Cahiers d'automne et petits poèmes à Rose

Quelque part en novembre, qui n'est pas novembre, qui est une aventure, rien de rien sinon des seaux d'eau. Des hectolitres, des bassines, des citernes, des châteaux, des rivières, des cascades, des tremblements, des déferlements, des noyades, des aquadéluges, des déferlantes. On dit « la raisse » , qu'il parait, et ça doit venir de rincer, l'eau elle dégouline jusqu'aux os, et poisse et colle à tout, et te rince de pied en cap, oui.

Rien sinon la fragilité des parapluies qui meurent à chaque coin de rue.

Rien sinon les tapis de feuilles éployés par un vent furieux.

Rien sinon le bleu enfoui sous un couvercle de grisaille.

Rien sinon les cheveux qui en profitent pour improviser des balais curieux, des épis, des filochages imprévisibles.

Rien sinon se faire épouvantail et hirsute, accepter, et coller ses doigts à la chaleur de la tasse de café.

L'eau avale tout.

Mais les avions toujours, les avions majestueux qui filent torpilles à déchirer le gris, à assourdir le silence de leur vacarme. Taratata. Les avions puissants, terrible de grâce et de vitesse. Les avions grisants, et leurs fumées ensorceleuses. Les avions étoiles filantes, les avions comètes, les avions astéroïdes et planètes. Les avions frissons. Les avions papillons fuselées. Les avions acrobates et pirouettes.

Rien sinon capturer un pilote, même si on se contentera d'un cliché flou à l'objectif humide.

Rien sinon se faire oiseau, le temps d'un vertige terrible. Le cœur qui cogne aux nuages. Novembre qui n'est pas novembre en suspension.

***

Je t'aurais emmenée ici Rose, pour sûr. T'aurais aimé les rues, les pierres, les fontaines et les terrasses. T'aurais aimé trottiner là, et te plaindre de la chaleur dans tes robes pleines de fleurs et de couleurs, t'aurais fondu le paysage dans tes foulards en mousseline, que t'aurais collés sur ta tête pour lutter contre le vent, et même que je t'aurais rien dit, parce que je suis grande maintenant et le regard un petit peu moins bébête. T'aurais mis ton rouge à lèvre rouge bien rouge de travers et même un peu sur tes dents les jours pressés, et bien appliqué et rose fushia les jours de grand tralala. T'aurais engueulé les avions en tenant ton cœur dans tes mains, même avec des larmes ce croco-fille, je te connais, et je me serais moquée pour sûr et même certain. Et on se serait fâchées trois minutes avant le claque-bise tout mouillé de paix. T'aurais filé ta laine et ton tricot, et sur ta Singer à pédales, filé un super costume de nous supères héroïnes contre les éléments. T'aurais accroché ton tablier à la paterne de la cuisine, et la buée de tes casseroles en glou-glou nous aurait chassé le gris bien loin. Tu m'aurais raconté toutes tes histoires de jeune fille, que je connais par cœur et dont je ne me lasse pas, avec plein de nouveaux détails sortis d'on-ne-sait-où et que tu te défends d'inventer à chaque fois. On se serait taper sur les nerfs en moins de deux ou peut-être pas mais au moins un peu, ça je sais. J'aurais repris le fil des  grandes sagas bien niaiseuses, et toutes la panoplie des Angéliques, juste pour le plaisir de tes commentaires à m'étouffer de rire, et encore tes petites larmes ce croco-fille, de fleur bleue à l'infini. Et même si ça ne se passe pas, c'est de la chimère si bien ancrée que c'est tout comme. Les souvenirs on peut les tordre, c'est le super pouvoir de la grande rêvasserie, des amoureux de la petite musique des jours, cette musique-là infânable, vibrante comme le camée doux greffé à ta poitrine, qui tressaute dans tes vagues de rire.