Call me Sophie Calle

ladyrature

Visite de la chambre de Sophie Calle. Hôtel La Mirande. Avignon. Juillet 2013.



Call me Sophie Calle

Avignon, 17 juillet 2013. Hôtel la Mirande.

 

            Je pénètre dans la chambre où Sophie Calle achève de se préparer avant d'aller voir Germinal avec un ami. Son ami ? Un amant ? Elle lui parle comme si la vingtaine de visiteurs présents n'étaient pas là. Nous sommes nombreux, un peu tassés ; mais elle n'en fait pas grand cas ; la Sophie Calle.

Elle s'adresse à cet homme. Il est question d'horaires et de la chaleur. Elle fait comme si de rien n'était. Non pas vraiment en fait, puisqu'elle dit à l'un des spectateurs entrés là en même temps que moi : «  Il paraît que c'est formidable ; c'est la pièce à ne pas rater… ». Elle nous salue puis s'éclipse. Larges lunettes noires sur le nez, théâtral est le jeté de son étole … Vous me direz que c'est l'endroit où jamais. Dans son sillage, le chevalier servant, muet, empressé, agréable.

 

Ils semblent heureux.

 

            Elle sortie, le petit groupe de spectateurs ose un peu élever la voix, commenter ci ou çà. Je distingue quelques remarques faites à mi-voix ou plutôt, si j'ose dire,  à moi-voix: « J'adore ! », «  C'est drôle, j'aurais pas cru ça d'elle », « Ma mère a les mêmes ». Elle est partie et pourtant encore tout à fait là. Elle nous a laissé ses photos d'enfance, des confidences qu'on fait sur un lit de mort, des secrets de famille, des lettres d'amour envoyées, reçues puis déchirées. Sur plusieurs portraits anciens, on la voit entièrement nue. Sur une photo, elle pose la main sur le sexe de son amant. En fait non. Elle tient le sexe de son amant pendant qu'il urine. C'est très différent. Il s'appelle Greg, ils ont été mariés puis il l'a quittée. La photo est la cadeau d'adieu qu'il lui a accordée.

 

Je passe lentement d'une pièce à l'autre, je m'efforce de ne louper aucun cartel rédigé de son écriture ronde et lisible, même s'il sont nombreux et que nous sommes plus de trente visiteurs dans cette suite de l'hôtel Mirande. Avignon, 17 juillet 2013.

Son écriture d'écolière le paraît appliquée et gaie. Chaque bristol accompagne un objet précis. Chacun est un morceau de sa vie. Sur ces petits cartons, il y a tout. Les grandes choses, les beaux sentiments, la mort qu'on redoute, prépare et accueille. Mais on trouve aussi des blagues idiotes comme ce dessert appelé « Rêve de jeune fille » : une banane avec deux boules de glace de chaque côté. Une bite en fruits et en crème glacée quoi !

 

Sur son lit est placée une robe de soirée : rouge avec des froufrous excessifs.

 

Dans le couloir qui mène à la salle de bains, on apprend qu'enfant, chaque fois qu'elle passait devant l'hôtel Bristol, sa mère disait : « Silence, c'est ici que j'ai perdu ma virginité ».

           

 

            J'arrive enfin dans la salle de bains. Jolie, aux deux larges vasques blanches séparées par un petit espace. Robinetterie à l'ancienne. Sur les tablettes en verre juste sous les miroirs, je scrute tous ses produits de beauté. Les tubes et les flacons, les brosses à dents dans un verre prévu à cet effet. Mon attention monte d'en cran. Quelles marques utilise-t-elle ? Quel est son parfum ? Plutôt gel ou plutôt crème ?

            Estée Lauder… « Elixir » de Clinique … le gel Rap….Mais c'est MA salle de bains, ses produits sont les mêmes que les miens. Je suis elle ; tout comme elle est moi : nous nous parfumons aux mêmes effluves, notre peau s'adoucit aux mêmes substances, les mêmes potions combattent nos rides, les mêmes tenseurs nous maintiennent hors de portée de la gravité. Nos secrets de beauté, nos adresses, nos références sont identiques. Elle est un peu moi je crois.

  

Niort, le 24 juillet 2013.

 Dans une boutique « Fête la fête », jusque en bas de chez moi, j'ai trouvé une longue robe rouge. Elle me gratte un peu, le tissu est de médiocre qualité, de la satinette chinoise un peu tachée. Dans le pot de glace « La laitière » il reste un fond de crème vanille fondu, exagérément jauni, plus ocre qu'autre chose. Il reste deux bananes à côté de la peau d'une.

Je ne sais pas où ma mère a perdu sa virginité, sans doute dans les bras de mon père.

Pas question que j'aide Arnaud à faire pipi. « Non mais ça va pas » a-t-il dit en me repoussant de la porte des toilettes.

 

Ses parents arrivent tout à l'heure, il faut que j'enlève cette robe bizarre et qu'on nettoie la cuisine.

 


  • Grâce à vous, j'ai replongé, merci... je suis aussi allée voir cette même expo et j'ai adooooré ! Fan aussi de la Calle... Prenez soin de vous ;)

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Ange

    Apolline

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