine l'aura. Gardes! empoignez vos filets et papillons me ramenez, et que ça saute! "
La gosse-reine parada à travers le royaume, le cou agité, jusqu'à ce que les papillons crêvent les uns après les autres non sans s'être délestés de leure poudre multicolore autour de sa gorge. Ce qui, malheureusement, accentua d'autant plus la limite entre sa tête blanche et son corps noir. La gamine s'égosilla de jurons envers les gardes tout en leur balançant des calebasses sur le ciboulot.
Et les lubies se succédèrent frénétiquement :
" Papa-ex-roi je serais tellement radieuse si tu m'offrais une girafe naine "
" Ce que reine veut etc...etc......................et que ça saute ! "
" Papa- ex-roi je serais tellement radieuse si tu m'offrais des colibris en laisse "
" Ce que reine veut etc...etc......................et que ça saute ! "
"Papa- ex-roi je serais tellement radieuse si tu m'offrais une tortue sans carapace "
" Ce que reine veut etc...etc......................et que ça saute ! "
Jusqu'au jour où :
" Papa-ex-roi je serais tellement radieuse si tu m'offrais un cheval "
"Ce que reine v... QUOI ?! C'est tout ??
Le jour même Pagélo Lui-Même-En-Personne partit dans le Cambrouso ( ses lacs, ses prairies verdoyantes, sa gargotte gastronomique, ses chevaux sauvages.). Il en ramena une splendeur de jeune cheval noir, luisant comme une nuît mouillée.
"Gardes! dressez-moi ça ! et que ça saute!"
Pour sauter ça sautait! des bonds vertigineux, des cabrioles démesurées sans parler des hénissements tragiques, morsures et coups de pied divers aux gardes régulièrement en proie au vol plané. Pagélo commençait à s'agacer, il voulait bien céder aux caprices de sa fille mais là on perdait du temps, les gardes amochés étaient remplacés à une cadense folle,leurs épouses n'en pouvaient plus de leur appliquer des cataplasmes de beurre aigre-doux de buflettes. les nouveaux n'en menaient pas large, angoissés jusqu'aux tremblements ça rendait l'animal encore plus fou. Impossible à dompter ce cheval était rempli d'esprits mauvais ou quoi ?
Mais lorsque Fantatou apparut l'animal s'apaisa net. Il avança vers elle à pas ondulés, s'essuya la mousse blanche à une palme de cocotier-nain, la toisa longuement d'un air trés affectueux, hennit tendrement et posa sa tête sur son épaule. Un silence fracassant s'écroula sur l'assemblée. Les yeux de Pagélo et ceux des gardes s'extirpaient quasiment de leurs orbites, ils durent s'assoir et les femmes vacillaient. L'ex-roi commanda une tournée générale d'alcool de cactées, il fallait bien ça pour les remettre d'avoir été témoins, en direct, d'une intervention divine. Puis :
" Wouaouh! Papa-ex-roi, t'es juste trop génial! il est trop mignon, trop beau, trop fort!............... Mais bien trop noir, il n'a même pas une tache blanche sur le front, je me serais sentie moins seule s'il en avait. Tu n'y as même pas pensé, je parie .C'était pas bien compliqué de m'en trouver comme ça! Je suis sûre que tu as pris le premier venu, pour te débarrasser. Et même si il n'y en avait pas des noirs à tâche blanche, pourquoi tu n'as pas parcourru le monde pour ta fille chérie ? Il est tout noir, il est trop noir, j'en veux plus!"
" Ce que reine v...et puis merde! tu commences à me gonfler avec tes caprices à deux balles! tu gardes ce canasson et tu l'aimes! "
Alors la Gosse-Reine s'emballa, souffla, s'ébroua, mordit les gardes et s'apaisa net lorsque le cheval posa à nouveau sa tête sur son épaule, puis il s'emballa, souffla, s'ébroua et mordit les gardes...L'enfant, à cet instant décida de faire un essai. Elle l'apella Cacao et lui raconta son existence, la mort de sa Maman-Reine qui fît un infarctus lorsqu'on lui posa le nouveau-né noir et blanc sur le ventre, son obscure solitude et désarois désordonné de ne pas être comme les autres,son impossibilité de se camoufler sous des vêtements car vue la chaleur écrasante dès l'aube un pagne suffisait, ses toquades, ses vengeances créatives. Cacao se coucha, lui fît signe avec sa tête de monter, ce qu'elle fît, s'accrocha à sa crinière. Ils gallopèrent jusqu'à l'extase, magnifiques, irréels, fondus. Au retour la petite plongea dans la piscine, le cheval la suivit. Ils firent des longueurs comme des fous. Ils sortirent de l'eau, s'ébrouèrent. Papa-ex-roi applaudissait, les yeux bien humides. mais :
" Gardes! enfermez Cacao, il m'agace, il fait tout comme moi! "
" Fais gaffe, ma fille, tu sais ce qu'il t'attend si tu renvoies ton bourrin ?"
" Oui, Papa-chéri-ex-roi, je ne veux pas être privée de caviar, je le reprendrai demain "
Le lendemain la Gosse-Reine, bien que n'en ayant pas vraiment envie, alla chercher son cheval. Elle lui dit bonjour, celui-ci s'inclina. Oh, bon sang ça commence mal se dit-elle. Aujourd'hui on va jouer à cache-cache, je parie que tu perds à tous les coups. Mais bien sûr il la trouvait toujours et partout même dans un tonneau de manioc, même dans les toilettes, même sous son lit d'albâtre puisqu'il avait le droit de pénétrer dans le palais.
" Bon, on arrête ça, c'est pas drôle. Vas te coucher moi je vais peindre dehors."
Elle sortit, il sortit. Elle éternua, il éternua. Finalement elle le coinça dans un enclos et déballa ses affaires de peinture. Sur des immenses toiles posées à même le sol elle s'adonna à un dripping essoufflant. Durant ses créations sa cour était sommée de l'admirer et éventuellement disposée à recevoir les giclures royales. N'y tenant plus, Cacao sauta par-dessus la barrière, trempa ses sabots dans les pots de peinture et entama son dripping perso sur une toile vierge. Ce fût magnifique, les couleurs s'entrelaçaient, lumineuses, magiques, surnaturelles. Même le hasard semblait dompté. La cour s'émerveillait, hurlant au prodige jusqu'à ce que Fantatou leur balance ses brosses et pinceaux sur la tête dont les cheveux se dressaient encore d'émotion artistique. Cacao alla se coucher plus tôt que prévu. La petite tenta une noyade dans son bain de lait de baleine bleue. Sa dame de compagnie mima le sauvetage, sécha l'enfant, l'habilla puis la força à manger son caviar dont elle rafollait pourtant mais là, ça bloquait grave. La Gosse-Reine ne se plaignit pas au-prés de son père redoutant de nouvelles privations. Elle partit se cacher dans l'écurie et observa Cacao qui, il faut bien le reconnaître, l'intriguait énormément. " Je croyais que les chevaux dormaient debout. Qu'est-ce-qu'il fout comme ça allongé, la tête sur un de mes oreillers ? Bon, admettons, mais pourquoi les dieux l'ont fait si noir ?...et...et...et si beau ? Il est parfait, incomparable, remarquable et...et... et inespéré. C'est vrai qu'avec lui j'oublie un peu que je suis une erreur de la nature, il me change les idées, de noires elles passent à grises plus souvent désormais. Mais qu'est-ce-qu'il est énervant à faire tout comme moi. C'est pas pour ça que je vais me mettre à l'aimer, il se fatigue bien pour rien, la pauvre bête! Allez continue tes beaux rêves Cacao à demain "
" Hiiiiiiiii ! "
" C'est ça! Fais-moi croire que tu lis dans mes pensés! "
Le lendemain, à la surprise générale, Fantatou se leva aux aurores. A peine lavée, sans petit déjeuner elle fonça au box de Cacao.
" Aujourd'hui journée pêche, allez grouille! "
La Reine-Gosse déploya ses cannes, changea les fils, mis des hameçons et des sauterelles au bout et lança. Elle remarqua bien que Cacao n'en perdait pas une mais rigolait interieurement. Il se mis à faire des petits bons dans l'herbe toujours un peu plus loin jusqu'à ce qu'il revienne offrir à sa reine une sauterelle pincée entre ses dents. Puis il lança sa longue crinière dans l'eau comme autant de centaines de fils de pêche. La gamine, hors d'elle, jeta ses cannes dans l'eau et afin de se calmer piqua un plongeon. Il plongea.
Sur le chemin du retour, elle se demanda ce qu'elle avait fait aux bons dieux pour avoir fait la connaissance d'un cheval aussi exaspérant d'intelligence.
" En fait ce que je te repproche c'est que tu ne sois qu'intelligent. Tu ne fais que me copier mais tu n'as même pas une tâche blanche sur toi, tu es d'un noir idéal. Alors que moi...Papa-roi n'a pas été foutu de me dégotter un cheval noir et blanc, je t'assure que je me serais sentie moins seule. Allez, on rentre. "
Jamais Cacao n'avait couru si vite, la petite ne voyait même plus le paysage. Elle avait beau vouloir le ralentir il galoppait hors du sol. Lorsqu'ils arrivèrent au royaume, Fantatou, le visage plus blanc que jamais, vomit toute sa peur, se trempa dans la fontaine, s'assit sur le sable et reprenait sa respiration lorsqu'une tête blanche de cheval se posa sur son épaule. Elle s'évanouit. Réveillée par de gros coups de langue, elle reconnut son cheval et comprit qu'aux cuisines il avait trempé sa tête dans les bassines de farine. Il la suppliait de l'aimer, dans son regard embrumé la fillette put traduire : " Alors, ma Reine toujours seule ?..." Elle se jeta à son cou, lui embrassa le nez du bout des lèvres afin de ne pas enlever trop de farine mais avec tout l'amour, la reconnaissance et le pardon du monde. Les jours suivants il n'eut pas besoin de se fariner pour qu'elle continua de l'aimer. A ses yeux, à son coeur il n'était plus qu'intelligent, il était bon. Il l'avait toujours été, elle n'avait pas voulu comprendre.
Fini le sentiment de solitude, finie la rage des complexes, finis les caprices, finies les vengeances, finies les insultes et morsures aux gardes. Finies les idées noires, elles avaient blanchi depuis ce jour où un animal, certes surdoué, l'avait encore copié mais avec une mansuétude et une bonté anormales. Ce fût elle qui le copia, elle devint bienveillante, généreuse, magnanime. Ils furent et ils sont encore inséparables. Dans sa chambre elle lui prête ses colliers de pépites d'or, dans son box il lui prête son oreiller.
Et le Papa-roi dans tout ça ? demanda Eugénie.
Il demanda pardon, lui aussi, de ne pas avoir vraiment réalisé à quel point souffrait son enfant, pardon aussi d'avoir trop cédé à ses caprices pour avoir la paix. Ils parlèrent longuement et lui avoua qu'il avait choisi ce cheval dans le troupeau car il avait l'air trés seul, isolé des autres, étrange et d'un noir qui n'existe pas.
" Papa-mon-toujours-roi, je t'en ai voulu de ne pas m'avoir ramené un cheval noir avec quelques tâches blanches tout en sachant qu'ils sont tous noirs dans le Cambrouso. Je voulais tout, j'étais si mal. J'ai tant souffert de mon âme, de mon corps. Quand je pense que le jour où je l'ai dit à Cacao, il a tout compris! Moi, je lui racontais les douleurs qui me cognaient la solitude simplement car ça me faisait du bien d'en parler mais lui, lui il pensait dèjà au coup merveilleux qu'il allait me faire. Tu sais Papa-mon-toujours-roi, je vais l'appeler Cacao 1° mais je sais déjà qu'il sera le dernier. Aucun autre cheval à travers l'univers ne pourrait faire ce qu'il a fait. C'est un cas unique au monde, je te dis, comme moi..."