Cahiers d'automne et petits poèmes à Rose

hel

troisième volée (oui Marie, déjà !)

Vers onze ou treize ans, dans ces eaux-là, je me suis figurée de vivre dans les bois.

Un matin comme un autre, j'ai fait mon sac. Un sac hideux dont je me rappelle les couleurs, criardes, la matière, le volume, et que je tenais toujours loin de moi dans l'espoir qu'un épisode farfelu m'en débarrasse à jamais : ce qui bien évidemment ne se produisit pas. Cependant les mauvais traitements que je lui infligeais, eurent raison, un peu plus tard et bien plus vite que je ne l'aurais cru, de ses coutures. Ce matin-là il était encore en parfait état et je lui trouvais un sens pratique pour l'occasion, le vidant de ses cahiers pour y loger sans doute des vêtements, quelques livres, mon journal de l'époque et son Bic bleu indissociable, brosse à dents, dentifrice et savon, plusieurs tablettes de chocolat et un gros camembert assorti d'un opinel. J'ai écrit une lettre que j'ai laissée sur mon bureau, et qui je le pense, devait dans le fond autant que dans la forme, répondre à quelque mise en scène tragédienne associée à mon goût du romanesque plutôt qu'à toucher tout fond de vérité.

Je suis partie comme d'habitude, comme si j'allais prendre le car, avec le ventre barboté d'un mélange de trouille, de liberté, et de ces autres sentiments ambigus que portent la transgression et la fuite. Tout le matin j'ai marché jusqu'au bois en tentant d'éviter les grands axes, les rues principales, puis je me suis enfoncée dans le bois, m'éloignant le plus possible des allées fréquentées par les joggeurs.

J'ai un vieux souvenir de clairière ensoleillée, qui sans aucun doute fait figure d'apogée dans cet épisode rocambolesque, et où j'ai dû entamer mon camembert, croquer quelques carrés de chocolat en lisant je-ne-sais-plus-quoi, mais avec une certaine légèreté. La seule parenthèse d'insouciance finalement. Le soleil a dû commencer se tirer à un moment, les craquements et les bruissements de la forêt se réveiller, la trouille de ma nature de trouillarde monter en flèche et l'évidence de la nuit approcher à petits pas inquiétants: j'ai quitté le bois. J'ai traversé un grand champ, des vignes dont j'ai croqué le raisin vert sulfaté d'un je ne sais quoi qui m'a bien vite barbouillée. Je ne me rappelle plus avec exactitude comment les choses se sont ensuite enchainées, sans doute que confrontée à l'échec du projet, et l'idée inévitable du retour à la case départ, ont commencées à se télescoper des issues catastrophiques et leur cortège de reproches, à me donner le tournis. Des gens m'ont retrouvée au bord d'une route en plein milieu de la nuit et m'ont conduit à la gendarmerie.

Les conséquences et les motivations de cette escapade, peu importe, si ce n'est que tout fut dit et mis en œuvre pour qu'elle me colle à la peau des années durant, comme quelque chose de terrible, de poisseusement honteux, quelque chose qui vous fait baisser les yeux et permet de vous montrer du doigt. Et ceci, encore une fois, n'a pas d'importance, je peux me retourner sur le reflet de cette jeune fille naïve, comme on se retourne sur une petite sœur, un enfant qu'on affectionne, je peux lui relever le menton, et en rire avec elle, refaire et comprendre chaque pas, je peux lever les yeux avec elle vers les rayons de la clairière, aucune honte n'est restée tapie.

Un matin comme un autre, le mari d'Estelle est parti, lui aussi. Il n'avait pas onze ou treize ans, encore moins dans ces eaux-là. Il faut les rehausser d'une trentaine d'années, d'un pavillon à crédit, d'une femme qui en plus d'être éperdument amoureuse de lui depuis ses seize ans est une sorte de créature idéale, d'une douceur comme on en croise peu et si pleine de bonté qu'elle semble tombée quelque part dans cette vie comme par erreur, il faut encore rajouté à la fresque deux enfants qui ont ses traits, usent de ses mots et de ses tournures, comme le font les gamins qui admirent. Alors, vu comme ça, ça se présente plutôt mal pour lui relever le menton vers le soleil de la clairière, et la suite est pire encore, mais pourtant une partie de moi, peut le faire, et marcher dans ses pas et comprendre en partie, du loin d'un vieux reflet du moins.

  • :)

    · Il y a environ 8 ans ·
    W

    marielesmots

  • Vite le ou la troisième volet volée…
    (faut encore rajouteR, les gamins qui admireNT)

    · Il y a environ 8 ans ·
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    nyckie-alause

    • Quatrième voulais-je dire, enfin : ENCORE !

      · Il y a environ 8 ans ·
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      nyckie-alause

    • merci Nyckie, ta lecture et tes encouragements font du bien !
      j'ai corrigé la coquille, merci.

      · Il y a environ 8 ans ·
      Avat

      hel

  • C'est bien Hel tu progresses :) merci à toi, pour en revenir à ton texte, concernant les adolescents à cet âge là, on ne sait jamais ce qui peut passer par la tête ... Comme un adulte qui prend une décision irréversible ... en faisant preuve de lâcheté totale ... Ainsi va la vie , hélas parfois...

    · Il y a environ 8 ans ·
    W

    marielesmots

    • Je ne sais s'il s'agit de lâcheté, ou en tout cas pas envie de me faire juge :)
      merci pour ton regard et ta lecture :)
      et de souligner mes progrès ! ah ah

      · Il y a environ 8 ans ·
      Avat

      hel

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