"Cannes 2 minutes d'arrêt"

joanandmom

En revenant dans cet appartement, je m'attendais à vivre un rêve, celui de ma grand-mère, le mien...

                    

                           « Cannes 2 minutes d'arrêt »

     Ça y est, j'y suis.

                Oh, je sais,  vous vous dites que Cannes n'est pas une destination exotique, que tout le monde peut aller à Cannes, et qu'il n'y a pas de quoi fouetter un chat… Et c'est vrai (pour le chat).

                En fait, je connais Cannes comme ma poche, mais cette année, c'est différent parce que j'ai un sésame pour entrer au  Festival. Oui, oui, oui… c'est comme une sorte de graal pour moi.

                Bon. J'arrive tant bien que mal à trainer mon énorme valise en dehors du wagon, je prends la direction de la rue Boucherie. J'ai loué un appart' sur Air bnb, et quand j'ai vu l'adresse, j'ai cru m'évanouir. J'ai approfondi ma recherche en scrutant les photos, et il me semble que tout concorde.

                Cet appartement a appartenu à ma grand-mère, j'y passais mes vacances quand j'étais enfant. J'adorais venir ici. Ma grand-mère était une femme formidable, elle me racontait de histoires extraordinaires sur les rencontres extraordinaires elles aussi, qu'elle avait fait ici pendant le Festival dans les années soixante. J'étais scotchée, ses yeux brillaient lorsqu'elle me narrait ses aventures avec Visconti, Polanski, Romain Gary et bien d'autres… Elle me décrivait le premier regard, la première approche, les soirées fastueuses dans lesquelles elle était invité, jusqu'au premiers ébats et ce réalisateur  Japonais qui lui avait proposé de le suivre là-bas chez lui. Toutes ces histoires, j'ai grandi avec,  j'ai toujours été fascinée par le côté romantique et féerique, je fermais les yeux et je m'y voyais moi aussi…

                Me voilà aujourd'hui devant cette porte, en y posant la main, j'ai l'impression de revenir à mes 16 ans, une sorte de flash-back, je me revois, avec ma mère, en pleure, devoir vider cet appartement de tous les souvenirs, de toute la vie qu'il avait porté toutes ses années. J'ai le cœur qui bat à dix milles en montant les escaliers, mes jambes ne me portent plus vraiment.

                Je sonne, le propriétaire m'ouvre, je le trouve bien jeûne d'ailleurs pour être proprio ! Bon passons. J'ose à peine entrer, tout à changer, c'est moderne…mais je reconnais en face de moi, le petit escalier en bois qui mène à l'alcôve qui me servait de chambre, l'escalier est peint en blanc maintenant, mais il est toujours là, les larmes me montent aux yeux, j'aimerais la voir sortir de sa chambre et pouvoir lui dire « Mamie, moi aussi je vais y aller, je vais vivre des aventures extraordinaires que je viendrai te raconter ensuite, c'est mon tours maintenant de te faire rêver … c'est mon tours d'avoir une vie de rêve ! »

                Le proprio me regarde circonspect, il doit me prendre pour une cinglée, je le remercie et prend les clés en le raccompagnant à la porte, c'est ici chez moi pendant les cinq prochains jours.            Cinq  jours pour avoir une autre vie.

                Je me dirige directe vers la fenêtre, ma grand-mère y passait des heures, elle observait  le va-et-vient incessant  des robes de soirée, l'amoncellement des photographes autour du tapis rouge… d'ailleurs ils sont déjà là les photographes pour la première montée des marches de ce 67ème festival.  Je me pose à la même place qu'elle, ce soir je suis avec elle, je ne bouge pas de cet appartement.

 

                Le grand jour est arrivée, j'enfile ma plus belle robe, je suis fin prête, c'est parti !!!

                Je parcours les 500 mètres qui me séparent de ce rêve, un monde de dingue au pied du tapis rouge, après 15 minutes au milieu de la foule, serrée comme une sardine, j'arrive en nage devant le costard du vigil. Je montre mon pass, il me demande mon invitation.

«- Pardon, mais quelle invitation, j'ai un pass monsieur !

- Pour passer, l'invitation est obligatoire.

- Mais non, enfin !!! Regardez, ma robe est parfaite, j'ai un pass, je suis scénariste, vous ne pouvez pas me laisser sur le carreau !

- Si je peux. Veuillez laisser la place, les gens attendent mademoiselle.

- Mais je m'en fous des gens, j'attends ça depuis que je suis née et vous croyez que vous allez m'en priver ! »

                Bon, je vous passe le détail des gens autour qui me dévisagent, offusqués, le vigile qui appelle un ami vigile lui aussi pour me raccompagner en me tenant gentiment le bras. La honte de ma vie.

                Je marche la tête basse, les néons du bar Le New York  m'attirent, un cocktail, pourquoi pas ? La plus belle soirée de ma vie vient de se transformer en débâcle totale alors…  En tête à tête avec ma tequila sunrise, une idée me chagrine, comment ma grand-mère a-t-elle pu monter les marches chaque année ? Comment a-t-elle eu un pass, des invitations ????

 Bref, mon verre est terminé, je rentre me coucher, cette journée à assez durée.

                Après une nuit agitée, je suis bien décidée à profiter de ce fameux pass qui doit quand même me donner le droit d'entrer quelque part. Je demande poliment à une hôtesse. J'ai le droit d'aller dans tous les pavillons, de parcourir le marché du film, mais pour les projections, il faut en plus avoir une invitation. Là, c'est clair, j'ai compris…

                12 heures, je me retrouve devant un pavillon bondée, des petits fours, du champagne et des cocktails : bonne idée. Je m'approche. Pour avoir accès au buffet, c'est un jeu de patience et d'habileté, il faut réussir à se faufiler. Avec le sourire, j'y arrive, le barman est un homme relativement âgé, tout le monde semble le connaître. Un monsieur à ma gauche me tend un verre.

« -Merci, c'est gentil.

- Il faut goûter mademoiselle, Michel est le meilleur barman de la côte d'Azur. »

Le Michel en question rajoute qu'il est là depuis la nuit des temps… oui mais, combien de temps exactement ? J'aimerais savoir, il a peut-être connu ma grand-mère…

« -Je suis là toute les années, sans défaillir depuis 1964, c'est mon cinquantième festival, vous vous rendez compte mademoiselle !

- Oui, oui, je suis impressionnée. Vous devez connaître beaucoup de monde ici.

- J'ai rencontré tous les plus grands, certains sont devenus des amis…

- Ma grand-mère venait ici chaque année, peut-être l'avez-vous connu ?

-Son nom ?

- Eloïse Nivon.

- C'est bizarre, ça ne me dit rien… Pourtant c'est un nom qu'on n'oublie pas ! Que faisait-elle ? Actrice, réalisatrice ?

- Rien de tout cela, je sais juste qu'elle côtoyait des célébrités, elle m'a parlé de Romain Gary, et de Polanski…

- Roman est un ami, je ne crois pas l'avoir vu avec une Eloïse… »

L'homme toujours à ma gauche reprend la parole pour me demander ce que je fais dans la vie :

« - Je suis scénariste, débutante, mais scénariste.

- Alors mon conseil est de profiter de votre présence ici pour rencontrer du monde, vous êtes ici pour ça non ?

- Oui, mais pour ma grand- mère, j'aimerais savoir… »

                Michel le roi du cocktail a dû prendre pitié de moi, il me demande de revenir demain, il va se renseigner sur ma grand-mère.

                Dans l'appartement ce soir-là, rien n'est clair pour moi, je ne comprends pas… j'aimerais pouvoir fouiller tous les tiroirs pour trouver une preuve, ou un indice, mais tout s'est envolé il y a 10 ans, accoudée à la fenêtre, je cherche dans ma mémoire, je revois la dernière fois que j'étais ici, j'ai vidé les lieux avec ma mère, rien ne me rappelle tout ce qu'elle a vécu, je n'ai vu aucune photo d'elle avec une des stars qu'elle a côtoyé, rien… Il y avait juste cette robe, magnifique, enveloppée dans du papier de soie, c'était une vraie robe de princesse… Elle me disait toujours que c'était Sa Robe de Cannes… Je l'ai gardée.

 

                C'est mon troisième jour ici, déjà, je n'ai pas mis les pieds au Marché du Film, je ne suis allé à aucune projection, je n'ai pas montée les marches, et je n'ai rencontré personne pour parler de ce que j'écris… Le Festival est bien différent de ce à quoi je m'attendais. Je me sens bizarre, je commence à me dire que ma grand-mère m'a menti, toutes ses années, qu'elle n'a jamais vécu tout ça, je ne veux pas y croire, je quitte l'appartement pour me rendre directement à l'apéro de Michel.

                Toujours de la patience pour arriver jusqu'à lui, j'ai moins le sourire aujourd'hui. Il me reconnait et me fait un petit signe de la main, il est débordé, j'attends fébrile de pouvoir lui parler. Il s'approche enfin de moi :

« - Bonjour, mademoiselle. Tout ceci semble important pour vous mais le passé est derrière nous et parfois il vaut mieux le laisser où il est et garder ses illusions, vous ne pensez pas ? »

                Je ne réponds rien, je sens montée en moi des larmes, je sers les dents, il est hors de question que je me mette à chialer comme une gamine au milieu de tous ses gens bien habillés, de tous ses professionnelles du cinéma. Je me contiens.

«- J'ai appelé Roman hier, il ne connait pas Eloïse.

- Peut-être qu'il l'a oublié, c'était en 68, l'année où il était jury !

- Il s'est marié en janvier de cette année-là, il est venu ici avec sa femme… Votre grand-mère a créé ces histoires, elle les a rêvé mais elle ne les a pas vécu, je suis désolé. Vous, vous  êtes ici, vous n'êtes pas obligé de vous inventer une vie, vous n'avez qu'à vivre pleinement la vôtre. Profitez mademoiselle, ne perdez pas de temps. »

                Sur la Robe de Cannes de ma grand-mère, il y a encore l'étiquette.

 

 https://www.airbnb.fr/rooms/2259260

 

 

 

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